Le 9 octobre 1981, sous le règne de François Mitterrand, la peine de mort est officiellement abolie en France. Robert Badinter triomphe, et une nuée rose fond sur le glaive de la justice. Enfin, la patrie des droits de l’homme condescend à liquider sa vieille contradiction interne, crachant en passant sur la face de Robespierre. Abolitionniste inconséquent, ce dernier avait transformé la pratique en outil administratif quotidien, le temps de purger le pays. Après viendrait le droit… On sait comment termina le perruqué d’Arras, ainsi que le gros de ses comparses.
Mitt’rand, donc, a renversé le fatum. Grave, solennel, il a canonisé le mot justice, et le socialisme a grimpé de quelques crans dans le firmament de l’histoire…
Oui mais.
Derrière l’abolition droitdelhommystifiante, la République conservait sa sanglante prérogative ; sous les guimauves de l’éloquence et le carton-pâte humaniste, on pouvait percevoir – à bien y regarder – le cul de la demi-fiction. Un cul bien rose et socialiste, bordé de nouilles compatissantes. Les faces béates, tournées vers l’avenir poétique de l’humanité, s’apprêtaient à entonner le chant des partouzards (à chaque époque sa Résistance). La France absorbait tranquillement la gélule, avant de s’enfoncer sous la couette.
En vérité, l’institution de la peine de mort persistait. Les dernières têtes coupées, celles de Christian Ranucci et d’Hamida Djandoubi, n’avaient rien clôturé. N’en déplaise à Badinter, n’en déplaise à Mitterrand, la peine de mort n’était pas enterrée ; seul son volet judiciaire venait d’expirer. Pour le reste, rien ne changeait : la police conservait le droit d’exécuter sur la chaussée tout citoyen réputé extrêmement dangereux, malgré la présomption d’innocence. Le trompe l’œil a magistralement fonctionné, et ce jusqu’à nos jours. En cause, les perversions de la sémantique.
Human Bomb, Khaled Kelkal, Mohammed Merah… Aujourd’hui encore, le droit français autorise légalement les forces de l’orde à exécuter si nécessaire des individus avant jugement, et donc logiquement préjugés innocents. Paradoxe inouï, que nous devons tenir éloigné de toute récupération moralisante ; ce serait intellectuellement trop facile, trop biaiseux.
Car, légalement, objectivement, Mohammed Merah, Human Bomb sont toujours « préjugés innocents », puisque non jugés. Bien entendu, la force des choses nous fait sauter devant ce genre d’énoncé, mais il n’empêche : en terme de droit, c’est bel et bien la réalité.
Ne cherchons pas à "prendre parti", ni à nous "indigner" ; constatons simplement que la réalité concrète diffère, bien plus qu’on ne l’imagine, de l’ordre admis des choses. Si l’on interroge pleinement la notion de "peine de mort", si on l’appréhende dans toute son extension signifiante, nous ne pouvons la réduire au sens qu’elle occupe dans l’inconscient collectif. Littéralement, la "peine" de mort – la punition consistant à se faire retirer la vie par les agents mandatés de l’Etat – est toujours d’actualité, dans certains contextes très précis. Toujours si la vie d’autres citoyens est en jeu, et ceci est humainement compréhensible.
La peine de mort n’existe donc plus en tant que sanction symbolique, mais elle persiste comme mesure pratique, afin de "prévenir" en urgence des drames. Oui, concrètement parlant, la peine de mort, est une mesure de "prévention" plutôt que de "répression", car elle vise plus à prévenir des actes redoutés, qu’à punir à proprement parler un comportement donné. Jugé coupable, Mohammed Merah n’aurait jamais été exécuté ; présumé innocent, il pouvait légalement l’être.
Interrogeons-nous sur les inconséquences de notre vocabulaire, et sur l’emphase de nos grands mots : "préjugé innocent", "une politique préventive est toujours préférable à une politique répressive"… Cessons d’ingurgiter les évidences.
Pierre-André Bizien
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