Nuit debout - Récupérer le ''gnagnagna'' de Finkielkraut comme mot d'ordre révolutionnaire

 

Gnagnagna. Voici l'ultime slogan contre la finance et l'ancien monde. Offert par qui? Par le plus improbable des bienfaiteur: Alain Finkielkraut, académicien détesté, haï, vomi de la jeunesse se réclamant du progressisme. Plonger dans un bain de merde, expérience vécue par les seuls vrais de vrais. Insolence suprême que de prendre à l'adversaire son génie pour l'associer malgré lui à la lutte.

 

L'âme révolutionnaire recycle tout, c'est la première leçon des barricades. Entre 1989 et 2005, la concentration en spermatozoïdes a chuté d’un tiers chez les Français. Vengez-les, gonflez-e-s les couilles. Gnagnagna, voici donc le mot métaphysique qui manquait à la cause: subversion du langage et des règles de la communication bourgeoise. Terme providentiel, offert par le plus illégitime des porte-cause: Alain Finkielkraut. 

 

Nuit debout, mouvement plein de promesse encore évasives, risque d'expirer constamment: les critiques enflent, alimentées par des segments de vérité bien palpables. Dégradations multiples, tapages juvéniles, beuveries peu spirituelles, crachats sur philosophe en mouvement, torrents de pisse malodorants, conceptions privatives de la démocratie - en contournant les urnes... Nuit debout risque à chaque instant de rater la cible, et c'est dommage. Ses adversaires, sceptiques de la première heure, ne lui passeront rien. Mais la bohême peut-elle être exemplaire? Quadrature du putain de cercle.

 

 

L'ascèse révolutionnaire

 

 

Enterre-t-on la voix du peuple sous prétexte d'insultes et crachats sectorisés? Notre République ne se fonde-t-elle pas elle-même sur une auguste Révolution pleine de débordements atroces? Peut-on réfuter 89, 68, les printemps arabes au nom de l'éviction d'un philosophe d'une place publique? Non certes! Mais c'était bien mal agir, et offrir une bien triste figure d'un mouvement potentiellement génial. 

 

Haïr Alain Finkielkraut, erreur de débutant. L'occasion était pourtant si belle de l'inviter à se faire réfuter par la raison, le débat démocratique et souverain. On a préféré éjecter l'homme, venu pourtant écouter, plutôt que de vomir le mouvement de loin. Nuit debout est une occasion magnifique de discuter de l'avenir du monde et de la démocratie, sans oublier que les urnes sont souveraines... en démocratie justement. S'associer, concilier l'intelligence délibérative au fait des urnes. Hors de cette voie, c'est le charnier. 

Le 18 avril, Loïc, de la commission "sérénité" de Nuit debout, évoquait pointilleusement l’historique de l’incident impliquant Alain Finkielkraut :

 


Finkielkraut a écouté les débats de l’assemblée générale pendant environ trente minutes. Puis, peu à peu, des gens ont commencé à l’interpeller sur sa présence. Au bout d’un moment, il a décidé de s’éloigner et c’est là qu’il a été suivi par une dizaine de personnes, qui insistaient pour qu’il quitte la place. Par précaution, on l’a accompagné pour que ça se passe dans le calme»

 

Erreur de débutants sinistres, qui ne valaient peut être pas "mieux que ça". L'apprentissage démocratique est difficile, et des bleus-bites se sont fait piéger. Retour à la cause départ? Non pas. Subvertissez les faits. Soyez au moins à la hauteur de votre manifeste, et donnez tort à cette droite qui n'attend de vous que votre médiocrité pour étouffer votre mouvement. Vous serez légitimes, dans la mesure où vous serez pertinents, non pas "pétillants", mais "pertinents". Foin de l'esthétique baba-cool rebelliforme. Soyez convaincants, intellectuellement. Concentrez vos forces plutôt que de les disperser dans l'esthétique cheguevariste. Ne déterrez pas les cadavres, inventez le futur, par le courage. Pensez. Risquez de penser, avec effort, sérieusement avec exigence. 


Le manifeste de Nuit debout est suffisamment élastique pour faire place à une certaine diversité d’opinions politiquo-existentielles. Soyez au moins au niveau du rêve que vous vendez :

 


(…) Ni entendues ni représentées, des personnes de tous horizons reprennent possession de la réflexion sur l’avenir de notre monde. La politique n’est pas une affaire de professionnels, c’est l’affaire de tous. L’humain devrait être au cœur des préoccupations de nos dirigeants. Les intérêts particuliers ont pris le pas sur l’intérêt général. Chaque jour, nous sommes des milliers à occuper l’espace public pour reprendre notre place dans la République »


Nuit debout affirme être constitué de personnes de "tous horizons". Dans l’absolu c’est plausible; sociologiquement parlant, ça l’est un peu moins. Beaucoup d’observateurs remarquent le caractère très "blanc" des militants et sympathisants de Nuit debout. Ce n'est pas une tare, d'ailleurs, d'être un visage pâle, à moins d'être atteint de dénigrite rampante. L’entre-soi racial est d'ailleurs loin d’être désiré chez les faces de sucre en présence. Malheureusement, assez peu de personnes issues de la diversité s’agrègent au mouvement pour le moment.

 

Retourner le réel

 


Sur le programme officiel de Nuit debout, des commissions féministes programmées revendiquent d’être "non mixtes", avec de maladroites justifications essentialistes. Lourde erreur, justifiant inconsciemment le principe du « développement séparé », projet historique de l’apartheid sud-africain. Aïe, ça fait tache. Elever le niveau pourrait être utile. Chez les participants de Nuit debout, on peut d'ailleurs entendre des revendications de tous niveaux, allant de l’élucubration doctorante à l’idiotie la plus touchante :

 

Bin, déjà, que les femmes, elles soient moins timides pour baiser » (Reportage Le Bonbon, 15 avril 2016)


 

Ou encore, lancé par une jeune fille en fleurs :

 


On est des humains, on est tous des animaux » (Reportage Le Bonbon, 15 avril 2016)


 

Dans cette joyeuse bohême, le gnagnagna d’Alain Finkielkraut est peut-être, martelons-le, un trait de génie sauvage... du dadaïsme vocal qui pourrait être repris par le mouvement avec profit. Le gnagnagna, c'est le mot-slogan véritable dont Nuit debout devrait se parer face au monde de la finance et de l’égoïsme des adultes en cravate.
Un gnagnagna mythique, non pas inventé par les militants eux-mêmes, mais accouché par un opposant des opposants, un contestataire de la contestation, le plus imprévu des révolutionnaires.


Tout le génie de Nuit debout consisterait peut-être en ceci : se "réapproprier" – terme surinvesti – Finkielkraut, non pas pour suivre ses analyses, mais subvertir le sens commun des positionnements intellectuels : audace suprême, l’Amour frontal, imprévisible, obscène autant que fou. 

 

Surprenez le bourgeois, soyez pertinents, constructifs, ne tombez pas dans la facilité... vous donnerez tort aux sceptiques. Est-ce si difficile? Subvertissez l'ordre des choses, ne l'obligez pas par vos insuffisances à reprendre le dessus. 

 

Pierre-André Bizien

 


 

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