Forte d’une croissance de PIB d’environ 8% ces trois dernières années, la Turquie connaît un développement économique sans précédent. Les réformes engagées suite à la plus grave crise financière de son histoire en 2000, puis l’arrivée au pouvoir de l’AKP (parti de la justice et du développement) fin 2002 n’y sont pas étrangères. La stabilité politique, dans un pays marqué par les gouvernements de coalitions de courtes durées, a permis une projection dans l’avenir et une relative confiance dans la continuité des institutions.
La stabilité et le développement économique ont en outre permis au gouvernement de mener une politique étrangère plus active et plus visible. Sans rompre les liens avec les pays occidentaux, Ahmet Davotoglu, ministre des affaires étrangères, s’est attaché à rééquilibrer la politique de la Turquie en développant des liens avec d’autres pays, notamment au Moyen-Orient. La couleur conservatrice et musulmane du parti au pouvoir, clairement revendiquée, a permis une plus forte identification des pays arabo-musulmans.
Plus particulièrement depuis ce que l’on désigne le « Printemps arabe », la Turquie est perçue comme étant un pays alliant développement économique, modernité et valeurs traditionnelles. Les nouvelles majorités qui se sont imposées en Tunisie ou en Egypte sont allées jusqu’à reprendre les symboles de l’AKP et le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan a été particulièrement bien accueilli lors de ses visites dans la région.
Dans un pays constitutionnellement laïc fondé par Mustafa Kemal Atatürk en 1923, l’affirmation du fait religieux dans l’espace public n’allait pas de soi. Atatürk – considérant que "l'homme politique qui a besoin du secours de la religion pour gouverner n'est qu'un lâche" et que "jamais un lâche ne devrait être investi des fonctions de chef de l'Etat" – a réalisé une véritable révolution culturelle, marquée notamment par le passage de l'alphabet arabe à l'alphabet latin, et la mise sont contrôle de la religion.
Au-delà de la dimension religieuse, force est de constater que la politique gouvernementale de l’AKP de ces 10 dernières années a porté ses fruits : développement économique, visibilité accrue sur le plan international, stabilité, mise sous contrôle d’une institution militaire pourtant à l’origine de trois coups d’Etat dans l’histoire du pays (1960, 1971, 1980)… Cependant, de nouvelles difficultés se posent et mettent en péril le modèle turc.
Tout d’abord, l’AKP en est à son troisième mandat. Le risque de dérive autoritaire, inhérent à toute longue pratique du pouvoir, est réel. Renforcé par les urnes, le gouvernement tend à prendre de moins en moins en compte les minorités et les oppositions politiques. La culture du compromis est quasiment inexistante et le clivage entre pro et anti gouvernementaux se durcit. Le premier parti d’opposition, le CHP (parti républicain du peuple fondé par Atatürk) ne semble pas en mesure de gagner les prochaines élections, notamment en raison de son manque de représentativité dans les classes populaires.
Par ailleurs la coopération renforcée avec les monarchies arabes, notamment dans la crise syrienne, illustre un changement de politique étrangère : autrefois fidèle à la doctrine du « zéro problème avec les voisins », la politique gouvernementale semble évoluer vers l’ambition d’une expansion confessionnelle. De fait, la dimension religieuse prend une part de plus en plus importante dans les choix en matière de politique étrangère.
La Turquie, de plus en plus consciente de ses forces et de son potentiel, semble peu à peu endosser le statut de leader régional incontournable. Un leader dont la nature sera déterminée par ses dynamiques internes et sa capacité à faire émerger une alternance politique. L’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, longtemps débattue et affichée comme étant un objectif premier du gouvernement turc, ne semble plus être d’actualité.
Tarik Yildiz
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