La guerre de Sept Ans (1756-1763), la véritable première guerre mondiale? Chiffres, témoignages, victimes


Premier conflit mondial de l’histoire selon certains historiens, la guerre de Sept Ans bouleversa l’Europe à un degré extrême. Les hostilités se déroulent avant tout au cœur de l’Europe, en Allemagne, mais la rivalité coloniale entre la France et l’Angleterre porte la guerre jusqu’aux confins du territoire nord-américain – en particulier le Canada – et s’étend jusqu’en Inde et en Afrique. C’est l’un des conflits les plus coûteux du XVIIIème siècle, en hommes et en argent. À l’issue du carnage, les Français perdent le Canada et l’empire des Indes, tandis que les possessions britanniques en Amérique du nord sont doublées ; en Europe, la Prusse s’impose comme une puissance émergente.

 


Contexte historique

 

L’Europe née du traité d’Aix-la-Chapelle (1748) mécontente certains monarques ; ainsi l’impératrice Marie Thérèse d’Autriche souhaite-t-elle reconquérir la Silésie, province cédée à son voisin, le roi de Prusse, Frédéric II. Devant le refus du roi anglais Georges II et du Parlement britannique de l’épauler dans son dessein, elle se tourne vers la France, en dépit d’un lourd passif diplomatique. Parallèlement, Frédéric II négocie en sous-main avec Londres.

 

“Les gouvernements de France et de Grande-Bretagne se regardaient avec suspicion. Ainsi Thomas Pelham-Holles, duc de Newcastle, qui allait devenir Premier Ministre en 1754, considérait les deux États comme des rivaux, sinon comme d’irréductibles ennemis” (cité dans Jonathan R. Dull, The French and the Seven Year’s War).

 

En effet, pour Newcastle, la France, considérée comme l’ennemie naturelle de la Grande-Bretagne, aspire à la monarchie universelle (le fantôme de Louis XIV pèse dans son jugement) ; il faut donc la combattre. Toutefois, il entretient des relations cordiales avec les autorités françaises et œuvre à maintenir l’équilibre politique.

 

Le renversement des alliances

 

Une fois assuré par le souverain prussien que ce dernier n’a pas l’intention d’attaquer le Hanovre, une possession anglaise située en plein territoire allemand (George Ier et son fils George II y sont nés), le roi d’Angleterre signe avec lui une convention de neutralité réciproque, le 16 janvier 1756. C’est l’événement “le plus heureux et le plus décisif qui pût arriver pour le bien de l’Autriche”, écrit Kaunitz, farouche partisan de l’alliance française et chef de la diplomatie de la maison des Habsbourg ; le ministre Autrichien  déclara quelque temps auparavant : “La Prusse doit être culbutée si la Maison archiducale veut survivre”. Cette convention précipita l’entente franco-autrichienne.

 

Le 1er mai 1756, Louis XV et l’impératrice-reine d’Autriche signent à leur tour une convention de neutralité ; une clause secrète stipule que l’Autriche s’engage à secourir le souverain français en cas d’invasion, et inversement. Notons que cette aide ne joue pas pour ce qui concerne le conflit entre la France et la Grande-Bretagne (des escarmouches surviennent épisodiquement en Amérique du Nord). Le traité de Versailles met donc fin à plus de deux siècles d’inimitié entre les deux pays ; l’accord fut rendu possible par l’intermédiaire de Kaunitz et de Mme de Pompadour, la favorite royale.

 

“Informée au sujet de la convention de Westminster, la tsarine Élisabeth s’estime trahie par le roi George II et se rapproche de l’impératrice Marie-Thérèse. Une triple alliance s’esquissait ainsi, entre la France, l’Autriche et la Russie” (André Zysberg, La monarchie des Lumières 1715-1786). La Suède et les Cercles, composés par les contingents des États allemands, renforceront cette alliance l’année suivante, constituant dès lors une large coalition anti-prussienne.

 

Coups de main dans le Nouveau Monde

 

Remontons le temps, en 1754 ; cette année, la rivalité franco-anglaise en Amérique septentrionale prend un tournant tragique. Dans le pays de l’Ohio, une vaste zone située entre le lac Érié et les Appalaches où s’affrontent les intérêts des Amérindiens, colons français et britanniques, le capitaine de Jumonville est assassiné ; ce meurtre contre un officier français, exécuté par les miliciens de George Washington (le futur premier président des États-Unis), est parfois désigné comme l’acte fondateur de la guerre de Sept Ans. Le jeune capitaine est tué d’un coup de tomahawk (une hachette) qui lui ouvre le crâne ; son assassin, un amérindien, se lavera ensuite les mains avec sa cervelle.

