Depuis un demi-siècle, l’Antarctique est régi par un statut spécial qui en fait un territoire neutre et un havre de coopération scientifique. Milieu hostile par excellence, ce continent s’étend sur 14,4 millions de km² dont 98 % sont recouverts par les glaces. Pourtant, le réchauffement climatique et les ambitions de certains Etats menacent cet environnement fragile.
LA DÉCOUVERTE ET L’EXPLORATION DU CONTINENT AUSTRAL
De la « Terra Australis Incognita » à l’Antarctique
L’existence de l’Antarctique a été pressentie dès l’Antiquité par les savants Grecs. Selon les représentations du monde en vigueur à l’époque et notamment celles d’Aristote et de Ptolémée, la présence d’un tel continent était censée équilibrer la sphère terrestre. En dépit de cette hypothèse, de nombreux siècles vont s’écouler avant que la réalité de l’Antarctique ne soit confirmée. Lors des « Grandes découvertes » les voyages de Bartolomeu Dias et de Vasco da Gama infirment la théorie ptoléméenne d’un continent austral étendu jusqu’aux hautes latitudes du Sud.
Cependant en 1520, lorsque Magellan trouve un détroit qui permet de rejoindre les Indes par l’ouest, la théorie d’une « terra australis incognita » au large de la Terre de feu semble se confirmer. Dès le XVIe siècle, les mappemondes de cartographes tels que Johann Schöder ou Geraldus et Rumold Mercator illustrent la popularité de cette hypothèse. Toutefois, il faut attendre la fin du XVIIIe siècle et les expéditions de James Cook pour distinguer définitivement l’Australie d’un éventuel continent Antarctique.
Lors de son deuxième voyage (1772-1775), le navigateur britannique mène ses navires loin au sud et franchit à plusieurs reprises le cercle polaire. Sans le savoir, il s’approche à une centaine de kilomètres des côtes de l’Antarctique, mais il rebrousse chemin à cause des dangers liés à la navigation à travers le pack. C’est donc à partir du XIXe siècle que débute l’exploration du « continent blanc ». Le 27 janvier 1820, Fabian Gottlieb von Bellingshausen est le premier explorateur à l’apercevoir puis baptise l’île Pierre Ier et la terre Alexandre.
En fait, le navigateur russe a devancé de trois jours le capitaine britannique Edward Bransfield dans la découverte de l’Antarctique. Dix mois plus tard, en novembre 1820 le baleinier américain Nathaniel Palmer atteint à son tour le continent austral. Néanmoins, en février 1821 c’est un de ses compatriotes, le chasseur de phoques John Davis, qui devient le premier homme à y poser le pied.
De 1838 à 1840, le français Dumont d’Urville part à la recherche du pôle Sud magnétique et débarque en Terre Adélie. De son côté, entre 1839 et 1842, James Ross cartographie une grande partie des côtes antarctiques et découvre, entre autres, la Terre Victoria, la mer et la barrière de Ross, ainsi que la chaîne de l’Amirauté. Avec l’expédition de Wilkes, les Etats-Unis ne sont pas en reste et se lancent dans l’exploration des côtes de l’Antarctique situées à l’ouest des îles Balleny.
« L’âge héroïque » de l’exploration en Antarctique
A partir des années 1890, la reconnaissance et la cartographie du continent blanc font l’objet d’une compétition internationale. Celle-ci s’inscrit dans un contexte où la science est mise au service des ambitions impériales. Aussi, de 1898 à 1899, le belge de Gerlache de Gomery hiverne dans la banquise australe dans des conditions extrêmement difficiles :
C’est pour nous une idée réconfortante de savoir que nous ne verrons plus la triste nuit polaire qui nous a tant éprouvés et que, lorsqu’elle s’abattra de nouveau sur la banquise, délivrés de son étreinte, nous l’aurons quittée depuis longtemps. Le froid est très vif, plus vif qu’en juin, où la plus basse température avait été de -30° (le 3) et la moyenne de -15,5°. En juillet, la température moyenne descend à -23,5° : c’est la moyenne la plus basse de tout l’hivernage.
