Voltaire était-il raciste?

 

La question peut sembler naïve, démagogique, et surtout anachronique. Est-il intellectuellement honnête de lancer des procès en racisme contre de grandes figures de notre passé, lesquelles vivaient au sein de contextes socio-culturels totalement différents des nôtres? Il est légitime de douter, en effet. Trop facile, en ces temps, d'accuser un tel d'islamophobie, tel autre d'antisémitisme compulsif sans s'emballer... Nous passons notre temps collectif à nous scandaliser du racisme d'autrui. Le blanc, particulièrement, semble toujours visé "en creux": on dit "la France est raciste, ségrégationniste..." en pensant invariablement "la France des blancs"... Ce qui laisse songeur quant à la symbolique d'une telle expression... Il faut que cela cesse. L'identité de notre pays n'est pas liée à une quelconque couleur, et nulle race ne saurait être plus statutairement coupable que les autres.

 

Ceci étant posé, il est intéressant d'interroger le rapport de nos pères spirituels à la question de l'altérité raciale et religieuse. Bien qu'il soit effectivement malhonnête de juger nos devanciers selon les normes d'un code pénal qu'ils ne connaissaient guère (et qu'ils ont cependant généré par leurs intuitions), il est pour le moins dérangeant de lire ce qu'ils ont pu écrire ici ou là, à propos de l'autre. Voltaire a fait l'objet de nombreuses analyses critiques sur la question de la tolérance. On a notamment souligné ses accointances financières avec une certaine élite négrière. Laissons là ce sujet et scrutons plutôt Voltaire dans le texte, par-delà ses innombrables appels à l'intelligence de l'esprit humain.

 

Certains passages de son Essai sur les moeurs et l'esprit des nations peuvent surprendre, sinon révulser. Les uns sont ambigus, les autres semblent très clairs. Au travers des quelques extraits qui vont suivre, que peut-on conclure de la moralité profonde de Voltaire? Chaque lecteur a le devoir de se soumettre à la question, quitte à risquer l'anachronisme:  

 

 

La race des nègres est une espèce d’hommes différente de la nôtre, comme la race des épagneuls l’est des lévriers (…)  on peut dire que si leur intelligence n’est pas d’une autre espèce que notre entendement, elle est fort inférieure. Ils ne sont pas capables d’une grande attention ; ils combinent peu, et ne paraissent faits ni pour les avantages ni pour les abus de notre philosophie» (Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, III)

 

 


La membrane muqueuse des nègres, reconnue noire, et qui est la cause de leur couleur, est une preuve manifeste qu’il y a dans chaque espèce d’hommes, comme dans les plantes, un principe qui les différencie. La nature a subordonné à ce principe ces différents degrés de génie et ces caractères des nations qu’on voit si rarement changer. C’est par là que les nègres sont les esclaves des autres hommes » (Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, III)

 

 


Il y a trente ans qu’on avait un beau nègre pour cinquante livres ; c’est à peu près cinq fois moins qu’un bœuf gras. Cette marchandise humaine coûte aujourd’hui, en 1772, environ quinze cents livres. Nous leur disons qu’ils sont hommes comme nous, qu’ils sont rachetés du sang d’un Dieu mort pour eux, et ensuite on les fait travailler comme des bêtes de somme ; on les nourrit plus mal : s’ils veulent s’enfuir, on leur coupe une jambe, et on leur fait tourner à bras l’arbre des moulins à sucre, lorsqu’on leur a donné une jambe de bois. Après cela nous osons parler du droit des gens ! » (Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, III)

 

 


Vous êtes frappés  de cette haine et de ce mépris que toutes les nations ont toujours eu pour les Juifs : c’est la suite inévitable de leur législation ; il fallait, ou qu’ils subjuguassent tout, ou qu’ils fussent écrasés. Il leur fut ordonné d’avoir les nations en horreur, et de se croire souillés s’ils avaient mangé dans un plat qui eût appartenu à un homme d’une autre loi. Ils appelaient les nations vingt à trente bourgades, leurs voisines, qu’ils voulaient exterminer, et ils crurent qu’il fallait n’avoir rien de commun avec elles » (Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, III)

 

 


Au milieu des terres de l’Afrique est une race peu nombreuse de petits hommes blancs comme de la neige, dont le visage a la forme du visage des nègres, et dont les yeux ronds ressemblent parfaitement à ceux des perdrix les Portugais les nommèrent Albinos. Ils sont petits, faibles, louches. La laine qui couvre leur tête et qui forme leurs sourcils est comme un coton blanc et fin : ils sont au-dessous des nègres pour la force du corps et de l’entendement, et la nature les a peut-être placés après les nègres et les Hottentots, au-dessus des singes, comme un des degrés qui descendent de l’homme à l’animal  . Peut-être aussi y a-t-il eu des espèces mitoyennes inférieures, que leur faiblesse a fait périr. Nous avons eu deux de ces Albinos en France ; j’en ai vu un à Paris, à l’hôtel de Bretagne, qu’un marchand de nègres avait amené. On trouve quelques-uns de ces animaux ressemblants à l’homme dans l’Asie orientale : mais l’espèce est rare ; elle demanderait des soins compatissants des autres espèces humaines, qui n’en ont point pour tout ce qui leur est inutile» (Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, III)

 

Au-delà de ces âcres fragments, posons-nous la question: si Voltaire lui-même est passible du dégoût collectif, qu'en sera-t-il de chacun de nous, petites gens, dans les esprits de nos descendants lointains? 

 

Pierre-André Bizien

 


 

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