 

Toutefois, d’autres évènements antérieurs tout aussi sanglants ont lieu, bien éloignés de la guerre en dentelles parfois fantasmée. En 1752 par exemple, un épisode effroyable se déroule dans la localité de Pickawillany. L’historien Edmond Dziembowski détaille :

“Le raid est dirigé par Charles Michel Mouet de Langlade, un métis franco-outaouais au comportement explosif. Le détachement de soldats français et d’Indiens met en cendres la prospère bourgade et s’empare des femmes. Le chef, Memeskia, finit bouilli et mangé par les membres du commando (…) L’action de Langlade a provoqué une telle panique chez les Miamis que ceux-ci renoncent sur-le-champ à leur alliance avec les Britanniques et reviennent dans le giron de la France” (Dziembowski, La guerre de Sept Ans).

 

Ces actions d’une extrême violence constituent le prototype des nombreux raids franco-indiens qui se dérouleront pendant la guerre ; selon Bougainville, futur explorateur et navigateur, alors en poste en Nouvelle-France, une bonne partie de l’Amérique anglaise tremble devant les “Sauvages” qui pratiquent le scalp, un acte qui consiste à retirer une touffe de cheveux avec la peau sur la tête d'un adversaire. À ce titre, le roman illustre de James Fenimore Cooper, Le Dernier des Mohicans, immortalise ces actions à travers le massacre du Fort William Henry.

 

La “petite guerre”

 

Rappelons que pour les Français, ces alliances avec les autochtones sont vitales car elles permettent de compenser leur infériorité numérique face aux colonies anglaises. Qu’on en juge : à cette époque, les treize provinces d’Amérique du Nord comptent quelques 1,5 million d’habitants contre 90.000 habitants côté français, établis en Nouvelle-France (Pays d’en Haut, Louisiane, etc.) ; les Français sont donc quasiment 17 fois moins nombreux.

 

Les Anglais, malgré des renforts substantiels, restent toujours impuissants à contrôler la vallée de l’Ohio, la “belle rivière” en langue iroquoise ; leur échec tient surtout au fait que le haut commandement britannique s’acharne à combattre les Français par une guerre à “l’européenne”. En réalité, celle-ci est totalement inadaptée dans cette zone, car inefficace face à des contraintes spatiales et temporelles qui lui sont propres. À l’inverse, les Français et leurs alliés amérindiens mènent la “petite guerre”, une guerre à l’américaine percutante, faite de raids et d’embuscades dans les massifs forestiers. C’est par cette tactique de guérilla que les Germains, mille sept cent ans auparavant, taillèrent en pièces trois légions romaines dans la forêt de Teutobourg (IXe siècle).

 

Les Redcoats (tuniques rouges) parviennent néanmoins à envahir l’Acadie (Nord-Est), préalablement acquise par le traité d’Utrecht en 1713 mais peuplée majoritairement de colons français ; l’occupation tourne au nettoyage ethnique. Près de 10.000 personnes se réfugient en Louisiane et en France ; on appelle cet événement le “Grand Dérangement”. Rappelons qu’à cette date, les deux puissances sont toujours officiellement en paix. Aussi, chaque camp renforce ses alliances avec les tribus indiennes (Huron du côté français, Iroquois du côté anglais) dans le but de s’établir durablement et de capter le fructueux trafic des fourrures.

 

Louis XV déclare la guerre à la “perfide Albion”

 

Frustrée devant la résistance franco-amérindienne, Londres saisit une centaine de vaisseaux de commerce et de guerre français dans différents ports et en mer (certaines sources les estiment à 300) ; la prise de l’Alcide et du Lys au large de Terre-Neuve par l’escadre de l’amiral Boscawen cristallise toutes les haines en France. L’Angleterre sait que la marine de Louis XV est loin de faire jeu égal avec la Royal Navy et en profite. L’objectif est triple : économique, stratégique mais surtout humain. De fait, plus de 2.600 marins français sont capturés ; cela vise à paralyser le commerce, le ravitaillement des colonies et à neutraliser la force de frappe française.

