Le concile Vatican II devant l'altérité spirituelle. En finir avec le mythe

Le fameux Concile Vatican II, celui dont la légende médiatique a fait tout jaillir et tout fleurir, n'a jamais été l'hymne à la tolérance et au relativisme que l'on croit.


Au fond, qu’a-t-il été véritablement dit de l’altérité durant ce concile ?  Un certain nombre de choses complexes, que la réception collective a incurvées – qui par enthousiasme débordant, qui par indignation.
Revenons-en simplement aux textes:

Le 21 novembre 1964, le pape Paul VI publie un décret relatif à l’œcuménisme, UnitatisRedintegratio.Entre les lignes, on perçoit que le temps est venu pour Rome d’officialiser sa bienveillance vis-à-vis des chrétiens séparés… tout en maintenant la suprématie catholique sur la question de la Vérité :


 Parmi les éléments ou les biens par l’ensemble desquels l’Église se construit et est vivifiée, plusieurs et même beaucoup, et de grande valeur, peuvent exister en dehors des limites visibles de l’Église catholique » (Unitatis Redintegratio)


Mais aussi :


 Chez nos frères séparés s’accomplissent beaucoup d’actions sacrées de la religion chrétienne qui, de manières différentes selon la situation diverse de chaque Église ou communauté, peuvent certainement produire effectivement la vie de grâce, et l’on doit reconnaître qu’elles donnent accès à la communion du salut. En conséquence, ces Églises et communautés séparées, bien que nous croyions qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique » (Unitatis Redintegratio)


Ou encore :


 Le saint Concile renouvelle ce qui a été déclaré par les saints Conciles antérieurs, ainsi que par les Pontifes romains : pour rétablir ou garder la communion et l’unité, il ne faut "rien imposer qui ne soit nécessaire" (Ac 15, 28) »
Les déclarations sont claires ; contrairement à ce que soutiennent depuis des décennies les intégristes catholiques, Vatican II n’a jamais nié la suprématie romaine quant à la Vérité et aux rapports avec l’altérité religieuse. Il s’agit là d’un fantasme dont trop de jeunes extrémistes se persuadent.


Poursuivons. Le 28 octobre 1965, le Vatican publie l’encyclique Nostra Aetate, de si heureuse réputation chez les partisans de la tolérance universelle. En vérité, des fragments du texte nous invitent à une sorte de sobriété vigilante concernant le rapprochement avec l’autre : 

 


Les autres religions qu’on trouve de par le monde s’efforcent d’aller, de façons diverses, au-devant de l’inquiétude du cœur humain en proposant des voies, c’est-à-dire des doctrines, des règles de vie et des rites sacrés. L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes » (Nostra Aetate)

 


Plus loin :


Selon le témoignage de l’Écriture Sainte, Jérusalem n’a pas reconnu le temps où elle fut visitée ; les Juifs, en grande partie, n’acceptèrent pas l’Évangile, et même nombreux furent ceux qui s’opposèrent à sa diffusion. Néanmoins, selon l’Apôtre, les Juifs restent encore, à cause de leurs pères, très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sont sans repentance » (Nostra Aetate)


Mais aussi :


 Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S’il est vrai que l’Église est le nouveau Peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture » (Nostra Aetate)

 

Et enfin :

 

L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. (…) Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté » (Nostra Aetate)


Ici encore, nulle trace de relativisme spirituel ; entre les lignes, le frère non-catholique est toujours présenté comme affecté par l’erreur, partiellement, implicitement. L’exhortation à la fraternité ne saurait faire illusion. Décidément, les disciples de monseigneur Lefebvre et leurs ennemis symétriques n’ont rien compris à Vatican II. Ce concile persiste à présenter la Vérité religieuse comme pleinement catholique. Des parcelles de vérité sont certes reconnues dans les autres traditions religieuses, mais pas davantage.  

 

Pierre-André Bizien

 


 

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