Entretien Arnaud Dumouch - Les solutions de la théologie catholique

 

Professeur de théologie catholique en Belgique, très présent sur youtube, Arnaud Dumouch promeut une pratique rationnelle du christianisme, suivant l'héritage de Saint Thomas d'Aquin. Il souligne l'importance historique du Concile Vatican II, et pointe les pièges idéologiques liés aux questions de la foi. 

 

Milkipress - Arnaud, peux-tu nous offrir quelques confidences sur ta biographie personnelle? 

 

Arnaud Dumouch - Mon enfance, pendant mes 13 premières années, c’est l’expérience de l’athéisme, l’athéisme pratique. Et tout d’un coup à 14 ans, après m’être fait prendre dans un magasin pour un vol à l’étalage, une découverte de Dieu en passant par une église, à travers la vierge Marie. C’est une découverte brutale, qui fait que du jour au lendemain, vraiment, par une présence de Dieu, je suis allé à la messe ; et puis j’ai mis un an à me confesser.


Pour ce qui est de la découverte de Saint Thomas d’Aquin, je peux dire que j’ai eu de la chance. D’abord à Rennes, j’ai eu la chance de rencontrer un groupe de prière, très fidèle à l’Eglise : le groupe de Gérard et Béatrice Lebouteiller, qui m’ont emmené à Solesmes avec d’autres jeunes. A l’époque, le fait qu’ils étaient dans la ferveur leur valait beaucoup de persécution. Et pourtant ils ont tenu. Grâce à un moine de Solesmes, le père Gelineau, j’ai été mis en contact avec la communauté Saint Jean, le père Marie-Dominique Philippe, qui est un grand thomiste, véritablement. Je connaissais Saint Thomas d’Aquin, mais de nom, et de toute façon je voulais être dans la fidélité à l’Eglise ; grâce à lui, dans les années 83, j’ai pu avoir une formation solide et axée vraiment sur le réalisme philosophique, par Aristote.


Quand j’ai commencé à enseigner, d’abord à Paris, puis ensuite en Belgique pendant 20 ans, on peut dire que mes élèves ont été les meilleurs maîtres parce qu’ils ne passent rien, ils obligent à formuler les choses simplement, à apprendre la pédagogie. Si on est trop intellectuel on ne passe pas ; mais si on explique les choses avec des exemples, on passe.

 

 

Milkipress - Qu’est-ce que la théologie de Thomas d’Aquin peut apporter aux chrétiens d’aujourd’hui ?

 


Arnaud Dumouch - Je crois que sur un point fondamental, son esprit, il est absolument le docteur commun que donne l’Eglise à tous les catholiques. A savoir que comme disait Saint François de Sales : "En lui, foi et raison marchent ensemble comme deux affectionnées".


Je crois que c’est la clé de Saint Thomas d’Aquin. Cela veut dire que tout ce qu’apporte la raison – de manière réaliste – il le garde, il le fait sien. Et ça permet, dans la fidélité totale à l’Eglise, de comprendre plus profondément la foi. Donc il n’y a pas d’opposition chez lui [entre raison et foi]. C’est quelque chose d’unique… quand on voit par exemple les évangéliques qui ne gardent que la bible et qui prétendent que la bible parle de tout, y compris de comment le monde tourne ! Pas Saint Thomas d’Aquin, pour lui, la bible parle de la doctrine du Salut, et elle est accompagnée de la Tradition et du Magistère.

 

 

Milkipress - Peut-on prouver l’existence de Dieu ? Si oui, existe-t-il d’autres voies que celles présentées par Thomas d’Aquin ?

 


Arnaud Dumouch - On peut prouver l’existence de Dieu parce que l’effet doit avoir une cause qui lui est adaptée. Les voies de Saint Thomas d’Aquin, celles qu’il a développé, sont abstraites ; il donne des séries de voies et si on veut les rendre concrètes aux personnes de notre temps, il faut les actualiser avec la science.