 

La France, étranglée, s’insurge ; à cette occasion, l’Angleterre gagne définitivement le sobriquet de “perfide Albion” (elle s’en est vue affublée dès la guerre de Cent Ans (1337-1453)). Le marquis d’Argenson assimile quant à lui ces actes à la piraterie des corsaires d’Alger ; il déclare :

 

“Ces arrogants, ambitieux et usurpateurs anglais qui, semblables aux Algériens, déclarent la guerre et attaquent, sans droit, sur des prétentions usurpatrices” (Journal du marquis d’Argenson, 1755)

 

Le 21 décembre 1755, Louis XV adresse un ultimatum à Londres afin de réclamer la restitution des prises et des marins ; devant le refus britannique, il déclare la guerre à l’Angleterre, en mai 1756.

 

Le roi de Prusse envahit la Saxe

 

Sur le continent, les événements se précipitent. Le 29 août 1756, les troupes prussiennes envahissent la Saxe ; Auguste III, l’Électeur-Roi, se retranche dans le camp de Pirna. Le 15 octobre, acculé, il se résout à signer la capitulation ; ses soldats sont incorporés de force dans l’armée prussienne mais au bout d’un an, près des deux tiers auront déserté.

 

Notons que l’armée prussienne est une machine de guerre redoutable ; Frédéric II, en roi stratège, a opéré une véritable militarisation de la société, amorcée par son père, le “roi-sergent” Frédéric-Guillaume Ier. Les chiffres sont éloquents ; en 1740, le ratio est de 1 soldat pour 27 habitants en Prusse tandis qu’en Europe il est approximativement de 1 pour 100. Le “Kantonsystem” mobilise pendant toute leur vie, dans chaque canton, tous les hommes valides chaque année pendant deux à trois mois. Mirabeau dira : “La Prusse n’est pas un État qui possède une armée, mais une armée qui occupe un État”.

 

Le monarque prussien mise sur la rapidité de mouvement de son armée pour vaincre ses ennemis, largement supérieurs en nombre (c’est aussi la stratégie qu’adoptera Napoleon Ier, pourvu également de moins d’hommes que ses adversaires). Curieusement, il est un ami des philosophes ; il entretient une correspondance suivie avec Voltaire. Ce dernier le surnommera ironiquement “Luc”, en référence à son petit singe qui, nous dit-il, “mord tout le monde”.

 

Frédéric II bouscule ses adversaires à Rossbach, Leuthen et Zorndorf

 

Malgré des pertes initiales significatives et des revers cuisants (il est battu par Daun à Kolin (Bohême), le 18 juin 1757, puis écrasé par les Russes à Gross Jägersdorf (Prusse orientale), le 30 août 1757 - les Suédois entrent en Poméranie (Nord), en septembre), le roi de Prusse s’accroche ; sa pugnacité sera récompensée.

 

Le 5 novembre 1757, il se porte contre l’armée des Cercles et de France qui l’attendent sur de solides positions près du village de Rossbach (au sud de la Halle). Pourtant, les coalisés jouissent d’une supériorité numérique écrasante : ils sont plus de 50.000 contre 21.000 Prussiens ! Feignant une retraite sur son flanc gauche, il prend l’ennemi à revers avec sa cavalerie et son artillerie ; il y a peu de pertes de part et d’autre. Néanmoins, les princes de Soubise et de Saxe-Hildburghausen sont humiliés.

 

Le 5 décembre 1757, Frédéric II réitère son exploit militaire, cette fois contre les Autrichiens :

“Frédéric affronte avec trente mille hommes une armée largement deux fois plus nombreuse, dans les collines et les marais de Leuthen. Par une mise en pratique exemplaire d’une formation tactique qu’il appelle lui-même oblique, il remporte une victoire sans appel contre Daun (…) L’effet moral est considérable, beaucoup plus important que sa portée stratégique. À Vienne, Marie-Thérèse pleure pendant deux jours” (Jean-Pierre Bois, Les guerres en Europe 1494-1792).

 

Un tiers de l’armée autrichienne est neutralisé lors de l’affrontement en Silésie. Par la suite, il tient en échec les Russes lors de la sanglante bataille de Zorndorf (Est), le 25 août 1758.

 

L’année suivante, le vent tourne ; la coalition russo-autrichienne resserre son étreinte. Malgré une extraordinaire ténacité morale, Frédéric II, submergé sous le nombre des assaillants, en est réduit à la défensive. Le 12 août 1759, à Kunersdorf (près de Francfort-sur-Oder), il essuie un désastre contre les troupes austro-russes ; au bord de l’effondrement, il songe au suicide. Alors qu’il est en grande difficulté en Europe, son allié anglais vole de succès en succès outre-mer.

