L'Eglise face au mystère de la sexualité - entretien avec Antoine Pasquier (Famille Chrétienne)

 

Milkipress - Antoine Pasquier, vous êtes journaliste et membre de la revue Famille Chrétienne. En cette fin d’année 2016, les catholiques français sont exposés à une vindicte lancinante de la part de certains médias proches du gouvernement. Comment expliquez-vous ce phénomène, et est-il justifiable ?

 

Antoine Pasquier: Les catholiques ne sont pas attaqués dans leur foi ou dans leur pratique religieuse, mais à cause de leur vision anthropologique de l'Homme. Puisant dans son héritage philosophique et théologique, fruit de deux mille ans d'histoire, l'Eglise fait du respect de la dignité de la personne humaine l'axe central de sa pensée anthropologique.

 

Dans une société soumise aux lois du marché, où l'être humain est instrumentalisé à des fins matérielles et financières (« Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? » disait Pierre Bergé), et à la tentation prométhéenne de modifier l'être humain – le transhumanisme - , les catholiques sont parmi les derniers à défendre l'Homme dans ce qu'il a de plus fragile, de plus faible et de plus précieux : sa dignité intrinsèque. Cette résistance n'est pas acceptée par celles et ceux qui défendent l'idée d'un individu autonome, arraché à ses déterminismes biologiques, historiques ou culturels, et qui serait dès lors affranchi de toute barrière, de toute limite, de toute frontière.

 

Cette pensée libérale-libertaire et technocapitaliste a conquis certains médias, certaines formations politiques et certains courants de pensée. Cette opposition ne doit pas nous étonner, nous catholiques, ni nous effrayer. Cette vision erronée, si ce n'est blessée de l'Homme, doit être combattue par la raison et l'argumentation, et par le témoignage de nos vies.

 


Milkipress - Une lutte sérieuse et efficace contre le sida passe-t-elle par la promotion du port du préservatif ? Pourquoi l’Eglise refuse de suivre strictement les recommandations ordinaires des acteurs de la santé en ce domaine ?


Antoine Pasquier: L'Eglise ne refuse rien. Elle tient un discours cohérent et fidèle à sa vision de la dignité de la personne humaine. L'Eglise croit en l'Homme et en sa capacité à poser des actes libres et responsables. Dès lors, quelle est la meilleure manière d'éviter un risque ? C'est de s'abstenir d'en prendre. La prudence et la tempérance sont des vertus cardinales. La personne qui a suffisamment de volonté et de discernement, peut s'abstenir de tout rapport sexuel si elle estime courir un risque. N'est-ce pas une précaution élémentaire ? Faire le choix de cette abstinence ne s'improvise pas. La personne doit être formée, accompagnée et soutenue dans sa décision. L'Homme croit-il d'abord en lui ou préfère-t-il abandonner une part de sa liberté à la technique, qu'elle soit chimique ou plastique ?


De même, l'Eglise préconise – mais n'est-ce pas du bon sens ? - la fidélité comme premier moyen de lutte contre le sida. Qui court le plus grand risque : les membres d'un couple entretenant une relation fidèle et confiante, ou ceux tentés d'aller voir ailleurs, comme le suggèrent à longueur d’affichages publics certains sites internet faisant la promotion de l’adultère ?
Cependant, l'Eglise ne ferme pas les yeux sur le monde qui l'entoure. Le port du préservatif est considéré comme un moindre mal ou, plus positivement, comme une première étape de discernement dans certains cas précis. Benoît XVI, injustement critiqué à ce sujet, évoquait par exemple le cas de la prostitution où les femmes n'ont d'autre choix que d'avoir recours au préservatif pour se préserver de toute transmission d’une MST.

 

 

Milkipress - Depuis l’élection du Pape François et l’adoption de la loi dite "du mariage pour tous", la question de l’homosexualité est particulièrement débattue au sein de l’Eglise. Peut-on percevoir, sinon une évolution, du moins quelques modifications concernant le regard de l’Institution sur l’homosexualité ?


Antoine Pasquier: L’Eglise distingue toujours la personne de ses actes. Elle n’a pas modifié ou atténué son jugement sur les actes homosexuels. Par contre, l’Eglise répète que les personnes homosexuelles « doivent être accueillies avec respect, compassion et délicatesse ». Une personne ne se réduit jamais à ses actes, et méritent respect et considération. Le pape François a souvent répété cette phrase, parfois caricaturée ou sortie de son contexte : « Qui suis-je pour juger ? ». C’est le premier réflexe que doit avoir tout chrétien : ai-je le droit de juger autrui ? Ai-je tous les éléments en ma possession pour me permettre de porter un jugement négatif sur une personne ?

 

Cela ne signifie pas que les actes posés par cette personne échappent, eux, à un jugement moral. Cette distinction entre la personne et ses actes est souvent critiquée par les personnes opposées à l’enseignement de l’Eglise sur la sexualité et l’homosexualité. Mais il s’agit pourtant là d’une règle de bon sens afin de garantir le respect de tout à chacun. « L’acte que tu as posé est objectivement mauvais, mais toi, tu vaux bien plus que cet acte et tu peux le dépasser ». Cet exemple s’applique aussi bien à un enfant venant de commettre une bêtise qu’aux pécheurs lambda que nous sommes tous !

 


Milkipress - Considérant les Ecritures et la Tradition, peut-on assimiler la pratique homosexuelle à un péché, et pour quelle raison ?


