Obèsément riche d’un folklore et d’un patrimoine historique ubuesques, l’Inde est un pays qui vous explose la rétine. Taj Mahal, palais flottants, mosquées multi centenaires, forteresses en plein désert, temples sikhs et hindous éclatants, parcs nationaux édéniques… immense potentiel touristique. Sans compter les 1,3 milliards d'habitants monsieur... De quoi vous plonger dans l'humain jusqu'à l'os.
Pour autant, ne soyons pas si jouasses: de nombreux problèmes affectent le territoire : extrémistes hindous, attentats islamistes, menaces terroristes, mouvement de guérilla communiste naxalite, déséquilibre hommes/femmes, viols quotidiens, pauvreté extrême, tensions avec le voisin pakistanais. S’il est détenteur de la puissance nucléaire, s’il jouit d’un climat démocratique solide, le géant indien doit cependant relever de nombreux défis économiques et sociaux.
Lorsque j’arrive en Inde, le choc culturel est immense. « It’s a bit STRONG »… Le voyage débute d’ailleurs sur les chapeaux de roues…
Arrivée épique à Delhi
Il fait encore nuit lorsque je débarque dans la capitale indienne. A peine quelques kilomètres parcourus depuis l’aéroport que ma petite gorge occidentale est prise de convulsions. Ça pique fort, c’est irritant. Ici, pas de petit foulard de soie à s’enrober autour du cou. La pollution… d’emblée, elle vous accueille. Impression de plonger dans une baignoire de suie, gueule béante. Sur le chemin, pas moins de trois accidents graves en cinq kilomètres. Plate routine… au cœur d’une civilisation qui accueille le tragique avec torpeur et indolence.
Accidents de la route épouvantables… et pour putain de cause : un quart des véhicules n’a pas de rétroviseur. Personne ne semble choqué ici, mis à part moi, l’Occidental écorché, habité, épouvanté. Mon chauffeur reste placide. Lui qui, au volant de son « touktouk » de compétition, sorte de tricycle motorisé, prend ses virages à la Schumacher. L’œil mi-clos, il fonce à toute blinde et slalome entre les voitures démembrées. Je sers mes petites fesses : comment se rassurer lorsqu’on voit le si piètre état des routes, leur encombrement incroyable ? Ca circule, ça déborde, ça suinte de partout. Aussi, combien de vaches indolentes (l’animal sacré par excellence) déambulent sans complexes au travers des rues ! C’est la ferme à la ville.
Aussi, le sens de circulation est en méticuleusement transgressé, en permanence. Quelle inventivité, quel raffinement d’inconscience !!! Le charme local, me dira-t-on… Ah…ces klaxons qui gueulent en continu, qui vous harcellent le tympa, qui cherchent à vous l’enfoncer par vibrations continues... Totale nuisance. Oui, le bruit est définitivement l’ennemi local numéro un.
Me voici enfin arrivé à l’hôtel. Nouvelle surprise : alors que je frictionne mon petit corps tout moite dans ma chambre et que je m’apprête à défaire ma valise, un employé de l’établissement entre sans frapper, le plus naturellement du monde. Instant paranormal. Il ressort tranquillement. Cinq minutes plus tard, il revient tout naturellement, comme si l’on partageait la chambre à deux. Un flux soudain de sang se répand dans ma pupille fiévreuse, une goutte de sueur glacée perle sur ma tempe. Passons….
A quelques heures en train seulement de la bouillonnante Delhi, je m’échappe à Agra, petite ville paisible du nord de l’Inde qui abrite le plus célèbre monument du pays… le fameux palais…
Taj Mahal, le joyau de l’Inde
Le Taj Mahal est un immense mausolée de marbre blanc construit entre 1631 et 1648. Il accueille la dépouille de l’épouse favorite de l’empereur moghol Shah Jahan. Celle-ci mourut en accouchant de son quatorzième enfant.
L’imposant bâtiment, dont l’architecture est une fusion de style persique, islamique et d’Asie centrale, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Comme il se doit. Entouré de quatre grands minarets hauts de 40 mètres chacun, son érection a nécessité le concours de 20 000 ouvriers et artisans. Bordel de Shiva ! La légende raconte que les plus expérimentés d’entre eux ont eu les mains coupées pour ne pas pouvoir refaire un tel ouvrage.
Par ailleurs, s’il est communément admis que le Taj Mahal constitue l’extraordinaire témoignage d’Amour d’un mari envers son épouse ; il faut tout de même rappeler que le monarque avait un harem de plusieurs milliers de femmes ! Pas exactement le genre de générosité humaine à la saint françois d’Assise…
Les pierres semi précieuses incrustées dans l’édifice ainsi que la multitude d’autres matériaux rares nécessaires à sa construction expliquent son coût exorbitant.
