Au début du XXème siècle, sur le territoire actuel de la Namibie, se déroule l’un des épisodes les plus sanglants de l’histoire coloniale africaine. Alors possession allemande, cette région va connaitre une vague de violence inouïe et sombrer inexorablement dans le chaos. Située entre l’Angola et l’Afrique du Sud, la province est vaste comme presque deux fois la France et tire son nom du désert littoral de Namib qui le constitue. Semi-désertique et bordé par l’océan Atlantique, c’est un Etat artificiel, pure création allemande. Les frontières ont été fixées arbitrairement par les puissances européennes lors de la Conférence de Berlin en 1884.
La Namibie n’est donc l’héritier d’aucune réalité historique précoloniale. Le « Sud-Ouest africain », nom donné jadis à la colonie allemande,
compte alors quelques 200 000 indigènes. Parmi eux, près de la moitié sont des Héréros, peuple d’éleveurs riches affilié aux Bantous. Leur soulèvement en janvier 1904 contre l’envahisseur germain va leur être fatal. Cependant, fait troublant et dépitant, les infortunés martyrs sont d’anciens esclavagistes…
Aux origines
Au XVIème siècle, un peuple bantou originaire de la région des Grands Lacs, les Mbandua, émigre dans le nord de la Namibie. Ces derniers, nouveaux migrants, doivent dans un premier temps coexister avec un peuple déjà présent dans la région : les Tswana. Ceux-ci, frappés par le fort caractère et la farouche détermination de cette tribu les surnomment alors les Héréros, ce qui signifie dans leur dialecte : « résolus, impétueux ». Ce nom restera.
Cependant, la cohabitation devient rapidement impossible. Ainsi, les Héréros décident de s’établir avec leurs troupeaux encore plus à l’Ouest, dans les régions montagneuses et arides de Kaokoveld. Ils vont y rester jusque vers le milieu du XVIIIème siècle, puis ils seront chassés par les redoutables Ovambo.
La plupart des Hereros quittent le Kaokoveld vers 1750 pour s’installer dans les immenses plaines du nord de la Namibie.
Toutefois, certains d’entre eux préfèrent y rester, bien que désormais peu sécurisée. Dès 1850 la situation se dégrade dramatiquement. Les Héréros sont durement frappés par de terribles razzias organisées par les Nama Swartboois et Topnaars. Par ailleurs, ils constituent deux nouveaux groupes : les Tjimba, peuple de chasseurs cueilleurs, et les Himba, gardiens de la tradition héréro qui font aujourd’hui le bonheur des touristes et des photographes notamment par leurs tenues vestimentaires.
Coutumes et mode de vie
Les Héréros sont des éleveurs intrépides. Vaillants et honnêtes, ils portent des vêtements en peau et s’ornent de parures de métal. D’autre part, ils vivent dans des cases en forme de ruches et détail amusant, utilisent de l’urine et de la bouse pour le nettoyage.
Par ailleurs, ils vouent un culte mystique pour les arbres. Selon leurs croyances, ces végétaux leur rappellent l’arbre sacré de la tribu : « omuMborombonga » ; les Héréros se seraient rassemblés autour de celui-ci lors de leur arrivée dans le nord de la Namibie. Un sacro-saint qu’ils vénèrent encore aujourd’hui. Tout comme Ndjambi, le dieu suprême du ciel.
Pourtant, ces « divinités » n’ont pas la place prépondérante qu’occupe Mukuru, l’ancêtre primitif de la tribu dont le chef de clan se veut être la réincarnation vivante. Toutefois, le souverain de la tribu n’exerce que des pouvoirs rituels.
Il bénéficie de quelques passe-droits, comme entre autres, l’apanage de gouter chaque jour en premier au lait frais, et l’honneur de s’assoir près du feu sacré.
En outre, il existe un interdit fondamental dans leur culture : le lait ne doit jamais entrer en contact avec des récipients en métal ou en terre.
Particularité captivante : les Héréros n’ont jamais été soumis à de grands chefs suprêmes. Hormis de rares fois, et dans un contexte bien précis qui les obligeaient à le faire. Cela est dû en partie au fait qu’ils sont plus libres. Effectivement, la possession de la terre importe beaucoup moins à ce peuple semi-nomade qu’à d’autres tribus totalement sédentarisés, et cela influe directement sur leur structure tribale.
Les Héréros, ancien peuple négrier
Les Héréros ne sont pas qu’un sympathique peuple d’éleveurs, mais également une tribu d’asservisseurs redoutables. A l’instar d’ailleurs des autres grandes tribus de la région.
Tels les Ovambo qui, à partir de 1820, se procurent des esclaves dans les tribus voisines afin de les échanger avec les marchands portugais venus du port de Moçamedes, contre des armes, des munitions et de la verroterie.
Les Héréros vont asservir tout un peuple: les Damara. C’est une nation de chasseurs-cueilleurs, totalement pacifiste, qui vit recluse dans les confins de certaines régions montagneuses de l’ouest du pays.
Au début du XIXème siècle, les Damara échangeaient avec les Nama du cuivre, du tabac et du dagga, une variété de cannabis, et s’étaient spécialisés dans la fabrication de pipes en pierre à savon (« la Namibie » de Christian Bader).
Les Damara sont, au moment de la colonisation allemande, les serfs des Héréros. La récente présence de marchands européens va soudainement bouleverser les rapports de force.
En effet, comme les Damara sont de plus en plus régulièrement recrutés comme pisteurs par ces marchands, ils demandent naturellement à passer sous leur protection.