Le 17, nous avons observé une température minimum de -37°. À la fin du mois, le thermomètre se maintient aux environs de -30°. Mais le temps est admirable et d’une régularité sans précédent. À part deux courtes interruptions causées par des bouffées de brise du nord, chargée de brumes, nous jouissons d’un ciel pur pendant quinze jours consécutifs. Nous commençons donc à faire quelques excursions autour du navire. Pas bien longues au début, car, en l’état de faiblesse où nous sommes, le moindre effort pourrait nous être fatal. » (Adrien de Gerlache de Gomery - Quinze mois dans l’Antarctique, l’expédition de la Belgica - 1897-1899)
Durant la même période, le norvégien Carsten Borchgrevink inaugure la première « British Antarctic Expedition » (1898 à 1900). Lors des années suivantes, Robert Falcon Scott et Ernest Shackleton marquent la présence du Royaume-Uni dans la région par leurs tentatives de rallier le pôle Sud. Finalement le norvégien Amundsen atteint cet objectif le 14 décembre 1911, avec un mois d’avance sur Scott qui succombe lors de son trajet de retour.
Par ses expéditions (1903-1905 et 1908-1910), Jean-Baptiste Charcot relance l’intérêt de la France pour l’Antarctique et ouvre la voie aux Expéditions Polaires Françaises que Paul Emile Victor dirige à partir de 1947. Pionnier d’un nouveau genre, l’américain Richard Byrd réalise le survol du pôle Sud en 1929 et supervise plusieurs missions sur le continent austral jusqu’à sa mort en 1957.
Dans le cadre de la guerre froide, l’année géophysique internationale (1957-1958) place l’Antarctique au cœur d’une vaste activité scientifique. A cette occasion, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud financent la première traversée terrestre de l’Antarctique par le pôle Sud. Par ailleurs, en dépit de rivalités territoriales, une dizaine d’Etats installent des bases sur le continent blanc et se transmettent les résultats de leurs recherches. Le succès de cette coopération internationale est à l’origine du traité de 1959 qui fait de l’Antarctique un sanctuaire dédié aux activités scientifiques.
LE STATUT ET LA GOUVERNANCE DE L’ANTARCTIQUE
Un territoire consacré à la paix et à la science
Signé à Washington le 1er décembre 1959, le traité sur l’Antarctique entre en vigueur le 23 juin 1961. Il regroupe au départ douze pays qui sont impliqués dans l’exploration du continent austral : l’Argentine, le Chili, la Belgique, la France, la Norvège, le Royaume-Uni, l’Afrique du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis, le Japon et l’URSS. Alors que les blocs occidental et communiste s’engagent dans une intense course aux armements, le traité sur l’Antarctique repose sur une démarche inédite : la démilitarisation d’un continent. Le but est alors d’empêcher le déploiement de troupes ainsi que d’armes conventionnelles et nucléaires dans la dernière zone vierge de la planète :
Les gouvernements […] reconnaissant qu'il est de l'intérêt de l'humanité tout entière que l'Antarctique soit à jamais réservée aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre ni l'enjeu de différends internationaux [...] » - (Préambule du traité sur l’Antarctique)
Seules les activités pacifiques sont autorisées dans l'Antarctique. Sont interdites, entre autres, toutes mesures de caractère militaire telles que l'établissement de bases, la construction de fortifications, les manœuvres, ainsi que les essais d'armes de toutes sortes. » (Traité sur l’Antarctique – Art. I)
De surcroît, ce traité multilatéral instaure un statu quo quant aux revendications territoriales des Etats-parties. A cet égard, l’article IV est un modèle de consensus entre les demandes des Etats « possessionnés » et « non-possessionnés ». Pour les premiers, c’est-à-dire l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Chili, l'Argentine, le Royaume-Uni, la France et la Norvège, leur adhésion au traité de 1959 ne signifie pas qu’ils renoncent ou abandonnent leurs prétentions territoriales. De leur point de vue, il s’agit en fait d’une limitation volontaire et temporaire de leur souveraineté.
