La bourgeoisie est une notion problématique. Elle n’est pas neutre, connotée négativement par la plupart des personnes qui la mentionnent, souvent inconsciemment :
« C’est vrai qu’elle est un peu bourgeoise mais après tout pourquoi pas » (Philippe Besson, LGL, 25 mai 2017)
Etymologiquement, le bourgeois est avant tout l’habitant du « bourg ». Dans les faits, c’est une autre histoire. Il est associé à l’argent, à l’aisance, au privilège (une certaine confusion avec les notions de noblesse et d’aristocratie est constatable). Envisagée comme catégorie sociale, la bourgeoisie fédère les contresens, peut-être davantage que les classes dites populaires.
Beaucoup de sociologues se sont penchés sur sa nature, sans toutefois la cerner clairement. En la matière, les travaux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, assez rigoureux mais teintés de mépris subliminal envers leur objet, ne nous apprendront pas tout. Le Français est mentalement conditionné à envisager la bourgeoisie comme une caste de nantis privilégiés (alors que, dans les faits ce sont plutôt des "privilégieurs" : leurs impôts, souvent conséquents, permettent à l’Etat de redistribuer une part de leur argent vers des couches moins fortunées, vers les personnes sans travail…).
Il est scientifiquement erroné d’opposer peuple et bourgeoisie, contrairement à une habitude très répandue. Victor Hugo nous avertissait lui-même :
« On a voulu, à tort, faire de la bourgeoisie une classe. La bourgeoisie est tout simplement la portion contentée du peuple. Le bourgeois, c’est l’homme qui a maintenant le temps de s’asseoir. Une chaise n’est pas une caste » (Les Misérables)
« Une chaise n’est pas une caste ». De nos jours, une large part des catégories populaires dispose d’une « chaise » depuis les 35 heures, les congés payés, les RTT, le CE, et c'est tant mieux. La petite classe moyenne, comprenant petits commerçants prospères, fonctionnaires et employés à l’emploi sécurisé, pourrait être qualifiée de bourgeoise. Aussi, des catégories hybrides ont pu naître grâce à l’Etat-providence : les demi-bourgeois, à l’image de ces ménages sans gros moyens, vivant aux périphéries urbaines, mais auxquels l’Etat vient offrir de quoi nantir leur quotidien (aides diverses, réductions, voyages pour les enfants, bibliothèques gratuites, accès à la culture élargi, horaires de travail aménagés…).
Historiquement, et contrairement à une idée très répandue, ce n’est pas tant le petit peuple que la bourgeoisie qui a initié la Révolution française. Le paradoxe est là : on doit à la bourgeoisie le grand événement par lequel on la montre du doigt. Michel Foucault, qui conspuait lui-même la bourgeoisie, ne reprenait pas les poncifs qui lui sont attachés :
« La bourgeoisie, sauf aux yeux des naïfs, n’est ni bête ni lâche » (Entretiens, R.P-D, Odile Jacob)
La bourgeoisie, originellement, c’est avant tout une ascèse du travail ; un travail âpre qui produit du bénéfice et qui engendre du pouvoir. Le bourgeois est avant tout celui qui a arraché du pouvoir et qui s’en sert avec une certaine rage pour asseoir sa position. Mais de nos jours, la définition a muté. Elle désigne un cliché collectif simple, compréhensible par tous grâce à ses contours caricaturaux : le bourgeois, c’est ce demi-mensonge conceptuel du riche spontané, indolent et gras, amassant l’argent par privilège et sans réellement travailler.
Cette conception rachitique et erronée de la bourgeoisie (au regard de l’histoire), est source de malentendus dangereux : fréquemment, le "bourgeois" pointé du doigt est celui qui, par un travail proche des 70 heures par semaine, et certains risques stratégiques (fondation d’une entreprise…), parvient à un salaire élevé… et devient très solvable pour l’Etat.
Aussi, sous certains aspects, les enfants de bourgeois sont éduqués plus strictement que les autres. Ainsi en va-t-il de leur rapport aux loisirs souvent davantage contrôlé: en 2017, 43% des enfants d’ouvriers disposent d’un ordinateur ou d’une télévision dans leur chambre, contre 26% des enfants de cadres (Le Monde, 14 juin 2017). La pression parentale concernant les résultats scolaires et les études est souvent implacable dans les ménages bourgeois.
La bourgeoisie, comme l’a évoqué Bourdieu malgré de graves contresens polémiques, se distingue aussi par certaines pratiques culturelles. Des marqueurs divers lui sont associés (l’opéra, l’art contemporain, les musées…). Le bobo (bourgeois-bohème), est une sous-catégorie fantasmée de la bourgeoisie : en réalité, le bobo est un travailleur de la culture plus ou moins précaire, muni d’un capital culturel élevé. Souvent, il gagnera moins que de gros commerçants fleurant bon le pavé.
Enfin, certains jeunes dits « des quartiers » se distinguent par un alliage de précarité économique, de privilège par soutien étatique fort, et d’habitudes ultra-matérialistes (achat compulsif de vêtements de marques chères, consommation d’appareils technologiques ultra sophistiqués : dernier smartphone, consoles de jeux…). Ces jeunes, généralement agressifs, sales et sans honneur, sont une charge pour l’ensemble de la société.
Pierre-André Bizien
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