En conséquence de quoi ils sont rapidement libérés du joug de leurs anciens bourreaux. Ce brutal bouleversement provoque la colère féroce des Héréros.
Certains historiens affirment du reste que l’affranchissement des serfs damara aurait été la principale cause du soulèvement des Herero en 1904 (« la Namibie » de Christian Bader).
Le Sud-ouest africain allemand (1885-1915)
Vers 1850, lorsque les premiers Européens débarquent en Namibie, les populations locales ont déjà été largement décimées par le trafic d’esclaves. Un commerce répugnant organisé non seulement entre tribus africaines et négociants étrangers (principalement portugais), mais également entre ethnies africaines elles-mêmes, fait généralement inconnu ou occulté, voire totalement nié en Occident.
C’est dans ce contexte désolant que ce morceau d’Afrique passe sous domination allemande. Elle le restera pendant près de 30 ans Autant dire que c’est un laps de temps quasi insignifiant à l’échelle de la colonisation européenne, mais suffisamment long pour permettre aux Allemands d’enfoncer encore un peu plus le clou.
En 1885, les Allemands s’emparent des côtes namibiennes et affirment un peu plus leur autorité sur la région. Ainsi, ils engagent des pourparlers avec Maharero, le chef des Hereros, et signent avec lui un traité de protection.
En 1889, les troupes Allemandes, commandées par Kurt von François, reconduisent ce traité de protection avec Maharero. Celui-ci meurt en 1890.
Son fils, Samuel, récupère le flambeau de patriarche mais n’arrive cependant pas à imposer son autorité auprès de l’ensemble des tribus Héréros. Ainsi, la mort dans l’âme, il se résout difficilement à mettre en place une politique de collaboration avec les Allemands. Il cède alors aux colons une partie significative de ses terres en échange de produits provenant du vieux continent.
En 1894, la région est placée sous l’autorité d’un commissaire impérial : le Dr Heinrich Goering. Celui-ci n’est autre que le père du futur bras droit d’Hitler, Herman Goering, qui sera un jour commandant en chef de la Luftwaffe.
En 1895-1896, un épisode tragique va précipiter toute l’Afrique australe dans la détresse et la violence. Et donc a fortiori la Namibie. La région est violemment touchée par une épidémie de peste bovine. Les troupeaux sont presque totalement anéantis. Une catastrophe n’arrivant jamais seule, un second fléau vient se superposer. Une terrible vague de sècheresses achève les populations. Le pays est exsangue.
La famine, puis les conflits tribaux ayant pour motif le contrôle des derniers troupeaux feront plusieurs milliers de morts. Toutefois, bizarrement, un seul évènement cristallise l’ensemble des esprits: le massacre des Hereros.
Ecrasement des Hereros : carnage ou génocide ?
A partir de 1896, les Hereros sont victimes d’exactions de la part des colons, qui eux aussi sont durement touchés par l’immense épidémie de peste bovine. Pourtant, ce qui les exaspère au plus haut point est l’affranchissement de leurs serfs Damara par les Allemands. En conséquence, de très fortes tensions apparaissent.
Fin 1903, confrontés à la rébellion des Nama dans le sud du pays, les Allemands sont contraints d’envoyer des troupes pour rétablir l’ordre.
Pour le nouveau chef héréro, c’est une opportunité à saisir. Cette fois, il réussit à convaincre toutes les tribus héréros de s’unir à lui. Son objectif est d’expulser les colons de la région, et de recouvrer les privilèges d’antan. Ainsi, le 10 janvier 1904, il lance un immense soulèvement qui va embraser la région toute entière. La guerre est déclarée.
Disposant de 6000 fusils, les insurgés sabotent immédiatement la voie de chemin de fer, incendient les fermes, réquisitionnent le bétail, et déciment toutes les troupes allemandes qu’ils trouvent sur leur chemin. Pris au dépourvu, les colons effacent de sérieux revers. On dénombre plus d’une centaine de civils allemands tués.
Le IIème Reich contre-attaque. Il mandate alors le féroce général prussien Lothar von Trotha pour rééquilibrer la balance. En quelques jours à peine la situation bascule totalement. Les Hereros sont littéralement balayés. C’est une véritable boucherie. L’humble tribu africaine, malgré sa vaillance, ne fait pas le poids face à la redoutable machine de guerre européenne, et tout son arsenal militaire moderne.
Les historiens ne sont pas unanimes sur le fait de qualifier de génocide le massacre des Héréros. Pourtant, l’ordre du général prussien va bien dans ce sens :
À l'intérieur de la frontière allemande, tout Herero, avec ou sans fusil, avec ou sans bétail, sera fusillé. Je n'accepte plus ni femme ni enfant, je les renvoie à leur peuple ou fais tirer sur eux. Telles sont mes paroles au peuple herero. Le grand général du puissant empereur. Von Trotha »
Bien que voulant chasser furieusement les colons, les Héréros mettent néanmoins un point d’honneur à ne pas s’attaquer aux plus faibles.
Samuel Maharero, chef des Herero, promulgua un édit selon lequel aucun tort ne devait être fait aux femmes et enfants allemands, aux Anglais, Boers et missionnaires, et à leurs biens.
Les Allemands perdent quelques 2 500 hommes, tandis que les Hereros, déplorent près de 65 000 morts sur une population totale estimée à 80 000. A l’issue du soulèvement, 80% de la tribu est exterminée.
Jérémie Dardy.
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