Pour la première fois depuis 2011, l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) constate une hausse globale des dépenses militaires. Parmi celles-ci, le commerce de l'armement n'en constitue qu'une infime partie mais révèle des enjeux économiques et géopolitiques majeurs.
En 2015, les dépenses militaires se sont élevées à 1700 milliards de dollars dans le monde. Selon le SIPRI, ces chiffres révèlent une augmentation de 1 % par rapport à 2014. Pourtant, à l'échelle mondiale, ce phénomène n'est pas homogène. Ainsi, l'Asie et l'Océanie connaissent une hausse soutenue (5,4 %) de leurs dépenses de défense tout comme l'Europe centrale (13%) et orientale. Au Moyen-Orient, cette augmentation (4,1 %) concerne les monarchies du Golfe mais aussi l'Égypte et l'Irak.
Alors qu'elles baissaient depuis la crise économique mondiale et le retrait des États-Unis et de leurs alliés d'Afghanistan et d'Irak, les dépenses militaires en Amérique du Nord (-2,4%) et en Europe occidentale (-1,3%) se stabilisent. À l'inverse, en Afrique et en Amérique du Sud, elles ont enregistré une baisse de 5,3 et 2,9 % en raison de la chute des cours du pétrole. Cependant, en Amérique centrale, le durcissement de la guerre contre le narco-trafic, en particulier au Mexique, a engendré une hausse des dépenses liées à la défense dans la région.
Pour le Dr Sam Perlo-Freeman, ces tendances « [...] reflètent l’escalade des tensions et des conflits dans de nombreuses parties du monde ; d’autre part, elles montrent une rupture nette avec la forte augmentation des dépenses militaires alimentée par le pétrole dans la dernière décennie. Ce contexte politique et économique instable engendre une situation incertaine pour les années à venir ».
Quoi qu'il en soit, les États-Unis demeurent le pays qui consacre le plus d'argent à ses forces armées. Bien que les dépenses étasuniennes aient reculé de 2,4 % par rapport à 2014, elle s'élèvent à 596 milliards de dollars, soit 35 % du total mondial. Situé en deuxième position, le budget militaire chinois a connu une hausse de 7,4 % depuis l'an dernier et a atteint 215 milliards de dollars. De son côté, l'Arabie Saoudite a accru ses dépenses de 5,7 % pour s'établir à 87,2 milliards de dollars alors que le budget de la défense russe a augmenté de 7,5 % pour se porter à 66,4 milliards de dollars.
À leur suite, les dépenses du Royaume-Uni ont atteint 55,4 milliards de dollars contre 51,2 milliards pour l'Inde et 50,8 milliards pour la France. Enfin, le Japon occupe la 8ème place du classement avec 40,8 milliards de dollars, devant l'Allemagne (39,3 milliards de dollars) et la Corée du Sud (36,4 milliards de dollars).
Les principaux producteurs et exportateurs d'armes
Aujourd'hui, le marché de l'armement représenterait près de 75 milliards de dollars et pourrait atteindre 100 milliards de dollars d'ici 2018. D'après une étude d'IHS Jane's, il serait même susceptible de doubler d'ici 2020. De ce fait, si elles ne constituent qu'une part mineure des dépenses militaires, les exportations d'armes sont un commerce très lucratif pour certains États. Selon les chercheurs du SIPRI, entre 2011 et 2015, les parts de marché des États-Unis dans ce secteur se sont élevées à 31 % contre 27 % pour la Russie et 5,9 % pour la Chine.
Occupant la quatrième place, la France a réalisé 5,6 % des exportations d'armes et dépasse l'Allemagne (4,7%) et le Royaume-Uni (4,5%). Quant à l'Espagne, ses ventes d'armes s'établissent à 3,5 % du total mondial, ce qui lui permet de devancer l'Italie (2,7%), l'Ukraine (2,6 %) et les Pays-Bas (2%). De même, de 2011 à 2015, les exportations israéliennes et suédoises se sont élevées à 1,8 % et 1,5 % alors que celles du Canada et de la Suisse se situent autour de 1 %.
Sur le plan industriel, les principaux producteurs d'armement se concentrent surtout dans les pays du Nord. En 2015, sur les quinze premières entreprises de défense , on recense huit firmes américaines, cinq groupes européens et deux sociétés russes. Cette domination des entreprises occidentales s'explique par l'imposant budget militaire américain qui permet de financer les programmes d'équipement les plus sophistiqués et les plus coûteux.
Effectivement, les entreprises étasuniennes ne sont pas les seules à bénéficier des largesses du Pentagone. Depuis une vingtaine d'années, la baisse des budgets militaires en Europe de l'Ouest ne permet pas de répondre aux objectifs de croissance des producteurs d'armes du Vieux Continent. Par le biais d'acquisitions, de coopérations et d'implantations de sites en zone dollar, les firmes européennes comme BAE Systems, Airbus, Thales et Finmeccanica essaient de capter des parts de marché aux États-Unis.
Néanmoins, en raison de son caractère stratégique, le marché de la défense aux États-Unis reste la chasse gardée de Lockheed Martin, Boeing, Northrop Grumman et General Dynamics. En outre, face à la baisse du budget militaire étasunien, les firmes occidentales n'ont d'autres choix que d'accentuer leur déploiement vers les pays émergents. Les marchés d'Asie et du Moyen-Orient sont principalement concernés par ce processus mais pour des raisons historiques et géopolitiques, les Russes et les Chinois y réalisent aussi une part majeure de leurs exportations. Somme toute, même si les marchés africains et latino-américains sont moins importants que les précédents, ils malgré tout l'objet d'une rude concurrence.
