Brillante, érudite, pertinente. Delphine Horvilleur est un rabbin atypique, non pas seulement en raison de son sexe, mais aussi, et surtout, du fait de l'accessibilité de sa pensée. Cette pensée, qui est une sagesse, porte en elle quelque chose de moelleux, de rassurant. Quelque chose de maternel, oui, peut-être. Delphine Horvilleur, c'est une certaine idée de la tolérance, du judaïsme libéral, du relativisme philosophique, qui passe par le déminage prudent des textes sacrés. Ce déminage est un risque spirituel encourru pour prévenir un autre risque: la barbarie humaine. Delphine Horvilleur, c'est un grand oui à la Révélation divine originelle. C'est aussi l'incarnation d'une certaine idée du juste milieu théologique... On y perd en saveur, on y gagne en sécurité.
Être rabbin et être femme. Elle vous oblige. Sa langue n'a rien de prophétique, ni d'égocentrique. Son verbe est clair, limpide. Son enseignement, plein d'échos historiques et spirituels diversifiés. Ses combats concernent avant tout l'arriération patriarcale du judaïsme français, mais aussi le sida, la transmission religieuse. Les médias commencent à se l'arracher.
Delphine Horvilleur est une personnalité spirituelle qui mérite sa réputation élogieuse. Elle magnétise, au-delà même de la matière de ses discours. Laissons cependant la substance charnelle de côté, et focalisons-nous sur la valeur de ses énoncés théoriques.
Une analyse approfondie de ses positions religieuses nous force à constater une sorte de consensualisme prudent, qui point parfois en filigrane, vis-à-vis de l'idéologie libertaire des sociétés occidentales. Une crainte discrète, non systématique cependant, d'assumer le discours tranchant, naturellement sévère du religieux face au monde social. Delphine Horvilleur se veut progressiste; parfois, elle incurve discrètement les textes sacrés afin de les faire coïncider avec le discours généreux et convenant qu'elle souhaite exprimer devant les publics. Ainsi certaines déclarations pour le moins surprenantes de la part d'un responsable religieux conséquent:
"Bien sûr, je conçois très bien qu'on vive une vie spirituelle athée, hors des religions établies et de leurs codes... tant que l'on reste capable de douter" (Elle, 20/12/2012)
On retiendra aussi le recours fréquent de notre rabbin au relativisme, à "l'entre-deux", au juste milieu théologique. Cette posture, prudente, nous emprisonne quelque peu dans le brouillard de notre époque. La ligne effilée de la lame religieuse perd ici de son tranchant; le ventre-mou éthique de la société n'est pas vraiment percé.
Pour autant, assimiler Delphine Horvilleur à une démagogue angélique serait largement exagéré. Son discours adopte souvent une cambrure virile, anti-complaisante: ainsi vis-à-vis des Femen et de la symbolique spécieuse de leur nudité. Ici, madame le rabbin condamne certaines conceptions du féminisme actuel. Selon elle, la nudité revendicatrice et provocatrice manque sa cible, la liberté; en soi, la nudité corporelle n'empêche aucunement la réclusion statutaire de la femme. Nous devons rester vigilants.
Par ailleurs, les questions de pudeur et de nudité féminine ont surinvesti le discours religieux. Au cours des siècles, les clergés ont fait de la femme un "être orificiel", ils l'ont "génitalisée", ils l'ont perçue comme un "être membraneux qui menacerait de contaminer son environnement". D'où cette obsession permanente du corps, et l'impératif de son endiguement. Cette propension néfaste, nous explique Delphine Horvilleur, est inversement parallèle à la tendance au dénudement littéral des textes sacrés:
"Ceux qui exigent que les femmes se cachent sont souvent ceux-là mêmes qui lisent les versets "tout nus", sans interprétation, dans le dénuement de leur littéralité première" (Le Figaro Madame, 27 juillet 2013)
Delphine Horvilleur possède le sens de la formule. Il s'agit là d'un atout indéniable. Malgré la pointe quelque peu émoussée de son enseignement spirituel, ses paroles et ses écrits débordent d'à-propos:
"Pour rester vivante, la religion doit être bousculée" (Elle, 20/12/2012)
Encore un petit effort, madame le rabbin!
Pierre-André Bizien
à lire aussi
Eugen Drewermann, ou le pédosophisme théologique à l'état brut
Nouveau prophète, faux rebelle, hérétique... Eugen Drewermann passionne. Ce prêtre psychothérapeute vilipende l'Eglise catholique depuis des années.
L'amour dans l'islam et le Coran, selon la psyché chrétienne
Dans l'islam et le Coran, l'amour est présenté autrement que dans les Evangiles chrétiens.
Anecdotes religieuses (5)
Sélection de diverses anecdotes religieuses: obscurantisme, christianisme, Eglise...
La position de l'Eglise face au drame des migrants est-elle juste?
La question des migrants divise les sociétés occidentales, travaillées par la crise et la montée du terrorisme. Que dit l'Eglise devant ce drame humain?
Vous aimerez aussi
Apprendre la lecture rapide, techniques et perdition
La lecture rapide est une arme à double tranchant. Les techniques ne sont pas toutes valables.
La guerre russo-japonaise (1904-1905) - Les chiffres et les faits
La guerre russo-japonaise. Analyse chronologique des faits. Article: Jérémie Dardy
Penser les violences scolaires
La thématique des violences scolaires demeure un point de litige fondamental au coeur débat public français. Quelques chiffres et notions clés pour y voir plus clair
La position de l'Eglise face au drame des migrants est-elle juste?
La question des migrants divise les sociétés occidentales, travaillées par la crise et la montée du terrorisme. Que dit l'Eglise devant ce drame humain?