Passons à autre chose. Un festival en Inde célèbre l’arrivée du printemps et permet par la même occasion de rassembler presque toute la population…
Holi festival, une fête colorée
Le holi festival est une fête hindoue extrêmement populaire en Inde. Elle célèbre chaque année l’arrivée du printemps et fédère le peuple en gommant les différences sociales. Aussi, elle cristallise le temps des festivités les divergences religieuses.
Les indiens se jettent innocemment de la poudre colorée les uns sur les autres, et s’aspergent d’eau dans une allégresse invraisemblable. Spectacle délectable à vrai dire. Je m’y suis moi-même essayé, me coulant dans cette marée humaine chaude et adipeuse. Expérience unique. Je puis en témoigner.
Me voilà arrivé dans la ville de Mathura dans l’Etat de l’Andra Pradesh, où selon le mythe, le dieu Krishna a grandi. Je m’empresse de changer de vêtements pour affronter les esprits déchaînés, et surtout les pigments colorés.
A peine ai-je mis un pied dans la rue qu’un petit commando de cinq indiens m’encerclent rapidement et me badigeonnent de poudre de la tête aux pieds. Je grimpe furtivement dans un véhicule pour parcourir les dix derniers kilomètres qui restent pour arriver au temple dans lequel bat le cœur de la fête. Dans un miroir je crois voir un teletubbies, mais en fait ce n’est que moi, version « holi festival ».
Partout, une foule en délire : enfants, adultes, hommes, femmes, s’envoyant de la poudre colorée. Tous les vingt mètres je subis les nouveaux assauts enfiévrés de maquilleurs d’un jour. Soudain je reçois mon premier sceau d’eau sur la tête. Les petits malins se cachent sur les toits des immeubles et arrosent leurs victimes à intervalles réguliers.
Mayank, un graphiste de 31 ans, est euphorique quand j’évoque l’ambiance ici :
Je viens ici tous les ans, c’est magique. Tout le monde est en tongue tee-shirt pour faire la fête, il n’y a plus de barrière sociale comme le reste de l’année (…)C’est notre spring break à nous ! »
La joie se lit sur tous les visages. Pendant ce temps, les singes assistent médusés au spectacle et en profitent astucieusement pour chaparder un peu de nourriture. Tandis que les vaches se font tartiner allégrement et restent stoïques, certaines d’entre elles commencent déjà à ressembler étrangement à la vache Milka.
L’arrivée au temple se fait dans une ambiance survoltée. J’ai l’impression d’être dans un troupeau de gnous en pleine migration dans la savane africaine. On est tous collés les uns aux autres. Obligation d’enlever les chaussures pour pénétrer dans le lieu sacré. Des chants religieux sont repris par des centaines de fidèles à l’unisson à l’apparition de statuettes représentant leurs divinités. C’est du délire complet. Un spectacle hors normes.
Le holi festival est donc un évènement fédérateur pour l’ensemble du peuple indien, toute origine sociale confondue. Malheureusement, ce n’est que temporaire…
Les castes, une chape de plomb sur la société indienne
L’hindouisme est la religion la plus répandue en Inde. Pratiquée par 80% de la population, elle a pour principes fondamentaux : le puja (la vénération des divinités), la crémation des morts, et la hiérarchisation de la société en un système de castes.
Cette dernière est particulièrement inégalitaire. Bien que la discrimination qui en découle soit interdite depuis la constitution de 1950, elle continue malgré tout de régir et de rythmer la vie du peuple indien. Adopté il y a plus de 2500 ans, ce système divise encore aujourd’hui la société indienne en quatre grandes castes.
Tout en haut de cette pyramide sociétale on trouve les brahmanes (prêtres, lettrés), viennent ensuite les kshatriyas (guerriers, princes), puis les vaishyas (commerçants, usuriers). Enfin, la dernière caste est composée par les sudra (cultivateurs, éleveurs, artisans, serviteurs). Il existe une dernière catégorie, représentant presque 20% de la population (soit près de 200 millions de personnes), mais celle-ci n’est pas classable dans le système de castes classique. Ce sont les intouchables, désignés par le terme de dalit (opprimé). Ils en sont exclus car ils exercent des métiers dits « impurs », comme éboueur.
Sagan, un jeune étudiant en mode de 26 ans est assez direct sur le sujet :
Les castes existeront toujours en Inde, mais en général les gens s’en accommodent très bien, même les hors castes d’ailleurs ».
Les intouchables sont donc mis au banc de la société et ont peu de chances d’aspirer à une vie meilleure. En effet, il est déjà quasiment impossible de changer de caste, alors… accéder à un autre statut que celui de dalit semble inimaginable. Par ailleurs, les indiens sont dans leur majorité très attachés à ce système. Ces inégalités vont donc probablement perdurer encore longtemps.
Jérémie Dardy
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