 

On a un exemple magnifique  qui a été très critiqué, et je crois que c’est à tort, sans doute parce que peut-être il y a quelques erreurs épistémologiques, ce sont les frères Bogdanov : ils sont là, ils regardent le monde et ils disent que dans le premier instant du monde sont apparues des équations extrêmement fines. Pour que ça apparaisse comme cela à partir de rien, et que tout de suite ce soit structuré à la cinquantième décimale, alors il faut un mathématicien de haut niveau qui a pensé cela. Donc ils posent une cause adaptée à l’effet. C’est une des voies de Saint Thomas d’Aquin, mais comme vous le voyez, c’est modernisé. On a bien tort de les critiquer ! Même si leurs voies d’accès ne sont pas scientifiques : elles sont de philosophie réaliste, dans la ligne de Saint Thomas d’Aquin… mais ça ils ne le savent pas forcément.

 


Milkipress - Reconnais-tu certains excès attribuables à l’héritage scolastique ?

 

Arnaud Dumouch  - Oui. Comme dans toute école, et la scolastique est une école brillante, il y a des fondateurs qui sont des intelligences fondées sur le réel, données à la foi… et il y a ensuite, forcément, des perroquets. C’est-à-dire des gens qui, au lieu de regarder le contenu profond de la doctrine, vont plutôt répéter des maîtres. Ils vont se référer à des maîtres comme si l’autorité était le maître, vivant, et non pas le réel envers qui le maître se référait. Et donc il y a eu toute une scolastique décadente.


Il faut savoir aussi que dans la scolastique, il y a eu des erreurs. Par exemple, Saint Thomas d’Aquin est mort avant de terminer sa Somme de théologie, et tous les traités qui suivent sa mort, qui ont été reconstitués avec frère Reginald, à partir d’œuvres de jeunesse, sont contredits par Vatican II :


-Traité du mariage : parce que Saint Thomas d’Aquin réduit le mariage à la reproduction et à un remède à la concupiscence. Il ne parle pas du bien des époux, leur amour qui grandit.


-Traité de l’ordre : parce qu’il le finalise par l’Eucharistie. Le concile Vatican II va montrer que l’ordre est finalisé par l’union de l’Eucharistie avec le cœur des fidèles. Donc le prêtre fait l’alliance entre les deux.


-Et puis surtout le traité des fins dernières : on sait depuis Vatican II (Gaudium et Spes, 22-5) que Dieu va proposer son Salut à tout homme, ce que Saint Thomas ne croyait pas, puisqu’il mettait des enfants morts sans baptême dans l’enfer éternel. Donc le Concile Vatican II a énormément fait avancer les choses. Sur ce point-là, si jamais on reste fidèle à la scolastique de Saint Thomas d’Aquin, on se trompe. Il faut que Saint Thomas d’Aquin soit le docteur commun qui forme l’intelligence, avec l’harmonie de la science et de la foi, et ensuite, lorsque l’Eglise a avancé il faut se servir des repères de l’Eglise, et lorsque la science a avancé il faut moderniser Saint Thomas d’Aquin avec la science.

 


Milkipress - Que penses-tu de l’Apocatastase et, plus largement, de l’idée selon laquelle tous les hommes seront sauvés à la fin des temps?

 


Arnaud Dumouch - On ne sait pas si quelqu’un est en enfer. On n’en a aucune idée. On sait qu’il y a des démons qui sont en enfer. L’Eglise ne canonise pas pour l’enfer. Mais si quelqu’un est en enfer, ça ne peut être qu’à travers un acte qu’on appelle un blasphème contre l’Esprit Saint ; donc une liberté totale, parfaite, absolue, au point qu’aucun motif ne fait varier la personne.
Le péché contre l’Esprit Saint, lorsqu’il existe, n’est pas pardonnable, non pas parce que Dieu ne peut pas le pardonner – il voudrait bien le pardonner – mais parce que la personne n’a rien à faire du pardon, et que pour que le pardon existe il faut un repentir… et quelqu’un qui pardonne. Ils ne se repentent jamais. Donc l’Apocatastase est une doctrine que le Magistère a rejeté, et qui n’existe, je crois, que parce qu’on ne comprend pas le blasphème contre l’Esprit Saint.

