Véritable phénomène en son temps, ce moine visionnaire fut l’un des artisans de la résurrection des Jeux Olympiques modernes, à la fin du XIXe siècle. Fou de sport et de science, passionnément démocrate, Didon était un prêtre iconoclaste, en avance sur l’Institution qu’il représentait. Au fond, rien d’étonnant.
Lorsque Jésus ressuscite, ce n’est pas Pierre mais bien Jean qui arrive le premier sur les lieux du miracle ; de fait, ce n’est jamais à la tête de la hiérarchie que la Bonne Nouvelle se manifeste en premier… et le magistère aura toujours une petite longueur de retard sur les chrétiens d’avant-garde.
Un mutin clérical
Henri Didon (1840-1900) est né au Touvet, dans un petit village du Dauphiné. Fils d’un huissier modeste, il vit une enfance tranquille et entre chez les dominicains à 16 ans. Parallèlement à sa formation religieuse, il suit les cours de science que dispense Claude Bernard au Collège de France. Didon est alors un jeune homme plein d’enthousiasme, qui choisit de se consacrer à Dieu sans pour autant renier le monde. Ardent militant des droits divins comme du progrès social, il ne tarde pas à se faire de nombreux ennemis dans les rangs de l’Eglise, comme dans ceux du monde profane.
A ce sujet, le père Stanislas Reynaud précise :
« La masse croyante le suspecta parce qu’il était un moderne ; la masse incroyante le suspecta, parce qu’il était un croyant. Les incroyants le combattirent à cause du but qu’il poursuivait. Les croyants le combattirent, à cause de la méthode qu’il employait »
On se figure le degré d’inconfort qu’il endura tout au long de son apostolat, blessant les uns car il parlait de Dieu sans guillemets, hérissant les autres parce qu’il raillait les préjugés antimodernes de la religion ordinaire.
Il exécrait la soumission d’esprit, les conventions conservatrices, l’absence de fantaisie, l’étroitesse morale. A ses yeux, la routine religieuse est un principe de mort, qui n’a rien à voir avec l’esprit de tradition. De même, la volonté de moderniser l’Eglise n’a rien d’hérétique en soi ; pour subsister, l’arbre doit se dépouiller à chaque automne de ses vieilles feuilles. Ainsi est-il nécessaire d’abandonner ce qui est désuet dans l’Institution pour que cette dernière conserve constamment sa jeunesse. Les branches desséchées doivent tomber pour laisser pousser du tronc de nouvelles tiges ; rien que de très normal. En clair, ce n’est pas forcément être contre la tradition que de souhaiter l’abandon de certains usages.
Il serait cependant erroné de considérer le père Didon comme une sorte de prêtre rouge. Loin de cela, il s’avéra souvent farouchement catholique, tant dans les sentiments que dans la formulation de ses idées. Ainsi peut-on lire, au hasard de ses publications, certains sommets de désuétude : « Il en est des vices de l’âme comme des maladies du corps ; ils s’engendrent les uns les autres » ; « L’esprit fermé aux inspirations d’en haut n’obéit plus qu’aux instincts d’en bas » ; « Qu’on regarde le moyen âge. Vit-on régner jamais plus de liberté d’esprit que dans ses écoles ? »…
D’autre part, Didon ne tomba jamais dans la complaisance « altercléricale », cette posture philo-mondaine qui consiste à revêtir l’habit du prêtre martyr pour mieux triompher dans l’opinion. Bien au contraire, il se fit invariablement l’apologète de la doctrine chrétienne, en dépit des errements de l’institution de l’époque.
De fait, il soutient que l’Eglise peut tout à fait être reconnue sainte, et ce malgré la médiocrité de ses membres : « Pourquoi toujours confondre une institution avec ceux qui pourraient la déformer ? L’Institution est divine ; les hommes ne le sont pas ». Toujours, les laïcs reprochent à l’Eglise d’incarner ceux-là mêmes qui la travestissent : aussi, « le temple était-il coupable de la simonie des vendeurs ? »
Ce que Didon fustige avant tout, c’est l’abaissement du niveau intellectuel de la France. Tandis qu’au XVIIe siècle le pays impressionnait toute l’Europe par la clarté de son génie, il se trouve que deux siècles plus tard, ses enfants passent partout pour des consciences légères et frivoles. « La pire race d’esprits n’est pas celle des sophistes, mais bien celle des bavards ».
