Suite à un sondage posé à la communauté orthodoxe de Russie en 2016, une information pour le moins délicate est apparue. Le fait a été rapporté par le chercheur Sergei Chapnin, dans Le Monde daté du 4 août 2017.
Le sondage posait la question dans les termes suivants :
«Laquelle de ces affirmations vous paraît-elle juste :
-Le Saint Esprit procède du Père et du Fils [NDLR: conception catholique latine]
-Le Saint Esprit procède du Père [NDLR: conception orthodoxe]»
Contrairement à ce que l’on était en droit d’attendre, le résultat fut détonnant : 69% des orthodoxes interrogés répondirent que le Saint Esprit procède du Père et du Fils, soit la conception catholique latine. Le malaise est abyssal : qu’une majorité d’orthodoxes russes optent désormais spontanément pour la position théologique catholique plutôt que l’orthodoxe concernant la querelle du Filioque (l’une des raisons majeures du schisme entre orthodoxes et catholiques), voici qui ne laisse pas d’interroger.
La surprise s’accroît encore si l’on considère l’hostilité culturelle assez virulente du monde orthodoxe envers le catholicisme. Rappelons que suite à la levée des excommunications réciproques entre catholiques et orthodoxes par le Pape Paul VI et le patriarche Athénagoras (1964), ce dernier avait été largement conspué au sein du monde slave.
Dans un registre proche, en février 1998, le secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises (le protestant occidental Konrad Raiser) rendait visite à des étudiants et à des moines orthodoxes de l'Académie théologique de Moscou. A son arrivée, les jeunes hommes se mirent à l’injurier violemment, sous l’œil bienveillant des hiérarques religieux présents. Mortifié, Konrad Raiser entendit que sa démarche œcuménique, le combat de sa vie, était tout simplement… "hérétique". Le cœur gros, il confiera plus tard que cet événement fut le pire souvenir de sa carrière.
Au-delà du Filioque, les relations catholiques-orthodoxes
Tentons de prendre un peu de hauteur. A bien des égards, la querelle du Filioque est dépassée entre frères catholiques et orthodoxes. Un certain nombre de théologiens orthodoxes suivent ainsi la belle déclaration de Paul Evdokimov:
« A l’heure actuelle les deux spiritualités, occidentale et orientale se complètent, on peut y appliquer le distique d’Evagre : "Le gnosticos et le practicos se sont rencontrés, et au milieu des deux se trouvait le Seigneur" » (Les âges de la vie spirituelle)
D’autre part, les théologiens et penseurs catholiques avouent régulièrement leur admiration concernant tel ou tel champ de la confession orthodoxe :
« J’aime l’orthodoxie (…) ce que j’aime en elle, c’est le sens profond et unifié qu’elle a de la Tradition. L’orthodoxie relie spontanément à leur centre tous les éléments de la Révélation » (Yves Congar, Ecrits réformateurs, édition 1995)
« J’ai vu bien des cérémonies religieuses dans ma vie, mais aucune n’atteint à la splendeur de la messe orthodoxe. Ce qui en approche le plus est la messe des églises orientales restées fidèles à Rome » (Julien Green, Ce qu’il faut d’amour à l’homme, 1978)
« Catholique, j’ai toujours cru sans difficulté à la vocation de l’Eglise orthodoxe. Délivrée par la Révolution de son assujettissement au tsarisme, elle est devenue martyre » (François Mauriac, Bloc-notes, 3 décembre 1969)
Parfois, aussi, la parole catholique est encore sévère contre le monde orthodoxe. Ne nous leurrons pas.
« Sur le terrain de la vie chrétienne et de la piété liturgique, comme dans le domaine doctrinal, ce qui a manqué à l’Eglise orthodoxe, c’est un véritable centre de communion, un magistère capable de réprimer les abus, d’imposer les réformes pertinentes, de favoriser les forces nouvelles suscitées par l’Esprit (…). En raison de cette carence l’Eglise orthodoxe ne put apporter dans le monde le témoignage qu’on eût été en droit d’attendre d’elle » (Père Marie-Joseph Le Guillou, L’Esprit de l’orthodoxie grecque et russe, 1961)
Il serait enfin bien malhonnête de laisser penser que l'inculture religieuse ne concerne pas la communauté catholique... A ce sujet beaucoup pourrait être dit. A présent, il reste aux croyants catholiques et aux orthodoxes de fraterniser davantage, dans la lignée de ce qu’Athénagoras et Paul VI ont su produire grâce à l’Esprit Saint… que celui-ci procède seulement du Père, ou bien du Père et du Fils.
Pierre-André Bizien
Pour aller plus loin
La théologie japonaise au XXe siècle
Erreurs et limites des Pères de l’Eglise
Dialogue interreligieux – quelques bons mots
(Crédit photo : Adnan Abidi, Reuters)
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