Fédéralisme européen: méfiez-vous des enchanteurs

 

En mai prochain, le nouveau Parlement européen élira le président de la commission. Une révolution : une constituante de facto  qui donnera le départ à une grande réforme des institutions européennes. Une feuille de route chargée, une harmonisation budgétaire pour la zone euro et par la suite, finances rétablies, une révision des traités. D’ores et déjà des voix s’élèvent pour en appeler à "plus d’Europe", à une Fédération européenne.

 

Du côté de la commission c’est l’impétueuse vice-présidente de la commission,Viviane Reding, qui nous fait en ce début d’année un plaidoyer vibrant pour des Etats-Unis d’Europe  et du côté du Parlement, le président Martin Schulz agit déjà, depuis son élection, comme un président de la commission de jure mais sans grandes prérogatives.

 

Les fédéralistes sont sur les starting-blocks! Mais il faut tout de même se poser la question sur la nature réelle de leur croisade européenne. Qu’est-ce donc que leurs Etats-unis d’Europe?

Les Nations c’est la guerre ! Voici, à la fois, leur hypothèse de départ et leur fin mot de l’histoire. La Nation est-elle si mauvaise que ça ?

 

S’il est vrai que les nationalistes, à ne pas confondre avec les nations, furent à l’origine des deux atroces guerres mondiales et civiles européennes au 20ème siècle, il faut rappeler que la Nation, historiquement parlant, c’est aussi une « éducation nationale », une « sécurité sociale » et une « santé publique ». Cela n’est pas totalement négatif quoique loin d’être parfait. Dans cette vision post-nationale des fédéralistes, qui vise à tout mettre en commun et à révoquer l’Etat-Nation, qu’est ce qui nous garantit que l’éducation, la sécurité et la santé européennes seront aussi bonnes ou meilleures que nos systèmes actuels ?

 

Un service d’Etat défaillant parce que devenu « fédéral » ne peut pas se transformer comme par enchantement en  panacée sociale. Résultat, après mise aux normes et autres transferts de compétences vers la fédération, on pourrait non pas rendre plus viables les services de l’Etat, mais les aliéner dans un maelström administratif.

 

Observation : à propos des dettes.


En quoi la mise en commun changera l’obligation de les payer ? Ce sera toujours une créance à recouvrir. Pour ces deux exemples, des services sociaux et de la dette, il s’agit de tout changer pour mieux conserver tant bien que mal ce qui est déjà  défaillant.

 

Faire donc sans la « nation » mais en récupérer les prérogatives : est-ce bien une fédération ? On rêve donc du financement d’une armée européenne, d'une sécu européenne, d’assurances sociales, de santé, d’éducation etc.…Si nos Etats-Unis à nous délestent nos Etats de leurs prérogatives régaliennes pour s’en faire leurs, pouvons-nous encore parler de Fédération? Nos fédéralistes ne sont-ils pas en fait des nationalistes européens, comparables au jacobinisme français, au nationalisme de Bismarck ou au Risorgimento italien ? D’autant plus déconcertant et paradoxal que l’idée même européenne est devenue évidente après la chute de ses Empires, alors que ses nations se sont émancipées de ces derniers.


Leur Europe fédérale n’est en fait qu’un nationalisme. Le post-nationalisme de nos fédéralistes n’est qu’un néo-nationalisme, qui pourrait tout aussi bien, comme un état-nation, nous apporter la guerre.

 

La réelle fédération n’est pas une affaire de symbiose, d’amalgame, d’abolition des frontières ou de taille : c’est une affaire d’autonomie et de subsidiarité. Les limites de l’autonomie d’un Etat doivent en être  sa condition. Un état endetté outre de raison ne peut être apte à s’engager sur la voix fédéraliste, et cela n’a pas l’air de déranger nos Etat-Uniens d’Europe, bien au contraire. Seule cette souveraineté d’où d’écoule un libre consentement ou libre-arbitre peut nous faire entrevoir une Union solide. C’est comme un mariage dont la maturité et l’émancipation des mariés, « libres » et j’insiste, sont nécessaires à la validité de l’acte et viabilité du couple.

