Sofia Douleur, une oeuvre théâtrale charnelle et carnassière

"J'ai écarté les fesses au ciel, le cul baigné de plaisir". "Les hommes finissent toujours par se relever, s'essuyer, puis disparaître"... C'est un fait que peu d'entre nous contesteront: Sofia Douleur a la saveur d'un cocktail littéraire éruptif, le goût terrible de la grâce en fusion. Soit, voici un ovni théâtral qui nous réconcilie avec les planches. Pour sûr, les blasés  du répertoire se remettront à croire au style. Le vieil habitué du boulevard, lui, se surprendra tout jouasse, ragaillardi par une magie qu'il n'attendait plus. C'est que la pièce en question ruisselle de gerbes jubilatoires, revivifiant les consciences assoupies. Des arabesques de questions amphigouriques, de longues saillies de piment rose ouvrant mille pistes sur la condition de la femme contemporaine. Le charnel en point de mire, une amorce de grammaire spirituo-vaginale.

 

On pourrait qualifier Sofia Douleur d'oeuvre méta-freudienne désaxée, portant la question de la sexualité féminine à des sommets de boulimie sensuelle. Le thème de la perversité enfantine y est revisité métaphoriquement, prolongé par une réflexion lancinante sur l'orifice et la fissure. La béance génitale, ou le scandale originel de l'humanité contre la femme. La cavité de tous les dangers, où les fantasmes s'engouffrent jusqu'à l'enfer plurithéiste. Laurent Gaudé signe ici, avec l'aplomb d'un fort en thème obsédé, l'oeuvre-type du génie dératé.

 

Tournant le dos aux sirènes de la bienséance mondaine, il fracasse par l'excès l'esthétique du porno-chic conceptuel. La moraline libertaire s'en trouve elle-même subvertie, dépassée par un lyrisme qui n'en fait qu'à son con. Des scènes juteuses et sensuelles, des situations scéniques improbables, le sexe investi jusqu'au cerveau. Du trash et du verbe, du spasme et du plaisir, décortiqué jusqu'au dernier décibel.

 

Sofia Douleur regorge de personnages truculents, denses et foutraques. L'histoire se déroule au creux d'un univers intermédiaire, perdu entre le cauchemar et les parois luisantes d'une gorge humide. Une question obsédante traverse la pièce: Sofia retrouvera-t-elle son nom ? Plus profondément: la femme recouvrera-t-elle sa véritable identité, piétinée par des millénaires de mutilations culturelles?

 

Un régal pour connaisseurs avertis, esthètes de la tête à la queue. La confrérie des nuques raides, elle, passera son chemin. Seul bémol notifiable: la scène du Livre Sacré jeté par terre, concession accidentelle au simplisme boboïsant. Il serait criminel de conclure en ces termes, sans évoquer l'interprétation subjugante de Cendrine Gourbin. Rendons-nous, de grâce, à l'évidence: cette jeune femme possède un talent remarquable, un charme fauve, une diction, des atours fatidiques. Les autres comédiennes, elles aussi, étonneront par leur professionnalisme et la justesse de leur jeu.

 

Pierre-André Bizien

 

 

 

Les comédiennes:

 

-Kelly Baud

-Pauline Corvellec

-Cendrine Gourbin

-Romy Milelli

-Anaïs Schwinn

 

 

Auteur de la pièce: Laurent Gaudé

 

Mise en scène: Sara Lepage

 

Vidéos: Thierry Da Silva

 

Musique: Doctor Flake

 

Costumes: Marjolaine Marteau

 

Lumière: Elodie Murat

 

La pièce se joue du 5 février au 1er mars 2014 au Funambule, à 21h30, du mercredi au samedi.

 

Le Funambule Montmartre 53 rue des Saules, 75018 Paris

 

Metro: Lamarck.

 

 

 

 

 

 

 

 


 

à lire aussi

L'homosexualité au-delà de la sexualité, les arguments de la foi catholique - un bon livre

L'homosexualité au-delà de la sexualité, les arguments de la foi catholique - un bon livre

Que dit la théologie sur l'homosexualité? Les artistes et les philosophes peuvent enrichir notre regard sur le sujet, tout comme l'Eglise

Entretien avec Kimsu, artiste soul hors case

Entretien avec Kimsu, artiste soul hors case

Talentueuse artiste soul, Kimsu compose ses oeuvres à partir de références solides, intelligentes et novatrices. Introduit-elle la maïeutique dans l'univers de la musique?

Jean Le Roy, le poète breton qui dépassa Picasso - la guerre, le sang, le poème

Jean Le Roy, le poète breton qui dépassa Picasso - la guerre, le sang, le poème

Fauché en 1918, le poète breton Jean Le Roy a écrit un poème saisissant sur la guerre. Il est mort à 24 ans.

L'archéologie à l'épreuve de la géopolitique

L'archéologie à l'épreuve de la géopolitique

Alexandre Depont analyse les implications géopolitiques de l'archéologie. Un article atypique et étonnant

Les auteurs

 

Index des citations religieuses

 

Caricatures

 

Vous aimerez aussi

A la rencontre du Machu Picchu

A la rencontre du Machu Picchu

Un nouveau périple de Jérémie Dardy en Amérique du Sud

 

 

Le génocide Khmer au Cambodge. Chiffres, témoignages, nombre de morts

Le génocide Khmer au Cambodge. Chiffres, témoignages, nombre de morts

La dictature des Khmers rouges du Cambodge a tué près de deux millions de cambodgiens entre 1975 et 1979. Victimes, témoignages et nombre de morts

 

 

L'enjeu du contrôle des populations par l'Etat Islamique

L'enjeu du contrôle des populations par l'Etat Islamique

L'Etat Islamique a su se doter d'une infrastructure politico-administrative perfectionnée, laquelle permet de retenir les populations sous son contrôle

 

 

Racisme ''ordinaire'' sur Facebook

Racisme ''ordinaire'' sur Facebook

Facebook héberge quotidiennement des propos d'un racisme inouï, à la mesure de celui qui sévissait outre-Rhin au cours des années 30