Largement méconnu du grand public intellectuel, Stanislas Breton (1912-2005) fait partie de ces philosophes chrétiens qui mériteraient davantage de considération. Humble prêtre de la congrégation des passionnistes et intellectuel de premier ordre, Breton aura employé toute son énergie à réactiver, réhabiliter le néoplatonisme de l’antiquité chrétienne. Son rapport au bouddhisme est passionnant.
Natif de Gradignan dans le sud de la France, Stanislas Breton voit le jour dans une famille très modeste. A 6 ans, il se retrouve orphelin. A 15 ans, il entre dans la congrégation des passionnistes, où la philosophie et la théologie lui sont enseignées. Au terme de ses études, il obtiendra un doctorat de théologie et un doctorat de lettres. Après la guerre, au cours de laquelle il a été fait prisonnier, Breton s’installe à Rome et enseigne la philosophie à l’Université Pontificale. Il est ensuite appelé à enseigner à l’Institut Catholique de Lyon, puis de Paris (1959).
Une décennie plus tard, c’est la consécration laïque : Stanislas Breton devient maître de conférences à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Son ouvrage majeur, Le Verbe et la Croix, caractérise le profil de toute son œuvre : il s’agit d’une philosophie d’abord difficile, mais qui récompense le lecteur endurant. Au fil de ses publications, Breton édifie une théologie centrée sur la passion et la croix, événement « épicentrique » du christianisme.
Proche de Ricœur et de Certeau, il était de ces intellectuels chrétiens que la pression de la modernité n’effarouchait nullement ; les éruptions polémistes de la vieille Eglise, pleine d’arrogance et de suffisance, le consternaient. Aussi s’est-il avancé sur les terres molles de la mystique, là où les énoncés religieux n’ont nul besoin d’avenir pour exprimer audace et liberté. Influencé par maître Eckhart autant que par Husserl, Stanislas Breton s’est aussi chauffé au feu du bouddhisme zen de l’école de Kyoto ; Dieu est comme ineffable, Il n’habite pas véritablement les mots qu’on utilise pour le désigner.
Ce qui est fascinant dans le bouddhisme, c’est sa souplesse ; la question de Dieu ne s’y pose pas véritablement, et la dialectique puérile du « c’est vrai »/ « c’est faux » y est dépassée, transcendée. Au fond, le christianisme devrait s’imprégner de cette atmosphère philosophique orientale. En vérité, Dieu nous glisse toujours entre les doigts ; Il est « néant par excès ».
Concernant le Créateur, nos bavardages sont toujours trop bruyants, trop emplis de mots, de formules et de paroles. Le divin exige au contraire de la sobriété, de la retenue et de la discrétion de notre part. C’est d’une certaine manière en se taisant que l’on parle le plus justement de Dieu. Stanislas Breton nous confie que la leçon de la croix, c’est au fond l’affirmation du dénuement radical de Dieu, soit l’exact contraire de ce monothéisme patriarcal et dominateur qui s’est bruyamment manifesté au cours des siècles. La croix est un néant, un dénuement profond qui oblige le discours théologique à se dépouiller lui-même. La distanciation et l’ironie sont requises devant tout discours de foi trop bavard.
Dense et complexe, l’œuvre de Stanislas Breton ruisselle de richesses, en dépit même de son aridité de façade. En voici quelques apports notifiables :
-Tout d’abord, Stanislas Breton nous offre enfin une théologie apte à se centrer sur la Croix, sans pour autant sombrer dans le morbide et le dolorisme.
-Stanislas Breton nous montre que la modernité immanente est au fond une chance pour la religion: en lui confisquant la puissance temporelle et les leviers de la domination sociale, la modernité offre à la religion l’occasion inespérée de retrouver toute sa respectabilité.
-Breton nous met en garde contre la tentation de réduire la justice évangélique à la justice sociale (ainsi dans la théologie de la Libération) ; de fait, le noyau du scandale que Jésus est venu dénoncer n’est pas l’injustice économique. Aussi, les différentes théologies humanitaires ont tendance à évacuer la transcendance en se concentrant sur le temporel : en clair, on en vient à réduire la Croix à la Croix-Rouge.
-Au fil de ses publications, Stanislas Breton développe un sens de l’ironie véritablement salutaire, dont la théologie actuelle pourrait profiter.
-En s’inspirant généreusement du bouddhisme, notre philosophe nous montre que le christianisme peut se marier à d’autres spiritualités, sans pour autant risquer de perdre son identité propre.
Si la philosophie de Stanislas Breton ne manque pas d’intérêt, elle pâtit cependant de quelques limites :
-A certains égards, l’apophatisme de Breton a quelque chose de facile : en prêchant le silence, notre philosophe semble ne pas « se mouiller » vis-à-vis de la question radicale, celle de l’identité de Dieu. « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » demande Jésus à ses apôtres (et par extension au chrétien). Répondre par le silence, répondre par l’idée de vacuité, est-ce véritablement s’engager, s’embarquer et s’exposer ?
-Breton est si mystique et tellement philosophe qu’on ne perçoit pas toujours l’empreinte de l’Evangile dans son œuvre. Ainsi, la figure historique de Jésus est-elle totalement évacuée au profit du symbole de la Croix. La dimension charnelle du Christ est pourtant primordiale dans une perspective philosophique chrétienne.
-Notre auteur est parfois dilatoire. Ainsi, entre autres exemples, lorsqu’il affirme que monothéisme et polythéisme sont des termes relatifs.
-En réhabilitant le néo-platonisme et en suivant un peu complaisamment la sagesse bouddhiste, il tend à liquéfier le divin.
Citations intéressantes
« Le nom de Dieu est une véritable bombe » (Philosophie buissonnière)
« L’affectivité amorphe ne peut se nourrir indéfiniment de sa propre ferveur » (Foi et raison logique)
« Le seul Dieu que nous ayons à chercher n’habite aucune des demeures que nous lui avons préparées » (Le Verbe et la Croix)
« Que serait un amour qui refuserait de souffrir ?» (L’avenir du christianisme)
«La justice du juste ne se contente pas de la rigueur égalitaire entre le dû et le rendu. (…) Elle doit surabonder et excéder les strictes limites du requis» (L’avenir du christianisme)
« Le déclin généralisé des absolus sonne le glas de tout principe » (Philosopher par passion et par raison)
« Je suis un homme du Moyen Âge, romain et catholique, né dans un faubourg d’Athènes, sous un arbre de Judée » (De Rome à Paris)
« La philosophie, lors même qu’elle prétend à l’universel, doit garder une saveur de terroir » (De Rome à Paris)
«Devrions-nous établir une hiérarchie d’excellence entre les cadavres ?» (De Rome à Paris)
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