L'incohérence argumentative des partis politiques français

 
Depuis quelques années, la plèbe française végète dans l’hébétude : l’appareil politique national fonctionne à la manivelle, et ses articulations couinent de toutes parts. La déraison d’Etat s’étend sur toutes les sections fonctionnelles du pouvoir légitime. La corruption progresse dangereusement jusqu’aux sphères ministérielles (Cahuzac, Guéant ?), et l’économie implose.

 

De fait, depuis 1974, la France est chaque année en déficit ; en 2013, la dette du pays atteint  200 milliards d’euros (soit 95% du PIB national). Constamment, il est question de moderniser, de simplifier le régime de prélèvements, d’assainir la fiscalité, de réguler le système… Derrière ce beau lyrisme programmatique, les majorités successives s’emploient consciencieusement à sodomiser le réel, et la chienlit étend son auréole. 

 

Considérations apéritives


Toujours aussi con, le contribuable moyen persiste à payer ses impôts sans beugler outre mesure. Il "geint", nous précise le sociologue Bruno Latour. Il gémit sur le flanc, tel une bête engourdie qui attendrait passivement son heure. En style hugolien, on pourrait aller plus loin : le Français, c’est un lion qui aboie. Et pour cause…

 

Le citoyen lambda, abrutifié par le ronron pédo-publicitaire, ne prend plus part active au fonctionnement de la cité ; la chose publique, technocratisée, l’ennuie au plus haut pic. C’est l’expert, cyclope mono-focal, qui revêt dorénavant la tiare ; il incarne la sacralité cathodique officielle, elle-même appuyée sur l’appareil de décérébralisation massive du ludisme audiovisuel. Nabilla, Booba, Enora Mallagré… notre star system est formel ; tel un thermomètre planté dans le cul social, il nous informe sur notre santé mentale collective.


La France à l’asile, c’est maintenant ; ainsi nous parle l’oracle médiatique, en style crypté. Et de fait : depuis septembre, on apprend dans la presse la plus sérieuse que le "bien culturel" qui sera le plus vendu en 2013 n’est autre que le jeu vidéo GTA V (bagnoles, flingues et gros tétons). "L’humanisme triomphe !", s’écrie Jacques Lang… et Michel Serres, philosophe-actionnaire de la smartphonocratie, caresse avec gourmandise petite Poussette.

 

Du peuple au public

 

Comment donc s’étonner ? Ce chien de Fumaroli nous avait pourtant prévenus :

 

La Culture démocratisée tue le naturel sous la prolifération du culturel, et de sa panoplie de prothèses. (…) Il ne reste plus que deux degrés de style : le style administratif et le style voyou. (…) Décadence ! Ce mot est trop beau, trop romantique pour se faire jour dans notre prospérité frivole et repue»

(In "L’Etat culturel", immense référence de l’idéologiquement pas bien, à faire pâlir Murray, Houellebecq et autres Finkielkrauts en faction).

 

Oui, effectivement. Cette conception prétendument généreuse et large de la culture, le "culturel", c’est au fond la plus droitière des cultures que l’on puisse imaginer, car elle figure l’apothéose du fric et du consumérisme capitalistique : le bien de conso, soldable, achetable en pack ou à l’article. La pensée socialisante contemporaine s’est retournée, révolutionnée sur et contre elle-même, écrasant Jaurès, Ferry et l’insondable génie populaire français.

 

Tenez, installez-vous quelques minutes sur le rebord infect de la fontaine des "Innocents", en plein quartier des Halles à Paris. Vous y contemplerez l’essence quintessenciée de la jeunesse française actuelle : une longue procession de connards blasés, l’œil mi-clos, rétine inerte, vêtus et chaussés à l’américaine, carte de crédit fumant dans la poche. Vous y croiserez pêle-mêle la techno-lavette androgyne, le black identitaire en pleine crise ethnique, la pétasse en chaleur, les salopes à perruques… et nos politiques de s’extasier sur cette jeunesse pleine de vie, d’enthousiasme et de promesses.

 

Samsung et Nokia triomphent partout, traversant, transperçant, toutes les strates sociales. On crève heureux, gagaïsés par la technologie numérico-digitale. On ne débat plus, on communique ; on n’échange plus, on share ; on n’apprend plus, on télécharge ;  on ne se regroupe plus, on se connecte en réseau. Ainsi va le progrès, ou du moins sa conception capitalistique vendue à tous les petits altermondialistes cocufiés de la rose. Sucer le cul du système avec pour seul mot "merde" à la bouche, quoi de plus naturel, de plus mathématiquement prévisible ? L’ombre du tee-shirt Che Guevara, article de consommation planétaire, plane sur le ciel bleu de nos rêves.