A l’inverse, pour les Etats « non-possessionnés », l’Antarctique est un espace international sur lequel ne s’exerce aucune souveraineté. Cette suspension des rivalités territoriales au sud du 60° parallèle sud est un gage d’une coopération scientifique de qualité car elle permet la libre circulation des personnels et des données :
« La liberté de la recherche scientifique dans l'Antarctique et la coopération à cette fin, telles qu'elles ont été pratiquées durant l'Année Géophysique Internationale, se poursuivront conformément aux dispositions du présent Traité. » (Traité sur l’Antarctique - Art. II)
« En vue de renforcer dans l'Antarctique la coopération internationale en matière de recherche scientifique, [...] les Parties Contractantes conviennent de procéder, dans toute la mesure du possible : (a) à l'échange de renseignements relatifs aux programmes scientifiques dans l'Antarctique, [...] (b) à des échanges de personnel scientifique entre expéditions et stations dans cette région; (c) à l'échange des observations et des résultats scientifiques obtenus [...] » (Traité sur l’Antarctique - Art. III. 1)
Depuis 1959, 53 pays ont ratifié le traité sur l’Antarctique mais tous n’ont pas le même statut. Aujourd’hui au nombre de 29, les parties consultatives ont le droit de voter lors des assemblées organisées chaque année (RCTA) pour débattre de l’avenir du continent blanc. Quant aux parties non-consultatives elles assistent aux RCTA en qualité d’observateurs mais sans pouvoir participer aux votes.
Sur le plan juridique, la distinction entre ces parties s’effectue par l’intérêt que les Etats portent à l’Antarctique via l’installation de bases scientifiques et / ou leur participation régulière à des missions de recherche. Concrètement, l’application du traité est garantie par un système d’inspections dont les modalités sont détaillées dans l’article VII. Il permet aux Etats parties de vérifier à tout moment la conformité des activités menées par chaque membre. En cas de litige, les parties au traité s’engagent à le régler de façon pacifique en le portant s’il le faut devant la Cour Internationale de Justice.
Le système du traité de l’Antarctique et la protection de l’environnement
En matière de protection de l’environnement le traité de l'Antarctique ne comprend que quelques mentions succinctes à l’interdiction des essais nucléaires et l’élimination des déchets radioactifs (Art. V). Il a donc été complété par d’autres textes qui constituent les fondements du système du traité de l’Antarctique :
- La Convention pour la protection des phoques de l’Antarctique (1972).
- La Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique (1980).
- Le protocole de Madrid relatif à la protection de l'environnement en Antarctique (1991).
Entrée en vigueur en 1998, le protocole de Madrid entraîne une protection globale des écosystèmes du continent austral. Il regroupe 38 Etats qui le reconnaissent comme une « réserve naturelle, consacrée à la paix et à la science ». Par conséquent, les Etats signataires s’engagent à y réduire au maximum l’impact écologique de leurs activités techniques et scientifiques :
« La protection de l’environnement en Antarctique et des écosystèmes dépendants et associés, ainsi que la préservation de la valeur intrinsèque de l’Antarctique, qui tient notamment à ses qualités esthétiques, à son état naturel et à son intérêt en tant que zone consacrée à la recherche scientifique, en particulier celle qui est essentielle pour comprendre l’environnement global, constituent des éléments fondamentaux à prendre en considération dans l’organisation et la conduite de toute activité dans la zone du Traité sur l’Antarctique. » (Prot. de Madrid – Art. III. 1). Ce principe s’applique aux environnements atmosphérique, terrestre, glaciaire et marin et englobe la faune, la flore, les ressources minérales et les paysages.
Si l’article VII du protocole interdit « toute activité relative aux ressources minérales, autre que la recherche scientifique », le tourisme est en revanche autorisé avec les mêmes réserves que les autres activités. Le protocole prévoit notamment dans ses articles III et VIII une évaluation et un suivi scientifique de l’impact des activités menées en Antarctique : « […] Les activités dans la zone du Traité sur l’Antarctique sont organisées et menées sur la base d'informations suffisantes pour permettre l’évaluation préalable et l’appréciation éclairée de leurs incidences éventuelles sur l’environnement en Antarctique et sur les écosystèmes dépendants et associés, ainsi que sur la valeur de l’Antarctique pour la conduite de la recherche scientifique [...] » (Prot. de Madrid - Art. III. 2.c).
Du reste, l’annexe V du protocole préconise la création de zones spécialement protégées de l’Antarctique (ZSPA) ou de zones gérées spécialement de l’Antarctique (ZGSA) qui bénéficient d’une protection renforcée et où les activités sont interdites ou limitées.