 

L’Inde, les Antilles et Gorée tombent

 

Pour prendre l’avantage contre la France, l’Angleterre accomplit la plus forte mobilisation navale de son histoire (au cours des années 1758-1760) ; elle va disposer de forces navales deux fois supérieures à la flotte française et, multipliera les incursions contre les côtes françaises (prise de l’ilôt d’Aix, Belle-Ile, etc.) tout en maintenant un blocus. Dans le même temps, William Pitt, un patriote partisan de la constitution d’un empire maritime et non continental (à l’inverse de George II), prend à Londres la conduite de la guerre ; côté français, Choiseul est porté aux Affaires étrangères. Il donne la priorité à la guerre contre l’Angleterre. Le choc se précise.

 

Le 29 décembre 1758, les Britanniques s’emparent de Gorée (Sénégal) ; l’île est l’une des bases du juteux trafic d’esclaves vers les Antilles. Dans leur élan, les Anglais font main basse sur tous les établissements français de la côte d’Afrique occidentale (Saint-Louis, Ouidah, etc.). Lorsqu’ils tentent de s’approprier la Martinique et la Guadeloupe (Antilles françaises), l’expédition tourne au fiasco ; la résistance française s’avère plus rude que prévue et les fièvres tropicales ainsi que la dysenterie déciment les conquérants. 800 Redcoats meurent de maladie contre 50 au combat ; les Anglais parviennent toutefois à soumettre la Guadeloupe, le 1er mai 1759 et la Martinique est envahie en 1762. Notons que cette dernière doit servir de monnaie d’échange contre Minorque, conquise de manière inattendue et avec brio par les Français en début de conflit.

 

“En Inde, l’œuvre remarquable de Dupleix, puis de Bussy qui a passé de nombreux accords avec les princes indigènes, est ruinée, non seulement par la politique royale depuis 1754, mais aussi à partir de 1758 par Lally (…) En 1760, les Anglais enlèvent le comptoir français de Karikal, en 1761, Pondichéry, puis Mahé” (Jean-Pierre Bois, Les guerres en Europe 1494-1792). À son retour en France, Lally, accusé de trahison et de concussion, est condamné à mort.

 

La guerre sévit aussi en Amérique du nord, où les Anglais redoublent d’efforts ; selon l’historien André Zysberg, les sommes affectées par le gouvernement britannique pour contrôler militairement le Canada sont vingt-cinq fois supérieures à celles que la France destine à la défense de cette colonie. La présence française dans cette zone est donc en sursis.

 

La Nouvelle-France sombre

 

Au printemps 1758, la situation alimentaire en Nouvelle-France est désastreuse ; Bougainville, aide-de-camp de Montcalm, le commandant des troupes françaises du Canada, écrit : “La misère est si grande que quelques habitants sont réduits à vivre d’herbe”. De plus, une épidémie de petite vérole fauche une partie de leurs alliés amérindiens (en particulier les nations des Pays d’En Haut - région des Grands Lacs). Malgré la disette, les maladies et une infériorité numérique croissante, les Français réussissent à infliger un revers cinglant aux Anglais, à la bataille de Carillon (sud du lac Champlain) ; 3.600 Français, retranchés aux abords du fort Carillon, mettent en déroute le général Abercromby et ses 15.000 hommes. Celui-ci fait l’erreur d’attaquer sans appui d’artillerie. Cette victoire reste cependant sans lendemain.

 

En revanche, partout, la poussée anglaise se fait irrésistible. Fait important, le 26 juillet 1758, les Britanniques se rendent maîtres de l’île royale et de la forteresse de Louisbourg, verrou stratégique qui contrôle l’embouchure du fleuve Saint-Laurent. Entre autres prises, les Anglais arrachent le fort Duquesne (actuelle Pittsburgh, États-Unis) ; cette place forte fut un haut lieu de l’affrontement franco-anglais et le point de départ de la déflagration mondiale. À terme, le réseau de forts français et toute la vallée de l’Ohio passent sous contrôle britannique. Constatant le déclin de l’influence française dans la zone, les Indiens se rallient massivement aux Anglais.