Antoine Pasquier: La définition d’un péché est une matière difficile, car la faute est à la fois objective mais également subjective. Il existe, si l’on peut employer une expression connue, des circonstances atténuantes. Peut-on placer sur un même niveau une personne commettant un péché alors qu’elle ignore que c’en est un, et une autre « récidivant » sciemment ? L’Eglise, par l’intermédiaire de ses pasteurs, tient compte, dans son appréciation de la subjectivité d’un péché, de plusieurs facteurs : la maturité de la personne, son état d’angoisse, la force des habitudes contractées et divers autres facteurs psychiques ou sociaux qui peuvent atténuer, voire même réduire au minimum la culpabilité morale. Je ne suis pas compétent – il faudrait s’adresser à un prêtre – pour faire la liste des péchés recensés par l’Eglise.

 

Si tant est qu’on puisse en dresser une ! Par contraire, l’acte homosexuel – mais il n’est pas le seul ! – est un manquement à la chasteté. Et quand je parle de chasteté, terme malheureusement incompris ou mal connu, je ne parle pas de continence ou d’abstinence. La chasteté est une vertu, qui permet de vivre sa sexualité de manière pleinement humaine et respectueuse des personnes, à commencer par soi. Mais pour bien comprendre les raisons avancées par l’Eglise pour classer l’acte homosexuel parmi les manquements à la chasteté, encore faut-il connaître la pensée de l’Eglise sur la sexualité ! On ne peut pas comprendre la parole de l’Eglise sur la sexualité si on ne fait pas l’effort de prendre le temps de lire et de comprendre son enseignement  en la matière.

 


Milkipress - Contrairement à ce qu’induisent certains clichés tenaces, l’Eglise n’est pas hostile à la sexualité par nature. Où se situent donc les points de friction majeurs, et quel pourrait-être – en substance – le périmètre d’une "sexualité saine" ?


Antoine Pasquier: Comment l’Eglise pourrait-elle être hostile à l’acte sexuel ? Il est à la source de toute vie, il est à la source du plus beau don que l’on puisse faire : se donner à l’autre pour donner la vie. Nous ne sommes plus au temps des Cathares qui estimaient que la chair était mauvaise. Pour l’Eglise catholique, l’Homme est à la fois âme et corps. L’amour s’exprime par des sentiments, mais aussi et avant tout par le corps. Depuis Jean-Paul II, l’Eglise développe une vision éminemment positive de la sexualité. Entre 1979 et 1984, chaque mercredi matin, lors de sa catéchèse quotidienne, le pape polonais a développé ce qu’il appelle la « Théologie du corps » ou, pour être plus compréhensible, la pédagogie du corps. Il y explique la place de l’amour humain dans le plan divin. Dieu a voulu faire de l’Homme – au sens générique du terme – le co-créateur du monde terrestre.

 

Il a délégué à l’homme et à la femme la capacité de donner la vie en se donnant l’un à l’autre de manière réciproque et désintéressée, c’est-à-dire sans instrumentaliser l’autre pour son seul plaisir personnel mais en cherchant le bien de l’autre. C’est en se donnant que l’on reçoit ! La liturgie du mariage consacre d’ailleurs cette expression : « je me donne à toi et je te reçois ». C’est pour cette raison que l’Eglise a toujours considéré que le mariage devait précéder l’acte conjugal car, comment se donner dans nos corps si on ne s’est pas donné à l’autre pour toute la vie, âme corps et esprit, au travers de cet engagement public et solennel qu’est le mariage ?


L’acte sexuel a une double signification : unir les conjoints dans leur chair - car cela est bon - et donner la vie. Pour l’Eglise, les époux doivent faire rayonner leur amour, et ne pas le garder jalousement, ils doivent le rendre fécond. D’abord en ayant la volonté d’avoir des enfants, ensuite par leur volonté de s’ouvrir aux autres, de s’ouvrir au monde, notamment dans le service de nos frères et de la communauté.


Je n’aime pas l’expression « sexualité saine », qui donne à penser qu’elle serait soit hygiéniste soit la seule valable avec le risque d’exclure une quantité de personnes. Là encore l’Eglise ne juge pas, elle montre un chemin : celui d’une sexualité du respect et du don. Tout à chacun, et les catholiques inclus, devraient se poser ces questions : ma sexualité est-elle respectueuse de mon corps et de ma dignité ? Suis-je respecté par l’autre ? Est-ce que je respecte cet autre dans son corps et sa dignité ? Est-ce que je me donne totalement à l’autre, et si non, pourquoi ? Chacun doit répondre en conscience à ces interrogations. 

 

 

Milkipress - La crise des vocations sacerdotales peut-elle être vaincue par un renouvellement de la doctrine catholique envers la question de la sexualité ?


Antoine Pasquier: La crise des vocations est une épreuve difficile pour les catholiques. Pour autant, elle ne doit pas être un prétexte pour déprécier l’enseignement de l’Eglise, tiré des Ecritures et de la Tradition. D’autres confessions chrétiennes ont pris ce chemin, et cela s’est avéré infructueux. Et même contre-productif. La majorité de ceux qui ont aujourd’hui la vocation en France partagent l’enseignement de l’Eglise sur l’amour humain. Au lieu de vouloir le renouveler, les catholiques devraient s’attacher à le lire, l’entendre, le comprendre, le vivre et le partager. Les jeunes recherchent de l’authenticité, pas des solutions de facilité. 

 

Pour suivre Antoine Pasquier: site Famille Chrétienne

 


 

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