Depuis quelques années en France, le « droit à l’erreur » progresse ; d’un point de vue prospectif, il s’agit d’une bonne nouvelle, voire d’une révolution psychologique nationale aux conséquences gigantesques. Explications.
Suite à quelques évocations pionnières dans le champ médiatique et managérial, la notion de « droit à l’erreur » a été développée dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron de 2017 ; le projet doit permettre un dialogue plus souple entre les particuliers et les entreprises face à l’administration, afin d’éviter des sanctions couperets, perçues comme autant d’injustices. L’idée est que le contribuable qui se trompe de bonne foi ne doit pas être sanctionné. Cette irruption du « droit à l’erreur » dans le champ politique n’est qu’un aspect d’une problématique qui impacte d’autres domaines, dont l’enseignement et le management, que j’évoquerai ici.
Tradition pédagogique contre-productive
« Tu as fait une erreur ». Cette phrase, nous l’avons tous entendue dans notre enfance. En soi, c’est un constat objectif, mais le plus important réside en fait dans le non-dit qui suit ce diagnostic ; si on entend par là « tu as fait une erreur mais ce n’est pas grave, c’est en se trompant qu’on apprend » l’erreur devient une légère embûche que l’on dépassera, avec confiance ; si au contraire l’erreur est synonyme de « tu es vraiment nul », les choses se gâtent, et il y a fort à parier que la légère embûche se transforme assez vite en obstacle.
Il y a peu de certitudes absolues en pédagogie, mais mon expérience d’enseignant m’a persuadé d’une chose : si on dit à quelqu’un qu’il est nul (a fortiori si c’est un enfant ou un ado), il ne progressera pas ; et les avancées récentes sur la connaissance du cerveau humain confortent ce constat empirique.
En effet, notre cerveau comprend un grand nombre de neurones miroirs, qui nous permettent d’intégrer, de nous approprier, ce que les autres pensent de nous ; nous sommes avant tout des êtres sociaux : le regard des autres est essentiel à la construction de l’individu ; pour un enfant ou un adolescent, la dévalorisation de la part des adultes – parents, enseignants, entourage - a des effets délétères à peu près certains sur la confiance en soi, et sur la réussite scolaire.
Et l’inverse est vrai : la satisfaction de voir son travail valorisé libère de la dopamine dans le cerveau, et peut enclencher un cercle positif incluant plaisir, curiosité et dynamisme. Les chercheurs en pédagogie Philippe Meirieux ou Jean-Pierre Astolfi ont démontré depuis belle lurette que faire de l’erreur une faute est mortifère pour les apprentissages.
Nombre d’expériences en classe axées sur le test, l’expérimentation, qui donne toute sa place à l’erreur (on peut citer « la main à la pâte », du prix Nobel Georges Charpark) démontrent que l’erreur fait partie de l’apprentissage, et qu’on apprend en se trompant. Reste que dans les pratiques scolaires quotidiennes, ces principes de bon sens ne sont pas toujours appliqués, et que certains élèves se trompent plus que d’autres, ce qui peut agacer le plus zen des pédagogues ; et que le plus motivé des enseignants ne pourra pas faire grand-chose face à un enfant qui, de retour chez lui, entend ses parents lui dire qu’il est nul…
L'impensé moral du langage quotidien
En anglais, « faute d’orthographe » se dit « spelling mistake » soit, littéralement, une « erreur d’orthographe ». Or les mots ont un sens : « faire une erreur », c’est se tromper, c’est un diagnostic, sans jugement de valeur. « Faire une faute », c’est déroger à la règle, et cela implique une responsabilité personnelle, on entre dans un vocabulaire juridique, qui implique une sanction. Preuve que, dans notre pays, il ne fait guère bon se tromper… Depuis plusieurs années, dans le monde anglo-saxon, les discours des créateurs de start-up sur l’erreur et l’échec sont assez revigorants ; prenant exemple sur les success stories des acteurs de la Silicon Valley, ils montrent que l’erreur fait partie intégrante d’un parcours vers le succès.
On peut évoquer, parmi des milliers, deux plantages magnifiques : l’énorme échec dans les années 90 du Newton d’Apple, qui préfigurait pourtant l’iPad, ou le Zune de Microsoft, remis récemment au goût du jour par le film « les Gardiens de la galaxie 2 », où le héros troque son vieux walkman par un truc encore plus ringard, un lecteur de mp3 Zune.
On sait que Google lance chaque année des dizaines de projets, dont bien peu connaîtront le succès. Ces échecs ne sont pourtant considérés que comme des aléas, ou même comme un moyen pertinent pour se renforcer. La tolérance vis-à-vis de l’échec semble essentielle pour permettre l’innovation, facteur clef de succès dans l’économie numérique ; et l’innovation si ça marche, avec la logique du « winner takes all », c’est bingo. D’où un discours très bien rôdé, reprenant fréquemment cette formule attribuée à Bill Gates : « It’s fine to celebrate success but it is more important to heed the lessons of failure » . Voici un beau programme.
Certes, il n’aura échappé à personne qu’en général ces thuriféraires de l’échec sont des gens qui, finalement, ont fort bien réussi, ce qui nous conduit naturellement à nuancer leur enthousiasme. Il n’en reste pas moins que l’erreur permet de progresser, du moins si elle s’accompagne de bienveillance et de confiance. Mais il est vrai que cette idée est loin d’être une évidence pour nous, Français.
Vers une révolution managériale
Pourtant, les choses avancent, notamment sur le plan du management. D’abord, le monde très dynamique des start-up françaises relaie assez bien le discours de leurs parentes américaines. Et sur le fond, Il s’agit aussi de dénoncer les risques qu’il y a, dans les grandes organisations, à passer sous silence certaines erreurs, afin d’éviter les sanctions; ainsi l’affaire du Dieselgate peut être vue comme une incapacité de la chaîne hiérarchique de Volkswagen à tolérer les erreurs, ce qui a mené l’entreprise à installer un logiciel hypersophistiqué réduisant artificiellement la consommation d’essence des voitures lors des contrôles antipollution… à l’insu de PDG du groupe, Martin Winterkorn !
Dans l’excellent livre Ils se croyaient les meilleurs, Christine Kerdellant explique que « par peur des représailles, ils (les salariés) n’ont pas osé révéler les vrais chiffres de pollution des moteurs » ; elle cite ensuite un article du Monde : « Qui a connu les crises de colère de Martin Winterkorn sait que personne ne lui parlait de problèmes sans y être obligé » ; le nouveau PDG, Matthias Müller a d’ailleurs reconnu que cette erreur était largement liée à un problème managérial, et a souhaité mettre en place une organisation « ouverte et décentralisée ».
Autrement dit, les tendances managériales actuelles, que l’on parle de management bienveillant, agile ou collaboratif, ne sont pas simplement liées à des considérations éthiques de respect de la personne humaine : en accordant plus de souplesse aux salariés, en leur permettant de se tromper, en instaurant un climat de confiance, on stimule la créativité – élément clef de l’économie à venir et… on essaie d’éviter des catastrophes du type Dieselgate.
Les changements culturels sont à évolution lente. Ne doutons pas, cependant, que les mentalités sont en train de changer, dans l’école, dans les institutions et dans l’entreprise ; espérons enfin qu’à l’avenir, faire une erreur sera de moins en moins considéré comme…une faute.
Guillaume LE LAY
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