En réalité depuis un demi-siècle, la protection écologique de l’Antarctique n’a eu de cesse de se renforcer. Dans le cadre de leurs attributions respectives, les RCTA et la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR) participent constamment à cette dynamique. Annoncée le 28 octobre 2016, la création de la plus grande réserve marine du monde (1,55 millions de km²) en mer de Ross illustre cet intérêt. Pourtant, à long terme l’écosystème antarctique est menacé par le réchauffement climatique et par la valeur économique de ses ressources.
UN ÉCOSYSTÈME MENACÉ
Les effets du changement climatique en Antarctique
L’Antarctique est le continent le plus froid de la planète. En plein hiver austral, les températures les plus basses descendent jusqu’à - 80°C à l’intérieur des terres alors que les plus élevées se situent autour de 5/10°C sur les côtes l’été. Le continent blanc est également recouvert d’une gigantesque calotte glaciaire, l’inlandsis, dont l’épaisseur varie de 1,6 km à 4 km. S’il est un territoire recouvert de glace, l’Antarctique est aussi un des milieux les plus arides du monde. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les précipitations y sont très faibles et dépassent rarement les 200 mm par an.
Les particularités de ce désert de glace le rendent donc très sensible aux effets du réchauffement climatique. A cet égard, en mai 2014, une étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Californie et de la NASA ont démontré que le rythme de la fonte des glaciers a triplé dans l’ouest de l’Antarctique. Ainsi, depuis 1992, les volumes de glace perdue ont atteint 83 milliards de tonnes par an.
D’après cette équipe de chercheur, « Les glaciers dans l'échancrure de la mer d'Amundsen, dans l'ouest de l'Antarctique, perdent de la glace plus rapidement que partout ailleurs sur le continent et sont les plus grands contributeurs à la montée du niveau des océans ». De plus, la fonte de l’inlandsis de l’Antarctique influe sur le taux de salinité et la température des eaux de l’océan Austral. Ce faisant, ce phénomène pourrait bouleverser la circulation océanique des eaux profondes ce qui perturberait l’équilibre des flux thermiques à l’échelle mondiale. Effectivement, le courant circumpolaire antarctique relie les eaux froides de l’océan Austral à celles du Pacifique, de l’Atlantique Sud et de l’océan Indien. Il joue donc un rôle central dans la circulation thermohaline et contribue à la redistribution de la chaleur sur Terre.
Localement, l’augmentation de la température de l’océan Antarctique et la diminution des remontées d’eau riche en nutriments et en oxygène se répercutent sur le développement du phytoplancton. Cette diminution de la production de phytoplancton influe sur les populations de zooplancton et en particulier sur celle du krill. Depuis les années 1970, ces minuscules crustacés ont connu une réduction de leurs effectifs de près de 80 % alors qu’ils sont au cœur de la chaîne alimentaire des espèces de l’Antarctique. De facto, sa raréfaction menace la pérennité des populations d’autres animaux.
Dans le rapport « Planète vivante Océans » de 2015, WWF rappelle que « le krill antarctique occupe une place centrale dans la chaîne trophique de l’océan Austral, puisqu’on le retrouve dans le régime alimentaire de la plupart des espèces de baleines, de manchots et de poissons. » et que l’appauvrissement de ses effectifs est une source d’inquiétude.
Selon l’ONG, la fonte de la banquise et l’amenuisement des réserves de krill seraient responsables d’une chute de 30 à 60 % du nombre de manchots à jugulaire dans la péninsule Antarctique. En fait, WWF estime qu’un tiers des colonies de manchots d’Adélie disparaîtront d’ici 2060. En sus du changement climatique, le continent austral est menacé à long terme par l’exploitation économique de ses ressources. Actuellement, le tourisme et la pêche sont deux activités qui font débat en raison de leurs conséquences environnementales.
Une exploitation économique qui pose problème
De par ses paysages uniques, l’Antarctique a suscité dès les années 1960 l’intérêt des croisiéristes et des voyagistes. Plus de 80 % de ceux qui y opèrent sont regroupés au sein de l’International Association of Antarctica Tour Operators. L’IAATO impose à ses membres un code de conduite stricte sur le respect des normes écologiques liées au système du traité de l’Antarctique. Cependant le naufrage d’un navire de croisière en 2007 a obligé l’Organisation maritime internationale a interdire le transport de fioul lourd autour du continent.
