Dario Hunter est né en 1983. Il a été élevé aux Etats-Unis par une mère afro-américaine et un père iranien shiite. Passé par une institution scolaire catholique, puis musulmane et (entre autres) par la prestigieuse université de Princeton, le jeune homme se convertit au judaïsme vers ses vingt ans. Le 25 août 2012, à 29 ans, Dario est ordonné rabbin à New-York.
Se définissant lui-même comme juif libéral et gay, il revendique fièrement l'honneur d'être le premier rabbin juif né musulman. Aussi ne cache-t-il pas son activisme fébrile en faveur d'Israël, pays où il vit désormais. Ses prises de position concernent aussi la lutte contre le terrorisme islamique; il dénonce ouvertement les mouvements du Hamas et Hezbollah, qu'il juge conjointement terroristes.
Ses contributions intellectuelles sont peu visibles et trop rares pour qu'il puisse être actuellement considéré comme un intellectuel de poids au sein du monde juif. Au demeurant, son histoire personnelle illustre les mutations religieuses contemporaines, travaillées par une mondialisation qui brasse comme jamais cultures, identités et spiritualités.
LA QUESTION DE LA DISSOCIATION CROISSANTE CULTURE / RELIGION
Sans aucunement préjuger de la licéité de la conversion de Dario Hunter et de son cas personnel, il serait intéressant de nous interroger sur l'émergence d'un phénomène inquiétant, de plus en plus palbable à l'échelle mondiale: la déconnexion dorénavant fréquente entre culture et religion, entre background culturel et foi personnelle revendiquée. Il est désormais d'usage, chez un nombre croissant de jeunes merdeux, de recomposer son patrimoine identitaire, de courcicuiter sa banalité sociologique en recourant à des conversions éclairs ou "coups de foudre émotifs".
D'aucuns s'en réjouissent par principe, avançant les bienfaits naturels du métissage spirituel. D'autres, qu'ils soient plus obtus ou quelquefois plus avisés, s'inquiètent d'une désagrégation progressive des grandes masses identitaires; l'atomisation et le mélange des substances religio-culturelles entraînant parfois des réactions chimiques pour le moins explosives.
Le chercheur Olivier Roy a identifié ce phénomène sous l'expression emblématique de "sainte ignorance". Provocatrice, cette appellation sociologique vise à faire prendre conscience au grand public cultivé que nous ne saurions résumer ces chamboulements massifs à de simples options personnelles sympathiques. Le phénomène de conversion brutal tributaire d'engouements romantiques, parfois juvéniles, d'autres fois protestataires, ne saurait être confondu à la sincérité des conversions spirituelles mûrement réfléchies et préparées. La thématique étant des plus sensibles, il est nécessaire de réfléchir avec la plus paranoïaque prudence à ces questionnements brise-gueule.
A l'heure du djihadisme 2.0 dans les arrière-cours de la "France éternelle" et des conversions instantanées au protestantisme sur le continent beur, nous ne saurions faire l'économie d'un grand débat grinçant collectif. La marchandisation des espèces religieuses et la duplication soldée des grandes valeurs spirituelles (chrétiennes et musulmanes notamment) causera de sérieux dommages chez d'innombrables jeunes. Les gueules cassées du XXI° siècle risquent la défiguration intérieure. Tout en veillant sur la liberté de conscience partout menacée, prenons garde à son spécieux revers: la déconnexion entre culture et foi, qui s'avère souvent mortelle.
Pierre-André Bizien
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