 

 

Milkipress - En quoi Vatican II fut un concile salvateur ?

 

Arnaud Dumouch - Il fut salvateur sur énormément de choses. On sait comment les traditionnalistes – les intégristes de monseigneur Lefebvre – ont essayé de le remettre simplement dans un concile pastoral, de manière à se débarrasser des nouveautés qui étaient justement différentes de ce que disait Saint Thomas d’Aquin. Ils avaient tendance à faire de Saint Thomas d’Aquin le Magistère universel parce que jusqu’ici il ne s’était jamais trompé. Eh bien le Concile a apporté énormément. Il y a 7 ou 8 points de théologies fondamentaux.

 

Par exemple, Gaudium et Spes (22 ; 5), c’est peut-être le seul endroit où il y a, me semble-t-il, un dogme solennel qui a dû échapper aux pères :

 

« Nous devons tenir que Dieu propose son Salut à tout homme par un moyen connu de lui »

 

A tout homme ! Ça veut dire que personne n’ira en enfer par ignorance. Autre chose : le sacrement de l’ordre fait l’alliance entre l’homme et les sacrements ; le sacrement de l’ordre est donc un sacrement de médiateur, et l’évêque, sous ce rapport-là, a le sacerdoce plénier. Autre chose encore : les religions ne sauvent pas, mais elles possèdent toutes en elles des semences de la vérité qui préparent au Salut qui est fait par Jésus-Christ seul. C’est un apport essentiel. Avant on pensait que les religions, tout simplement, perdaient ! Et là, l’Eglise dit :

 

Non ! Il y a des semences de la vérité émises par l’Esprit Saint »

 

Sur la liberté religieuse, il y a une partie dogmatique essentielle qui dit que l’homme est par nature un être libre, et que Dieu le mène comme un être libre vers le salut. Ça implique une pastorale nouvelle de l’Eglise qui dit : on doit pouvoir attirer les brebis à soi, et non pas les garder dans un carcan comme on le faisait jadis. Cette pastorale-là est très critiquée, mais c’est impossible de faire autrement ! Comment faire autrement dans des pays libres ! Ce concile, véritablement, lorsqu'il portera ses fruits, sera fantastique. Je crois ! Il faut simplement que des théologiens arrivent à unifier toute sa doctrine pour montrer à quel point elle va dans le sens de Thomas d’Aquin : elle le prolonge.

 


Milkipress - Comment justifies-tu l’existence de Dieu face à l’argument du Mal (Dieu ne saurait exister dans un monde où, chaque jour, des enfants innocents souffrent le martyre) ?

 

Arnaud Dumouch - Je crois qu’il y a deux choses, et deux choses seulement, que malgré tous les efforts, la théologie catholique n’arrive pas à expliquer. C’est la souffrance des enfants tout petits, parce qu’elle ne sert à rien, si ce n’est par rebondissement à appauvrir le cœur de leurs parents… et la souffrance des animaux.

Mais le reste, la souffrance de nous, adultes : on voit bien quelle est sa cause. Certains ont dit :


« Elle s’explique par la liberté de l’homme »


Mais non ! Cette souffrance qui s’explique par la liberté de l’homme c’est uniquement celle imposée par quelqu’un comme Hitler – que Dieu laisse libre quelques années. Visiblement, il y a d’autres raisons, profondes ; et apparemment, en regardant dans les Evangiles profondément, on s’aperçoit que la Terre est un purgatoire, et que Dieu nous y prépare le cœur. Donc Il laisse faire certaines souffrances. Il veut créer en nous non seulement un cœur aimant, mais un cœur tout humble, parce que visiblement personne ne peut voir Dieu sans mourir à soi-même. C’est ce que Dieu avait dit à Moïse… et Jésus le redit autrement :

 

Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits »

 

Donc la clé de la souffrance, ce n’est pas la liberté, fondamentalement. C’est Dieu qui prépare le cœur de l’homme, parce que sans être mort à soi-même, on n’arrive pas à voir Dieu ; on ne peut pas ! Dieu est trop… je dirais… mystérieux et infini pour être vu sans cela.