Un joyeux décliniste
Didon n’en démord pas : la France décline intellectuellement. La science y est enseignée selon la méthode de la spécialisation à outrance. L’esprit de la monographie ravage le savoir, qui est intrinsèquement lié à l’esprit de synthèse.
Ici, la connaissance meurt de son éparpillement maladif. LES sciences prolifèrent, tandis que LA science, elle, demeure introuvable : « On aura des géologues, des chimistes, des physiciens, des anatomistes, des physiologistes, des médecins, des juristes, des géographes, des paléontologues ; on n’aura pas le savant ».
En vérité, l’harmonie de la science au singulier relève de l’ordre du spirituel, de la métaphysique. « N’est-ce pas une science synthétique, et par là-même religieuse, qui a élevé les pyramides, construit le Parthénon, inspiré Platon, Sophocle et Homère ». Didon en est convaincu, la science ne peut être que « totale », et doit accueillir la religion en son propre sein : « Le génie ne peut éclore que sous la triple inspiration de la raison religieuse, de la raison philosophique et de la raison expérimentale ».
L’un des pires effets du positivisme scientifique est le scepticisme, qui gangrène alors les consciences de l’époque. Didon remarque avec horreur que les jeunes eux-mêmes sont touchés par cette infection virulente : « Le scepticisme devrait être le mal des vieillards ; non, il est aujourd’hui le vice précoce des intelligences » ; générée par l’essoufflement intellectuel, cette maladie de l’esprit touche désormais toutes les générations.
Dans ce contexte, le réflexe du doute n’est pas tant la marque d’un esprit méthodique, que le signe de l’assèchement intellectuel. A ce sujet, reconnaissons que le constat est toujours ignoré de nos jours.
Entraîné par l’élan de ses luttes, le père Didon finit par irriter ses supérieurs religieux. On le tance, on le rappelle à la mesure. Didon n’écoute pas ; il prêche, il argumente avec passion devant des publics de plus en plus nombreux. Sa renommée s’amplifie, déborde de tous côtés… Didon se sent fort. Il en vient même à contester l’autorité de ses supérieurs. Le couperet tombera finalement, et il sera relégué au fin fond d’un petit monastère corse.
Soit, notre entêté poursuit tranquillement ses objectifs. Directeur d’un établissement scolaire à Arcueil, il se met à promouvoir avec passion la pratique du sport, lequel exercerait une influence morale bénéfique sur les écoliers. Il ira jusqu’à dire que l’activité physique est une vertu morale ; elle exalte l’esprit de lutte, la combativité, l’effort endurant. Une fois encore, Didon se croise pour une nouvelle cause. Il se met à organiser des jeux athlétiques amateurs, et fréquente le baron Pierre de Coubertin. Contribuant à la naissance des jeux Olympiques de l’ère moderne, il emmène ses élèves à Athènes pour leur première édition, en 1896.
Combien de prêtres faudrait-il de nos jours pour accomplir l’équivalent de l’œuvre de Didon ? Didon… Didon… quel patronyme entêtant ! Tâchons de garder en nous le souvenir de son légendaire enthousiasme.
Citations intéressantes :
« Une fraternité, sans un même Père qui est aux cieux, est un leurre ; et nous croyons moins à la fraternité des anthropoïdes qu’à celle des fourmis, des abeilles et des castors » (L’homme selon la science et la foi)
« On peut entraver le règne de Dieu, on ne peut pas le détruire » (L’enseignement supérieur et les universités catholiques)
« Il n’y a pas d’exemple d’hallucinés conquérant le monde. Tous sont condamnés à ne recueillir que la compassion. Ainsi, nier le miracle de la résurrection de Jésus, c’est en créer un autre : la fondation du Christianisme par des hallucinés » (Jésus-Christ)
« Ce n’est pas le tort d’un principe, si la passion en tire de fausses conséquences » (L’homme selon la science et la foi)
« C’est à Jésus que tout se termine et de lui que tout dérive. Après deux mille ans, il reste la personnalité la plus vivante et la plus nécessaire, la plus contredite et la plus invincible » (Jésus-Christ)
« Quelle heure bénie et prospère que celle où nous verrons les hommes de la science divine et les hommes de la science terrestre se tenir par la main » (L’enseignement supérieur et les universités catholiques)
« Quand vous verrez des enfants inertes, paresseux physiquement, soyez certains qu’ils le sont moralement, et quand vous voyez des enfants actifs jusqu’à la turbulence, soyez sûrs qu’il y a en eux des vertus en germe » (Discours sur l’influence morale des sports athlétiques, 29 juillet 1897)
Pierre-André Bizien
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