 

Le principe de subsidiarité est une ritournelle générale depuis la création du projet européen, on nous la chantonne à l’oreille, comme une berceuse à un bébé pour qu’il arrête de pleurer, mais jamais ce principe pertinent et nécessaire à l’achèvement d’une fédération n’a été mis en pratique. Ce ne sont pas nos post-nationaux qui s’en réclameront, leur projet étatique ne tient pas de la vision extatique. C’est la course échevelée de la construction européenne, où les pierres angulaires  ne sont que des rochers de Sisyphe.

 

On a voulu la monnaie avec une Banque centrale sans autorité , on a voulu une ouverture des frontières sans délimitation du territoire, on a voulu imposer une constitution qui est aujourd’hui déjà obsolète et qui ne constitue rien, se bornant à rappeler en fait, l’observation des mécanismes et qui se garde bien de spécifier tout trait de caractère singulièrement européen. A vouloir une Europe à tout prix, l’expérience nous enseigne que l’addition peut être salée. Lors de la crise de l’Euro, ce sont bien les nations entre elles qui ont apporté une solution provisoire, ce n’est ni la commission, ni l’administration et encore moins le Parlement qui ont fait poindre un espoir de salut durant la tempête. Comme quoi les nations sont encore assez vertueuses pour sortir les institutions de leur passivité endémique.

 

Il faut faire la Fédération, non pas, en déconstruisant ou en ignorant, mais il faut la faire, là où on a besoin d’elle, là où ça marche. Dans son millénaire d’existence, le Saint Empire Romain Germanique n’a jamais été une structure fixe et encore moins un état, il fut plus ou moins une plateforme de coopérations, d’unités relatives , un lieu chaotique de débats où la Diète d’empire a eu des configurations différentes. L’empire ne reposait que sur une relative loyauté volontaire et une foi. Tout cela pour vous dire que ce dernier n’avait rien de physiquement impérialiste et encore de moins Nationaliste !

 

Nous sommes aveuglés par la vision chimérique de la construction européenne, qui pour moi, tient d’une bigoterie remontant au XIXe siècle. Cet espoir ravageur dans la fin des temps  procède exactement de la même façon que le nationalisme. On sacrifiera tout ce qu’il est possible de sacrifier pour arriver à ce monde meilleur, comme passer outre le résultat des référendums pour imposer la constitution. Cet aveuglement tend vers un totalitarisme où le triomphe d’un projet est plus important que la dignité humaine.

 

Il ne faut pas se leurrer sur  le vrai visage de nos Nationalistes Fédéralistes. Ainsi le débat ne serait plus entre un souverainisme défendant son pré carré et un fédéralisme généreux, entre un nationalisme et un post-nationalisme mais entre un nationalisme étatique  Européen et un fédéralisme réel. Et c’est parce que l’Europe est une histoire complexe  avec des relations à travers ses nations, ses régions et ses familles, ses singularités, qu’un Fédéralisme , mariage d’amour et libre dans son consentement est seulement possible. C’est ici que notre affaire tourne à la chanson de geste, au  chevaleresque avec ses enchanteurs de la politique, prompts à se battre contre des moulins à vent . Il y aurait aussi de quoi faire rechanter Dante pour Béatrice.


Enfin, soyons plus prosaïques pour conclure. En mai prochain, les élections décideront du nouveau président de la commission. Cela implique un vote responsable et clairvoyant et aussi une exigence vis-à-vis de nos élus.

 

L’heure est venue d’incarner l’Europe, de ne pas sombrer dans le désespoir  d’un souverainisme qui ne serait que l’autre face de la pièce de l’aliénation du post nationalisme. Ni pile ni face. Il faut changer les termes du débat.

 

Peregrine Browne

 


 

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