 

Les Français, terrassés par autant d’insuccès outre-Atlantique, échafaudent un plan d’invasion de l’Angleterre ; ce plan est proposé par un diplomate d’origine écossaise, Alexander Peter Mackenzie Douglas, au service de Louis XV. L’objectif vise à rétablir la restauration jacobite afin de remettre les Stuart sur les trônes d’Écosse et d’Angleterre. Après l’échec de la tentative de sortie de la flotte française à Brest et sa déroute près de Quiberon (par l’amiral Hawke), l’opération est avortée. Selon l’historien Jean Meyer, il s’agit du “Trafalgar de l’Ancien Régime” ; quant à l’historien Jonathan Dull, il qualifie l’épisode de “mission suicide”.

 

La chute de Québec

 

Après un siège de plus de deux mois, Québec est conquise le 17 septembre 1759. Un officier anglais raconte :

“Nous avions pour ce débarquement trente bateaux à fond plat et six cents hommes environ. La place ayant une position naturelle forte, l’ennemi fut très surpris, il n’imaginait pas une tentative aussi audacieuse et ne s’était donc pas préparé à y faire face (…) Nous marchâmes en file sur la ville jusqu’aux plaines d’Abraham” (in Journal du capitaine John Knox, They saw it happens, 1689-1897)

 

L’exploit de cette conquête réside dans l’ascension - de nuit et sous une pluie battante - d’une falaise par quelques 4.000 soldats britanniques ainsi que de leur artillerie. La bataille des Plaines d’Abraham, située aux portes de la ville de Québec, est livrée à l’européenne car les deux généraux commandant chaque camp, Montcalm et Wolfe, méprisent la guerre à l’indienne ; l’affrontement se termine par la mort des deux chefs. La ville passe sous domination anglaise après un siècle et demi de présence française (la cité fut fondée sous l’impulsion du navigateur Samuel de Champlain, en 1608).

 

Vaudreuil, gouverneur général de la Nouvelle-France, prend provisoirement le commandement mais l’armée de France est par la suite confiée au chevalier de Lévis, un militaire chevronné. Celui-ci demande du secours au roi de France, en vain. Animé d’un état d’esprit offensif, il part à l’assaut de Québec ; il attire les Redcoats hors de la ville et les piège près du village de Sainte-Foy (au nord des Plaines d’Abraham). Les Anglais sont sévèrement battus ; si l’humiliation de la prise de Québec quelques mois auparavant est lavée, la cité ne peut être reprise - par manque d’artillerie - et la victoire reste donc sans suite. Le 8 septembre 1760, Vaudreuil signe la capitulation de Montréal ; les 2.400 hommes de Lévis sont impuissants face aux… 18.000 soldats britanniques. C’en est fini du grand Canada français.

 

Frédéric II est sauvé in extremis

 

Sur le Vieux Continent, l’armée prussienne agonise ; le 15 août 1760, Frédéric II repousse difficilement les assauts autrichiens à la bataille de Liegnitz, en Silésie. Le 3 novembre 1760, à Torgau (au nord de Dresde), il perd la moitié de ses effectifs engagés dans la bataille. La fin semble proche. D’autant qu’un mois auparavant, les Russes entraient dans Berlin :

 

“Tout le monde avait pris les armes dans la capitale. On employait des invalides et des malades pour se défendre. Les fortifications de la ville consistaient en quelques flèches de terre élevées devant les portes (…) Or, il est impossible que seize mille hommes défendent une aussi vaste enceinte où il n’y a ni ouvrages ni remparts contre vingt mille Russes et dix-huit mille Autrichiens” (cité dans Frédéric II, Histoire de la guerre de Sept Ans, Oeuvres posthumes)

 

Un renversement inattendu en Russie sauve in extremis le roi de Prusse d’une fin certaine ; ainsi, le 4 janvier 1762, à la mort de la tsarine Élisabeth, Pierre III lui succède ; c’est un admirateur du roi de Prusse. Il engage immédiatement des négociations avec Berlin (une paix est signée le 5 mai 1762). Mieux, le nouveau tsar promet 20.000 hommes au monarque prussien. Parallèlement, les Suédois, circonspects, concluent une paix avec Frédéric II. En outre, le souverain prussien prend ses distances avec l’Angleterre qui refuse de lui verser le subside annuel qui lui est garanti par le traité du 11 avril 1758 (la Grande-Bretagne s’est engagée à verser au monarque 670.000 livres chaque année).