De même, de 1990 à 2014, le nombre de visiteurs en Antarctique est passé de 3000 à plus de 37 000 par an. Malgré des mesures de régulation, cette massification du tourisme fait craindre l’arrivée d’espèces invasives et la perturbation du mode de vie des espèces locales. En réalité, la limitation des visites à terre à des groupes de 100 personnes pour une durée de 3 heures ne règle pas le problème de l’intensification de ce type d’activité.
En outre, une interdiction du tourisme en Antarctique est peu probable car le Chili et l’Argentine y voient à la fois une manne économique et une opportunité de développer leurs bases. Somme toute, en sus de ces Etats, l’IAATO qui bénéficie d’un statut d’observateur au RCTA, s’appuie sur les pays anglo-saxons pour entraver l’adoption de mesures trop contraignantes. A propos des ressources halieutiques, l’Antarctique est soumis au régime juridique de la Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique.
En conséquence, l’exploitation des espèces pouvant être pêchées au sud du 60° sud y est encadrée par une gestion durable : détermination des espèces exploitables ; zones et limites de capture ; périodes de pêche ; suivi de l’impact sur l’écosystème. Pour le moment, les pêcheries de la Zone de la Convention concernent les légines australe et antarctique, le poisson des glaces et le krill antarctique. Pour autant, les prises de décision dans le cadre de la CCMLAR ont l’inconvénient de se faire à l’unanimité.
De ce fait, la création d’une réserve marine en mer de Ross est le résultat de six ans de négociations entre les 25 membres de la Commission. Pour protéger leurs industries de la pêche, la Chine et la Russie ont bloqué ce projet pendant cinq ans. Après le ralliement de Pékin en 2015, la Russie n’a concédé son accord qu’en réduisant sa durée de 50 à 35 ans. De surcroît, sa réalisation a nécessité d’ouvrir 30 % de la surface de la réserve à une pêche réglementée. Toutefois, le régime de la CCMLAR n’empêche pas le braconnage des espèces protégées.
En mars 2016, l’ONG Sea Shepherd a ainsi annoncé lors de sa « douzième campagne de défense de l’océan Austral » avoir mis hors état de nuire six navires connus pour braconner la légine depuis dix ans. Par ailleurs, elle estime que le manque de volonté des Etats feront de l’aire protégée de la mer de Ross une proie facile à l’image « du sanctuaire baleinier antarctique violé chaque année par les baleiniers japonais sans aucune conséquence pour ces derniers malgré de multiples condamnations de principe et de justice ».
Enfin, bien qu’interdite, l’exploitation des ressources minérales est une menace pour la préservation de l’Antarctique. L’étude partielle de son sous-sol a déjà révélé la présence de charbon de fer, de chrome, de cuivre, d’argent, de platine, de nickel, d’or, de manganèse, d’uranium, de cobalt, et de diamants. En août 2011, l’Institut australien Lowy a estimé que les réserves d’hydrocarbures dans la région s’élèvent à 203 milliards de barils dont 50 milliards dans les mers de Weddell et de Ross. Aussi, il n’est pas étonnant que ces découvertes attisent les convoitises de la Russie et la Chine.
En 2011 Moscou a affirmé lors de la RCTA vouloir mener à l’horizon 2020 des « investigations complexes portant sur les ressources minérales, en hydrocarbures et les autres ressources naturelles de l'Antarctique ». Quant à la Chine, en février 2016, le Quotidien du Peuple a rapporté que la 32ème expédition chinoise en Antarctique devait conduire « plusieurs expériences minières des fonds marins ». Cela démontre que la prospection géologique à des fins scientifiques peut servir de paravent à des finalités moins philanthropiques.
VERS LA FIN DU MORATOIRE SUR L’ANTARCTIQUE ?
