Conquérir son identité sans perdre son âme

 

Désormais en France, on peut changer de civilisation dans son propre pays. Le constat est un peu poivré, mais les faits fleurissent. A l’heure où tant de jeunes gens se coulent dans un être collectif imaginaire, tout droit sorti d’Épinal, et vont jusqu’à tuer, la question de l’identité s’impose autrement.

 

Le désir d’appartenir (d'appartheidir?), et parfois même d’acheter des souffrances communautaires, cela permet de romantiser son existence, de conjurer le néant accompli depuis lors.
Plus généralement, avec internet et la concentration thématique de ses chapelles, nous quittons les territoires de l’identité pour sombrer dans le collectivisme de l’intimité.

 

Ces parcelles d’agora virtuelles offrent le vertige d’une citoyenneté directe et participative, où chacun peut faire valoir ses aigreurs devant un petit parterre complaisant. Nous devons résister à cela, à cette tentation de nous enfermer dans de petits chenils de surexcitation spirituelle – à droite, à gauche, chez les chrétiens, les musulmans, les juifs…


La véritable agora campe au-delà de l’acropole des dindons, loin de ces cénacles souterrains. Elle se définit par les divergences et le doute délibératif de ses membres. Nous devons peupler de tels lieux pour que notre commun sorte de ces usines à haine réchauffantes. Nous devons nous reposer la question de l’identité, au singulier, au collectif, en conjurant l’appel de la race et des credo privatisants.

 

Conquérir son identité sans tomber dans le piège identitaire


Mon identité m’excède toujours. Peu importe d’où je viens, ce qui importe c’est où je vais. L’identité vient du futur. Il ne s’agit pas de renier ses racines, ses souches, mais de se définir au-delà que par elles. L’historien Soho Tokutomi a écrit une histoire du Japon de 42468 pages en 35 ans; l’identité s’encapsule-t-elle en quelques repères folkloriques, culinaires ou spirituels ? Nous voyons bien que non ! C’est ce que précise le philosophe Bertrand Vergely :

 


« Le sens vient de l’avenir et non du passé » (Petit précis de philosophie)

 


L’identité est une question majeure, une réalité d’avenir, quelque chose qui se réalise, à partir de ce que l’on hérite et de ce que l’on s’approprie. L’identité peut passer par l’abandon de certaines propriétés familiales et l’acquisition de biens étrangers : il s’agit d’agencer la diversité des matériaux en cohérence. Ce n’est pas du Lego, mais une opération de ferveur.


A celui qui assure qu’on ne choisit pas son legs, son identité, il faut répondre que si les mots ont un sens, l’identité résonne avec liberté. Or la liberté, c’est le pouvoir de sortir du chemin pré-tracé. Au risque de se perdre, il est vrai… et cela arrive plus qu’on ne le pense. Quitter la lanterne sûre du petit groupe dont les membres avancent en rampant les uns sur les autres… Car ce n’est pas cela être fier. L’amour des "siens", de ce que "nous sommes", nous fétichisons en statufiant les termes.

 

Il s'agit d'idolâtrie identitaire, d'attachement à la représentation extérieure de la notion: un retour au tribal, au groupe. Se déguiser en arabe pour épater les copains de la cité, en "bon français" pour se distinguer des métèques... trouver en soi "l'homme africain", le "blanc". L'identité est une chose sérieuse, qui ne s'abaisse pas à un tel ridicule. Ici, la littérature peut nous aider :

 


« L’amour a besoin d’inquiétude pour se survivre et se dominer » (Michel Déon, Les grandes espérances)

 


Rester agglutinés les uns sur les autres en justifiant l’Apartheid sentimental (légalement l’Apartheid prône le développement séparé), cela ne fait pas une "Personne", au sens plein du terme. Il faut bien davantage. Non pas une plongée ridicule dans le melting-pot des valeurs, le métissage radical et amnésique : il s’agit simplement de percevoir l’Autre comme celui qui peut me faire advenir à moi-même. Non pas structurellement, mais potentiellement.


L’historien Benjamin Stora fait un constat terrible :


« Aujourd’hui, nous sommes entrés malheureusement dans la quête absolue des origines. C’est la peur du lendemain, de l’avenir » (La guerre des mémoires)

 


Sortons enfin du malentendu : l’origine, si l’on se projette sur un plan métaphysique, se trouve au bout de notre avenir. La terre la plus profonde en nous-mêmes se gagne par l’ex-tase, le jaillissement hors de soi-même, au-delà de l’enveloppe du vieil homme. Soyons confiants, et ambitieux.

 


Pierre-André Bizien
 

 


 

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