 

Cependant, un nouveau rebondissement survient : en juillet 1762, Catherine II - à l’issue d’un coup d’Etat contre son mari - prend la tête de la Russie après la disparition brutale de Pierre III (il est étranglé en prison). Pour la plus grande chance de Frédéric, elle se cantonne dans la neutralité. Dans le même temps, Charles III d’Espagne entre en guerre aux côtés de la France contre l’Angleterre ; son armée est décimée dans une offensive infructueuse au Portugal (fidèle alliée des Anglais), et outre-mer, il est dépossédé de nombreuses colonies (La Havane, Manille, etc.). Les protagonistes, saignés à blanc et épuisés financièrement par un long conflit, s’orientent vers des pourparlers ; George III, qui a succédé à George II en Angleterre, se montre favorable à la paix.

 

Le traité de Paris et la paix d’Hubertsburg

 

Le traité de Paris (10 février 1763) consacre à l’Angleterre presque toute la Nouvelle-France ; la partie occidentale de la Louisiane étant cédée par Louis XV à l’Espagne - par un traité secret - en compensation de la perte de la Floride que celle-ci a dû abandonner aux Anglais afin de récupérer Manille et La Havane. La France perd la quasi-totalité de son empire colonial. Maigre consolation : elle acquiert l’île neutre de Sainte-Lucie et recouvre la Guadeloupe, la Martinique ainsi que cinq comptoirs en Inde (Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor). Elle conserve en outre Saint-Pierre-et-Miquelon et le droit de pêche à Terre-Neuve, ainsi que la petite île de Gorée en Afrique.

 

La paix d’Hubertsburg (15 février 1763) met fin à la guerre en Allemagne ; le traité confirme pour l’essentiel les clauses d’Aix-la-Chapelle (la Silésie reste dans le giron prussien). L’Autriche et la Prusse établissent une paix fondée sur le principe du statu quo ante bellum, au grand dam de l’impératrice-reine Marie-Thérèse. Les belligérants sortent épuisés du conflit ; selon les sources, le bilan humain varie entre 600.000 et 750.000 morts parmi les combattants, soit au moins autant que pendant la guerre de Sécession (1861-1865), le conflit le plus meurtrier de l’histoire des États-Unis. À cela, il convient d’ajouter les nombreuses pertes civiles. Sur le plan économique, le coût du conflit est exorbitant : plus de 1 milliard de livres pour la France ; quant à l’Angleterre, elle voit sa dette quasi doubler entre 1755 et 1763. Sur le plan politique, le royaume de Prusse devient avec la Russie l’une des grandes puissances de l’Europe continentale alors que l’Angleterre s’impose sur mers grâce à sa suprématie navale. 

 

Si l’Europe de 1763 est en paix pour presque trente ans, en revanche, en Amérique du Nord, la situation dégénère. Tout d’abord, les Amérindiens entrent en action contre les Britanniques (le jeune chef ottawa Pontiac recommande de jeter les Blancs à la mer). Puis, les 13 colonies anglaises, soumises à des taxes de plus en plus lourdes, et, par le blocage de leur expansion vers l’ouest par l’Acte de Québec de 1774 (extension de la province de Québec jusqu’au Mississippi), les rebelles prononcent la Déclaration d’indépendance des treize États-Unis, le 4 juillet 1776. Il s’ensuit une guerre fratricide et meurtrière baptisée guerre d’Indépendance contre l’Angleterre (1775-1783) ; la France, en soutenant les insurgés, prend sa revanche sur la Grande-Bretagne, qui l’a vaincue lors de la guerre de Sept Ans.

 

Les relations complexes entre colons et Amérindiens

 

À partir du XVIIème siècle, les colons français et anglais s’établissent peu à peu sur le continent nord-américain. Les Français, nous l’avons vu, cherchent à tout prix l’entente avec les indigènes pour compenser l’infériorité numérique avec les colonies anglaises. De cette rencontre naît un métissage qui mène à une double acculturation ; ainsi, certains français “s’indianisent” - on songe à la célèbre figure du coureur des bois, qui adopte la même manière de chasser des Indiens et en revêt des traits du costume -, tandis qu’une partie des Amérindiens se convertissent au catholicisme, tels les Indiens Micmacs. Cette proximité sera d’une aide précieuse lorsque s’exacerbera la rivalité franco-anglaise.