 


Milkipress - Quelles sont les trois principales failles intellectuelles de l’athéisme ?

 

Arnaud Dumouch - Je dirais que la première, c’est Feuerbach… Feuerbach, c’est le prince des athées ! C’est lui qui dit en substance :

« Regardez ! Le christianisme c’est la plus magnifique des religions, parce qu’elle correspond aux désirs inconscients les plus profonds de l’Homme : il veut vivre éternellement, il veut un amour infini, il veut la toute-puissance par rapport à cet amour, etc »

 

… Et il en conclut que le christianisme est la projection pathologique de nos désirs dans un Dieu imaginaire. Eh bien, on peut retourner Feuerbach en disant :

 

« C’est peut-être parce que le cœur de l’Homme est fait pour ce vrai Dieu qu’il a ce désir en lui, et que le christianisme l’attire »

 

Donc, son argument est une faiblesse. Véritablement !

 

Autre faiblesse de l’athéisme : l’athéisme pratique actuel. Sa plus grande faiblesse c’est qu’il prétend être tolérance, simplement tolérance… et donc dans les lois politiques, on prétend ne voter que des lois qui donnent la liberté, mais, évidemment, sans aucune espèce de considération religieuse… Ce n’est pas vrai, en réalité ! Parce qu’on supprime toutes les religions spirituelles, on fonde les lois actuelles sur une religion qui s’appelle l’athéisme pratique. Par exemple l’avortement : on considère obligatoirement – puisqu’on avorte – que l’enfant n’a pas d’âme, et donc que Dieu n’existe pas… que tout ça ce sont des mythes. C’est un pari extrêmement risqué qui torture le cœur des hommes actuels. Ça c’est un deuxième problème véritable ! Croire qu’on peut penser un monde sans religion est une illusion, on y met à la place la religion athée.

 

Troisième faiblesse : croire que l’homme pourrait se passer plus de cinquante ans de Dieu : c’est ce qu’a pensé mai 68. C’est oublier ce que c’est fondamentalement que le cœur de l’homme, qui a besoin de réponses aux trois questions :

 

« D’où est-ce que je viens ? Qui suis-je ? Où vais-je ? »

 

Et donc résultat, qu’est-ce que donne, cinquante ans après, mai 68 ? Des jeunes qui prennent les valeurs inverses, et qui au nom de Dieu tuent l’Homme… alors que mai 68, au nom de l’Homme, tuait Dieu. Ah, c’est une réussite ! On voit bien qu’on ne peut pas changer le cœur de l’Homme… Que si on le retire complètement des paroles qui sortent de la bouche de Dieu, alors il va aller ailleurs parce qu’il a besoin d’un sens à sa vie. La principale faiblesse de l’athéisme c’est ça : il croyait pouvoir libérer l’Homme de ces questions de sens, il n’a réussi à rien du tout.

 


Milkipress - Quelle parole d’amour verbalisable aujourd’hui, face aux persécuteurs des chrétiens dans le monde ?

 

Arnaud Dumouch - Je pense à Asia Bibi. Pour moi, c’est la plus grande prophétesse de ces dernières années. Elle a dit simplement, face à des musulmanes qui l’attaquaient parce qu’elle avait bu dans leur verre de l’eau – et que c’était polluer, salir leur verre :


« Le Christ, Lui au moins, s’est sacrifié pour nous »


Et cela lui a été tenu comme blasphème… parce que de fait, Mahomet ne s’est pas sacrifié pour son peuple. Donc c’était l’insulte suprême ! Elle est en prison depuis cinq ans pour cela, condamnée à mort, impossibilité de la libérer, beaucoup ont été tués par les islamistes parce qu’ils voulaient la libérer. C’est pour moi le plus grand des témoignages, cette simple phrase :


« Lui le Christ au moins, s’est sacrifié pour nous »

 

 

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