Unique en son genre, la gouvernance multilatérale de l’Antarctique a permis jusqu’à présent de préserver le continent blanc. Courant sur cinquante ans depuis l’application du protocole de Madrid, le moratoire sur l’exploitation de l’Antarctique pourra néanmoins être renégocié en 2048. Quoique les conditions climatiques du continent austral soient extrêmes, la fonte de la calotte glaciaire et l’essor de nouvelles techniques pourraient faire baisser les coûts d’extraction des ressources minérales pour les rendre rentables.
Il va sans dire qu’un assouplissement de la législation sur l’exploitation de l’Antarctique ne se fera pas sans réactiver les querelles territoriales. Une telle situation ne manquerait pas d’entraîner à son tour la militarisation du continent. A l’échelle mondiale, la préservation de l’Antarctique est aussi liée à un autre enjeu géopolitique : la lutte contre le changement climatique. A cet égard, la fonte des glaces de l’Antarctique contribuerait à une élévation du niveau des mers comprise entre 60 cm et 2m d’ici 2100. Face à cette menace, on peut espérer que faute de faire preuve d’altruisme, les grandes puissances cèdent à l’instinct de conversation et poursuivent leur coopération afin minimiser le réchauffement global.
Alexandre Depont
Pour aller plus loin
Sites institutionnels
Secrétariat du traité de l’Antarctique : http://www.ats.aq/index_f.htm
Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique : www.ccmlar.org
Institut polaire français Paule-Emile Victor : www.institut-polaire.fr
Articles / Etudes
ARGOUNÈS Fabrice, « L’Antarctique : une « invention » européenne (XIXe – XXe siècles) », EHNE, 19 novembre 2015. http://ehne.fr
CHOQUET Anne, « A qui appartient l’Antarctique ? », TRANSPOL’AIR. http://transpolair.free.fr
COETZEE Bernard W.T, CHOWN Steveen L. « Perturbations humaines causées aux espèces sauvages de l'Antarctique », Antarctic Environnements Portal, 3 avril 2014, www.environments.aq
FAGES Claire, « L’Antarctique, nouvelle terre de diamants », RFI, 20 décembre 2013. www.rfi.fr
FOGARTY Ellie, Antarctica: Assessing and Protecting Australia’s National Interests, LOWY INSTITUTE for International Policy. Août 2011. www.lowyinstitute.org
GALLAIS BOUCHET Anne, « Arctique / Antarctique : les enjeux des usages polaires », ISEMAR, note de synthèse n°164, Avril 2014. www.isemar.fr
GAO Yin, SHAN Wei, « Un escadron aérien dans l’Antarctique », Le Quotidien du Peuple, 14 février 2016. http://french.peopledaily.com.cn
GAYMARD Hervé (Prés.) Rapport d’information de l’Assemblée nationale - Les enjeux écologiques, économiques et géopolitiques du changement climatique en Arctique et en Antarctique – 8 Avril 2015. http://www.assemblee-nationale.fr
GREMION Gwenaëlle, « La course au pôle Sud : Exploration de l’Antarctique », Dans les testicules de Darwin, 24 novembre 2013. http://danslestesticulesdedarwin.blogspot.fr
HEMMINGS Alan, ROURA Ricardo, « La nouvelle découverte de l’Antarctique », TRANSPOL’AIR, Décembre 2004. http://transpolair.free.fr
POGNONEC Alexia, « Antarctique : à la conquête du 6ème continent », Cols Bleus, 28 avril 2015. www.colsbleus.fr
ROTTIER Frédéric, « La gouvernance planétaire de l’Antarctique », Centre Avec, Janvier 2014. http://www.centreavec.be
SAMBUSSY Philippe, « Les enjeux énergétiques en Antarctique », Infoguerre, 14 février 2014. www.infoguerre.fr
STROBEL Mathias, TÉTART Frank, « Le tourisme en Antarctique : un enjeu géopolitique ? », Géopolitique du tourisme, Hérodote n°127 ; 2007/4. http://www.cairn.info/
THIBERGE Clémentine, L’élévation du niveau des mers pourrait atteindre 2 mètres à la fin du siècle, Le Monde, 30 mars 2016. www.lemonde.fr
WRECKEL Philippe, « La mer de Ross, l’ultime océan, désormais sous protection internationale », Bulletin 492, Sentinelle Droit international, 06 novembre 2016. www.sentinelle-droit-international.fr
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