 

En effet, lorsque la guerre de Sept Ans éclata, les autochtones s’allièrent davantage avec les Français que les Anglais. Cet engagement s’explique par deux raisons : la politique systématique des présents menée par les Français, et le fait que les colons français ne représentent pas une menace pour les Indiens du fait de leur faible nombre. Rappelons qu’avant les hostilités, les indigènes maintiennent globalement une politique de neutralité pendant plusieurs décennies afin d’établir un équilibre tripartite.

 

Contrairement à une légende noire, la France n’essuie pas que des défaites contre les Anglais, en particulier dans le Nouveau Monde ; bien au contraire, elle remporte toute une série de succès qui lui permettent de jouir, en 1757, d’une renommée inégalée jusqu’alors auprès des nations indiennes. Toutefois, à terme, l’équilibre s’inverse. “Amorçant la fin de la présence française dans le Nord-Est, la chute de Québec en 1759 laissa bientôt les familles amérindiennes à la merci des Britanniques : militaires arrogants, spéculateurs et avides de terre, ces nouveaux administrateurs étaient moins empressés à combler les Peaux-Rouges de présents pour s’en faire des alliés” (Bernard Vincent, Histoire des États-Unis).

 

Devant le flot croissant de colons et la peur d’être dépossédés de leurs terres, de nombreux amérindiens s’unissent contre les Britanniques ; c’est la guerre de Pontiac (1763-1766). Les Anglais, sous la conduite du général Amherst, entament une guerre bactériologique ; ils distribuent des couvertures et des mouchoirs infectés par le virus de la variole. Précisons qu’il ne s’agit pas ici d’exterminer tous les Indiens mais de mettre à terre le mouvement rebelle ; cette tactique est néanmoins rapidement abandonnée au profit de négociations et de pourparlers (Amherst est rappelé en Angleterre).

 

D’abord cantonnés entre l’Atlantique et la chaîne des Appalaches, les treize premiers États anglo-américains se lancent ensuite dans une conquête frénétique de l’Ouest du continent (traité anglo-américain de Paris (1783), achat de la Louisiane à Bonaparte (1803), promulgation de l’ « Indian Removal Act » (1830), guerre du Mexique (1846-1848), etc.) ; à terme, les populations indiennes, très divisées, sont progressivement repoussées. De nos jours, on compte quelques trois cents réserves indiennes aux États-Unis et près de deux mille cinq cents au Canada, mais les Indiens vivent majoritairement en dehors de ces réserves.

 


Pour aller plus loin 


Michel Antoine, Louis XV, Fayard, 1989

Pierre-Yves Beaurepaire, Silvia Marzagalli, Atlas de la Révolution française, Autrement, 2010

Jeremy Black, George III, America’s Last King, Yale University Press, 2006

Jeremy Black, Pitt the Elder, Cambridge University Press, 1992

Jean-Pierre Bois, Les guerres en Europe 1494-1792, Belin, 2003

Louis Antoine de Bougainville, Écrits sur le Canada, Mémoires-Journal-Lettres, Sillery, Septentrion, 2003

Phillip Buckner, John G. Reid, Remembering 1759 : the Conquest of Canada in Historical Memory, University of Toronto Press, 2012

Hélène Carrère d’Encausse, Catherine II, Fayard, 2002

Joël Cornette, Absolutisme et Lumières 1652-1783, Hachette Livre, 2016

Georges Duby, Atlas Historique Duby, Larousse, 2007

Christopher James Duffy, Frederick the Great : A Military Life, Routledge, 1988

Jonathan R. Dull, The French and the Seven Year’s War, University of Nebraska Press, 2005

Edmond Dziembowski, La guerre de Sept Ans, Perrin, 2015

Frédéric II, roi de Prusse, Œuvres de Frédéric le Grand, Berlin, Imprimerie royale R. Decker, 1846-1856

Gilles Havard, Cécile Vidal, Histoire de l’Amérique française, Flammarion, 2014

Philippe Jacquin, Les Indiens blancs : Français et Indiens en Amérique du Nord, XVIe-XVIIIe siècle, Payot, 1987

Jacques Mathieu, Sophie Imbeault, La Guerre des Canadiens 1756-1763, Septentrion, 2013

Brian Richardson, T. Charles-Edwards, Basil Blackwell, They Saw it Happen, 1689-1897, Oxford, 1958

Bernard Vincent, Histoire des États-Unis, Flammarion, 1997

André Zysberg, La monarchie des Lumières 1715-1786, Seuil, 2002

Magazine Histoire et Civilisation - Le Monde, L’esclavage, de la traite à l’abolition, Septembre 2017

 

 


 

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