C’est un fait d’observation récente : l’hypermorale redevient à la mode en Occident. Qu’il soit chrétien, juif ou musulman, le croyant réintègre doucement, par paliers progressifs, le giron des vieux castreurs. Intimement confortés par le spectacle de la débraille universelle, ces derniers ressurgissent plus énervés que jamais.
Combien de délits, de crimes contre la morale élémentaire perpétrés depuis ces dernières décennies ? Combien de vies, de générations brisées par l’abrutissement des sens et la généralisation de l’athéisme pratique (fait de vivre concrètement comme un athée, quel que soit le degré de foi personnelle) ?
Pour ces néo-mercenaires, il s’agit de réagir, et vite :
Dans les paroisses catholiques, au sein des groupes de prière et des réunions de catéchèse, on réinstaure un triste cuculisme ambiant, un esprit de corps identitaire encore assez sage mais en phase d’irritation progressive. La sécheresse du cœur se rencontre désormais jusque dans les sacristies, et les comportements droitiers basiques gagnent du terrain.
Chez les musulmans, la réaction prend des ampleurs parfois dramatiques. Sans tomber dans le catastrophisme niais, reconnaissons du moins le phénomène. Au-delà des fameuses généralisations hâtives, les signes globaux ne trompent plus :
Explosion non régulée du marché communautaire (en 2012, une enseigne française va jusqu'à se lancer dans le dentifrice halal), comportements de sécessionnisme culturel ici ou là dans les écoles (cf. rapport Obin de juin 2004), incapacité croissante d’entendre toute critique (comme chez les chrétiens), développement sans précédent du moi pathétique, participation impulsive aux grands débats sociétaux (le mariage pour tous marquant une exception très étonnante).
Désormais, dans de nombreux quartiers, les jeunes tendent à tout classer au filtre de l’opposition binaire hallal/haram, licite/illicite ; dès lors, les travaux sociologiques commencent à admettre la résurgence de types d’intolérances très anciennes, disparues du pays depuis la fin de l’Ancien Régime (cf. l’épisode tristement mémorable du face à face Kery James/Taslima Nasreen sur le plateau de Thierry Ardisson).
Réduire la profusion du réel à l’alternative rachitique licite/illicite, c’est atrophier l’islam et son message à la portion la plus congrue ; car en effet, le coran ne cesse de célébrer la magnificence de la création, sa diversité, sa richesse intarissable, offerte au croyant par la bonté d’Allah. D’autre part, et c’est bien là le plus important de l’affaire, l’islam ne réduit pas la marge du croyant au couple hallal/haram. En effet, la religion musulmane ménage toute une zone de liberté entre ces deux pôles, à l’intérieur de laquelle on distingue :
-le recommandé (mandub),
-le déconseillé (makruh),
-le neutre (mubah).
C’est par les interstices de la morale que la culture peut s’élancer. Veillons donc à garder en tête, au côté du couple hallal/ haram, les notions de mandub, makruh et mubah.
Pierre-André Bizien
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