Capitale du grand sud océanique, Bordeaux frappe ordinairement pour son esthétique bourgeoise et élégante. Le pékin non initié se retrouve face à des kilomètres de façades sablonneuses et cossues, ourlées de reliefs antiquisants, de verdures méridionales assez diverses. Le palmier et l’olivier s’y rencontrent à l’improviste, sur les grilles rectangulaires des balcons de tous les environs. De la gare Saint Jean, le cours de la Marne étire son charme décati (façades brunes et lépreuses, enseignes de tôle criardes abritant kebabs, salons de coiffure africaine ou sex-shops clignotants) jusqu’aux environs du "marché des capus" (capucins), temple alimentaire aux mille saveurs envoutantes, couvert et bien agencé…
On déambule entre les commerces avec plaisir, la gueule ensalivée. Sur les étals glacés, de gros poissons bien frais vous épient l’œil vitreux, des cadavres de viande bovine vous proposent leurs charmes écarlates, des escadrons de fromages dégoulinants infectent l’air d’une saveur corsée, bien agréable. L’atmosphère est charmante, tout à fait "authentique", comme on peut la rêver plus ou moins. Derrière les capus, c’est le quartier Saint Michel, arabe et très actif. Les abords de la grande rue Sainte-Catherine ne sont plus bien loin ; il s’agit de la grande avenue commerçante de Bordeaux, qui succède au long cours de la Marne, à la Place Victoire et à son sévère Arc de Triomphe romain.
Des enfilades de boutiques de prêt-à-porter s’y étalent, pour le plaisir des jeunes filles en fleur et autres pétasses endimanchées ; on y découvre de belles vitrines pleines d’articles et d’agréments visuels. Le chaland y promène son regard avec envie, frustré par son salaire de temps de crise.
Poursuivons notre chemin. Descendons vers les reflets marron de la Garonne par la porte Cailhau. Cette lourde bâtisse pierreuse nous dit un peu ce que fut le Moyen Âge : un millénaire où l’art avait encore une saveur rustique et incarnée, suant l’atroce et l’Espérance. On ne s’y attarde guère, happés vers la promenade immense du quai bordant le fleuve. Des kilomètres aménagés avec brio par une municipalité bien consciencieuse. Détail fâcheux, les hordes de vélos fonçant auprès des piétons tranquilles. La civilité ambiante permet à chaque instant d’éviter le pire, mais sur le Pont de Pierre… c’est autre chose (le véhicule y règne sous les trois espèces, tramway, voiture, vélo, au grand dam des marcheurs… ceux-ci en sont réduits à avancer en rappel le long d’une bande étriquée jusqu’au quartier de la Bastide).
Bordeaux, une destination touristique solide
Ne soyons pas malhonnêtes : ces petits désagréments – bien que très énervants, emmerdants, et bien qu’ils vous pourrissent passablement l’insouciance de vos balades – ne sont rien face à la splendeur omniprésente de l’architecture bordelaise. Ça oui, Bordeaux, c’est très beau. La place de la Bourse en constitue l’acmé visuelle : que de pierres somptueusement taillées, de colonnes, de frontons, d’éléments grecs et romains enchevêtrés. Des coulées de dorures s’y glissent ici et là, sans clinquant. Gâtée par l’histoire, la ville de Bordeaux bénéficie des siècles de la vigne et du commerce maritime. La fibre anglo-saxonne s’y est implantée depuis l’époque médiévale, lorsque les soldats d’Outre-Manche se sont permis d’y incruster leur destin. Aujourd’hui encore, on distingue à Bordeaux une proportion curieusement élevée d’enfants roux…
A Bordeaux, la culture est surtout orientée à destination des jeunes générations. En matière de musique, notamment, les choses ont été très bien faites. Depuis 2016, la monumentale Cité du vin étale son architecture malheureuse aux yeux de tous. On y pénètre cependant pour le meilleur. De vastes travaux d’aménagements audacieux sont entrepris depuis longtemps, au bénéfice d'une population choyée. Alain Juppé et ses équipes ont bien travaillé, c'est plutôt incontestable. Bordeaux est aussi une ville universitaire, de savoir et de réflexion. On pense aux illustres noms de la région, de Montaigne le relativiste à Jacques Rivière le catholique ancien directeur de la NRF.
Bordeaux est une ville où il fait résolument bon-vivre. Il ne faut pas manquer de la visiter, d’y faire du tourisme, car elle offre une somme de surprises rarement égalée sur le reste du territoire.
Pierre-André Bizien
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Photo: Christophe Finot
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