 

En ces temps d’inversion culturelle globalisée, on croit encore que l’échiquier politique ne s’est pas insidieusement retourné, que la gauche est à gauche, que la droite reste à droite, et que nos élites se réclament de l’ordre plutôt que de la subversion.

 

Travestisme politique

 

La droite sarkozyenne, prétendument libérale, a soviétisé l’économie en multipliant comme jamais les taxes quotidiennes (taxes sur les nuitées d’hôtels de luxe, taxes de droit de timbre, taxe sur la capitalisation boursière, taxe sur les sociétés d’assurances, sur les complémentaires santé, hausse de la fiscalité sur les plus-values mobilières…). La droite, prétendument sécuritaire, a aboli la double-peine, supprimé des milliers d’emplois dans la police (alors qu’elle en réclamait bien davantage en 2002). Elle a tenté d’imposer le culte du communiste Guy Môquet dans les écoles, mais s’est alors heurtée contre le mur des syndicats et de toute la gauche réunie. Enfin, elle a fustigé la grande finance comme jamais la gauche n’a osé le faire, en invoquant perpétuellement Jaurès, avec un plaisir plus qu’appuyé.

 


La gauche, de son côté, a fait bien mieux. Avec sa fameuse politique de prévention, elle prône l’intervention de l’appareil policier avant même qu’aucun délit ne soit commis ; tandis qu’elle clamait, en 2002 contre la droite, que l’on ne peut mettre un agent de sécurité derrière chaque citoyen, elle accuse désormais le sarkozysme d’avoir réduit le nombre de policiers… et corrige le tir en créant des milliers de nouveaux postes dans les commissariats ; prétendument anti-raciste et anti-misogyne, elle s’ingénie à défendre des amas de jeunes qui détestent les juifs et qui veulent voiler les femmes, du seul fait de leur couleur de peau (elle appellerait pourtant l’armée si de telles velléités étaient le fait de petits blancs catholiques).

 

Prétendument laïque et religio-sceptique, elle défend les prières de rue, du moment que ces dernières ne sont pas le fait de catholiques… auquel cas elle les dénonce avec la dernière sévérité (et inversement du côté de la droite, qui n’aime la laïcité que lorsqu’elle s’oppose à l’islam… et la fustige dès qu’il est question de son rapport historique au catholicisme) ; la gauche n’hésite pas non plus à parler de racisme dès qu’il est question de critiquer l’islam (associant ainsi les musulmans à une race, et en oubliant que l’on peut être celte et croire en Mahomet) ; la gauche se prétend opposée à l’idéologie lepéniste tout en réclamant, par la voix de Samia Ghali, l’intervention de l’armée dans les cités et la surveillance de la ville de Marseille par des drones (Eugène Caselli). Bien entendu, ces deux élus ne sont pas racistes, mais leurs propositions fusionnent ici avec celles de Jean-Marie.

 

La gauche n’a cessé, sous le quinquennat de Sarkozy, de fustiger sa politique sécuritaire ; une fois au pouvoir, elle dénonce désormais le "laxisme" de la droite. La gauche n’a cessé de dénoncer le racisme d’Etat sous l’infâme Guéant ; une fois au pouvoir, elle annonce que le nombre de reconduites à la frontière sera maintenu au même niveau. Elle dénonçait le démantèlement des camps de Roms, parlant de rafles ; elle les pratique désormais quotidiennement, y compris avec l’aval de Martine Aubry à Lille…

Pis : à l’occasion du mariage pour tous, les opposants au projet de loi s’insurgent en clamant que les vrais sujets, ce sont le chômage et l’emploi. Le gouvernement fait le gros dos et persiste. Une fois la loi votée, le président Hollande annonce alors qu’il faut cesser de s’occuper du mariage pour tous, car les vrais sujets, ce sont… le chômage et l’emploi.

 

En guise de conclusion, cher lecteur, cesse d’imaginer que l’échiquier politique est un astre figé au centre de l’univers ; il tourne sur lui-même, comme la terre, comme le monde. Ose opérer ta révolution copernicienne en matière politique, car à l’heure actuelle, nous n’en sommes encore qu'aux élucubrations médiévales.

 

Pierre-André Bizien

 

(Photo : Cyclotron)
 

 


 

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