Depuis beau temps, la notion d’humanisme semble dévitalisée ; son succès sémantique a fini par en polir la surface. Le mot s’est banalisé, sa définition a perdu en densité ce qu’elle a gagné en périmètre. De grandes consciences telles que celle d’Albert Camus ont fini se lasser du mot. Chacun le constatera aisément : pas un jour, pas une semaine sans que l’on célèbre une personnalité pour son engagement humaniste, son soutien à telle ou telle cause d’utilité publique.
Reconnaissons les faits : l’humanisme, le vrai, réside ailleurs… ou plutôt plus haut. Il relève d’un engagement radical, harassant, qui se paie d’amertume. Il est toujours l’apanage d’une minorité qui tracte son époque vers le haut, en dépit de ses pesanteurs. En clair, il ne fait pas du tout consensus à l’heure où il s’exprime, et c’est le futur qui lui rend grâce.
Les véritables humanistes, tels Moïse, n’ont ordinairement pas la chance d’atteindre la terre chérie de leurs espoirs. Ils conduisent la pesante humanité jusqu’à ses abords, et eux disparaissent. On pense ici aux philosophes des Lumières qui, pour la plupart, ne vivaient plus lorsque la Révolution éclata. Ils l’avaient pourtant préparée.
Humanisme ou humanimisme
Lorsqu’un combat humaniste est enfin reconnu par la société, il passe à l’ "humanimisme" (entendons unanimisme), et les personnes qui le soutiennent ne méritent plus la glorieuse épithète "humaniste". La sphère de l’humanisme demeure toujours "en amont" du corps social, à sa pointe. Elle est toujours exposée aux crachats de son époque. Il convient d’en être conscient, car mélanger le simple éveil citoyen avec l’humanisme revient à dissoudre ce dernier, à lui faire perdre de sa force.
En 1981, François Mitterrand, Robert Badinter et les militants abolitionnistes contre la peine de mort étaient des humanistes. Aujourd’hui, leur opinion ne relève plus de l’humanisme, mais de l’humanimisme (en ce sens que la plupart des citoyens y sont favorables). A l’avenir, nous nous devons d’être plus rigoureux : il s’agira d’employer le terme "humanisme" avec davantage de rigueur et de précaution. Autrement, nous finirons par en tuer l’essence, et la sentence d’Albert Camus sera justifiée :
« Je n’ai rien contre l’humanisme, bien sûr. Je le trouve court, voilà tout » (Albert Camus, Carnets, 1946)
[Qu'est-ce que la thérapie scripturale? Introduction à la discipline.]
Pierre-André Bizien
à lire aussi
Antiracisme: le parricide au quotidien
L'antiracisme est moribond. Les passions identitaires l'ont progressivement submergé. L'extrême droite, qui est diverse et multi-raciale, est en passe de le remplacer
La gauche caviardée: petite critique de la gauche telle qu'elle est devenue
La gauche politique a trahi ses valeurs intellectuelles. Elle s'est reniée dans le seul but de préserver ses privilèges symboliques face à la droite
Caricatures religieuses et respect d'autrui
Le Père Bernard Vignot revient sur les tragiques événements de Charlie Hebdo. Peut-on négliger le respect d'autrui au nom de la liberté d'expression?
Martin Luther King, la religion et Dieu
Après sa mort, le pasteur Martin Luther King a été réduit à son combat monumental contre le racisme. Son oeuvre religieuse, inséparable de son engagement politique, a été oubliée
Vous aimerez aussi
Mohammed Arkoun, apôtre de la critique scientifique de l'islam
Mohammed Arkoun, grand universitaire Français d'origine kabyle, aura longtemps divisé. Promoteur de l'islamologie appliquée, il est le prophète d'une critique scientifique du coran et de l'islam.
L'argent et Monaco - entretien avec Pierre X, comptable local
Entretien de Pierre X, comptable à Monaco
La guerre de Crimée (1853-1856) - Chiffres, témoignages, batailles
La guerre de Crimée fut un conflit terrible en plein coeur XIXe siècle. Chiffres, nombre de morts, témoignages, citations d'historiens, batailles
Vietnam contemporain - Un univers de laque
Une mise en perspective historico-culturelle de notre correspondant Jérémie