En cette fin d'année, daignons porter quelques instants notre regard en amont de notre conscience. Avons-nous, ces douze derniers mois, toujours été intègres quant à nos jugements et opinions? Notre partialité (laquelle est naturelle) n'a-t-elle pas quelquefois frisé le préjugé, la sentence à l'emporte-pièce? Nos allégeances intellectuelles, politiques ou spirituelles, ne nous ont-elles pas amenés à rejeter certaines vérités énervantes au nom d' "intérêts moraux supérieurs"?
N'avons-nous pas un peu de mal à "concéder" à celui qui pense différemment, peut-être mal, mais qui, à tel niveau de son discours, tombe peut-être juste? Intégrité intellectuelle... Combien de crimes (de petitesses, de coups de canif) commis en ton nom?
C'est un fait: nous pouvons sentir juste globalement, mais nous égarer dans nos justifications transitoires... Et par là, sûrs de notre bon droit, malmener les vérités intermédiaires au nom de leur grande soeur. Par là-même, nous contaminons la pureté, la légitimité de notre cause par l'entremise de ces petits manquements intermédiaires à la déontologie intellectuelle. Nous sommes des sortes de Raskolnikov, ce héros de Dostoïevski qui se pensait en droit d'enfreindre les règles communes au nom de son intérêt supérieur.
Facilités polémiques et mauvaise foi généralisée
Lorsque ce genre d'attitude se répand chez chacun d'entre nous, le mensonge finit par s'enchevêtrer inextricablement à la vérité. Le secondaire pourrit les principes, comme la base branlante des piliers fait croûler le sommet des châpiteaux.
Notre fameuse culture démocratique, laïque, gagnerait à réintégrer la notion de sincérité, d'honnêteté morale. Et, comme les rudes disciplines religieuses, s'attarder sur les petits manquements à notre intégrité quotidienne. Ne pas nous faire une police de ce zèle, mais en imprégner plus profondément nos consciences.
Les grandes vérités servies par de petits mensonges: mauvaise politique, pourtant omniprésente parmi nous. Daignons balayer devant notre porte apocalyptique, comme l'écrivit si bien le philosophe teuton Sloterdijk.
Ne sommes-nous pas au fond gangrénés, pourris par un certain confort intellectuel? Celui qui consiste à user de l'argument d'autorité morale pour empêcher que soient considérés tels ou tels faits, qui gâchent un peu la fête, qui malmènent un peu nos grandes idoles intellectuelles, politiques, religieuses: gauche, communisme, christianisme, islam, tiersmondisme, antiracisme, droite, patriotisme?
Chacun ses dadas. Mais toujours, nous semblons agir de même pour les défendre, que l'on soit du côté du commandant Marcos ou de Godefroy de Bouillon... On minore ce que l'adversaire nous rappelle, quand bien même il aurait raison, en vertu de nos droits prétendus d'imposer notre vérité générale. Merde aux vérités intermédiaires, aux petits grumeaux qui gâtent notre soupe. Ne cherchez plus: là est le crime. Tout entier. Tout procède de lui, de ce prétendu droit aux priorités générales qui nous permettrait de balayer les aspérités rebutantes. Chacun, quelle que soit sa chapelle idéologique, est tenté par ce procédé minable. Nous en usons quasiment tous. Et c'est nul, c'est naze, littéralement.
Chevalerie intellectuelle
Le confort intellectuel est bien là: dans cette prétention à enjamber l'étendue intermédiaire du réel, pour arriver droit au but, et marteler nos théories générales.
La noblesse intellectuelle exige bien plus que cela. Il ne suffit pas d'être humaniste, de gôche, antiraciste ou que sais-je pour être dans le camp des bons et faire la nique aux salauds. La véritable noblesse intellectuelle est une chevalerie spirituelle. Elle nous amène à considérer l'adversaire idéologique, au-delà d'une certaine vulgarité démocratique, qui nous excite à la lutte à mort polémique. Nous devons reconnaître, concéder, triompher au prix de la difficulté, de l'intégrité, en respectant réellement les arguments de l'autre. C'est à ce prix que la vérité triomphe dignement.
Malheureusement, nous sommes encore loin du compte, et nous préférons nous vautrer dans les petites complaisances partisanes, dans les facilités polémiques, accusant sans cesse l'autre d'infamie, attendant avidement le scoop, le petit fait divers fortuit qui apporterait de l'eau à notre moulin.
Changeons.
Pierre-André Bizien
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