Les importations d'armement : un indicateur des tensions internationales
Au-delà de son aspect économique, le marché de l'armement est un excellent baromètre du degré de conflictualité dans certaines régions. Actuellement, les importations d'armes connaissent une forte croissance en Asie et au Moyen-Orient. En ce qui concerne le continent asiatique, cette situation s 'explique par la volonté de puissance de la Chine et par la rivalité qui oppose l'Inde au Pakistan. En réalité, depuis quinze ans, Pékin modernise son armée pour conforter sa prétention au statut de grande puissance. Dans ces conditions, la Chine importe les équipements qu'elle lne produit pas encore. De 2011 à 2015, le SIPRI révèle que le pays s'est hissé au troisième rang des importateurs d'armes (4 ,7%).
Récemment, le gouvernement chinois a ainsi annoncé l'achat de Su 35 et de systèmes anti-missiles S400 à la Russie. D'une façon globale, l' « Empire du Milieu » renforce ses capacités aéronavales pour appuyer ses revendications en mer de Chine. Pour faire face à cette stratégie expansionniste, le Japon, la Corée du Sud, le Vietnam, Taïwan, les Philippines, la Malaisie, l'Indonésie, Singapour et l'Australie se lancent donc dans une course à l'armement.
S'exprimant en février 2016 à propos de la stratégie de défense de Canberra, Marise Payne, la ministre australienne de la Défense a justifié la commande de F35 américains et de 12 sous-marins d'attaque en ces termes :
[...] nous tenons à exprimer ouvertement à la Chine et aux autres pays qui font valoir leurs droits sur certains endroits de la mer de Chine du Sud, et à leur dire que nous n'approuvons pas ce type d'activité et de comportement. Nous n'approuvons pas non plus leurs déclarations unilatérales de revendication de tel ou tel territoire artificiel ou pas. L'Australie a toujours défendu la liberté de survol et de navigation, telle qu'elle est stipulée par le droit international et elle continuera à la défendre. »
De la même manière, le contentieux qui oppose l'Inde au Pakistan et la nécessité de contrer la stratégie chinoise du « collier de perles » incitent New Delhi à s'équiper en matériel militaire auprès des Occidentaux et de la Russie. Avec 14 % du total des importations entre 2011 et 2015, l'Inde occupe la première place des États acheteurs d'armement. Ces derniers mois, le pays a par exemple manifesté son intérêt pour des Rafale et des Sukhoï 30 fabriqués par la France et la Russie. Pour sa part, le Pakistan, grand rival de l'Inde, se fournit surtout auprès de Pékin et de Moscou et se hisse au 7ème rang des importateurs d'armes (3,3 %).
À l'instar de l'Asie, le Moyen-Orient est un des principaux points chauds de la planète car le conflit israélo-palestinien et la chute de Saddam Hussein l'ont profondément déstabilisé. Dans ce cadre, le soutien de l'Iran à Damas et aux minorités chiites de la région dégénère en un affrontement indirect avec les monarchies sunnites du Golfe et la Turquie. En Syrie, à l'intervention du Hezbollah et des Gardiens de la Révolution auprès des troupes loyalistes, les Turcs, les Saoudiens et les Qataris répondent par des livraisons d'armes à des groupes djihadistes comme le Front-al-Nosra.
De plus, l'intervention d'une coalition menée par l'Arabie Saoudite au Yémen contre les Houthis a stimulé les importations en provenance de Russie et d'Occident. Enfin, depuis 2013, l'offensive de l'EIIL en Syrie et en Irak contribue aussi à la croissance du marché. Ainsi, de 2011 à 2015, l'Arabie Saoudite s'est imposée comme le deuxième importateur d'armes du globe (7%) et les Émirats Arabes Unis en tant que quatrième (4,6%). Quant à la Turquie elle se hisse au sixième rang (3,4%) alors que l'Égypte occupe le douzième (2,4%) et l'Irak le quatorzième (2.3%).
En Europe, la guerre qui oppose le gouvernement ukrainien aux séparatistes soutenus par Moscou et la multiplication d'incidents en mer Baltique engendrent une résurgence de la « menace russe ». En conséquence, la Pologne, la Slovaquie, la Roumanie et les pays baltes multiplient les achats d'armement pour durcir leurs capacités militaires face à la Russie. De ce fait, Varsovie souhaite acquérir prochainement des sous-marins équipés de missiles de croisière, des systèmes anti-aériens et des hélicoptères de transport auprès d'industriels européens et américains. Nonobstant, en Europe de l'Ouest, l'affirmation de la Russie et la lutte contre le terrorisme pourrait marquer une tendance au réarmement en particulier en France et au Royaume-Uni.
Un commerce en voie de régulation ?
Pour des considérations liées à la sécurité internationale et pour des raisons humanitaires, le commerce des armes fait l'objet de limitations et d'interdictions. En 2016, plus d'une vingtaine d'États ou de groupes armés sont soumis à des embargos de la communauté internationale. Pourtant, parce qu'ils sont d'importants clients ou alliés des grandes puissances, des pays peu scrupuleux des droits de l'homme et du droit de la guerre échappent à de telles mesures.
Depuis le 24 décembre 2014, l'entrée en vigueur du traité sur le commerce des armes (TCA) doit introduire plus de transparence dans les transferts d'armement. Le TCA englobe tous les types d'armements classiques y compris leurs munitions et leurs composants. En vertu de ce traité, les États parties ont l'obligation de ne pas exporter d'armes vers des pays susceptibles de menacer la paix ou de commettre des crimes envers leur population ou celle de nations adverses :
Un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou des biens visés par les articles 3 ou 4 s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie. » (TCA Art. 6 (3) )
De même, les pays ayant ratifiés le traité doivent lutter contre le détournement d'armes lors des transferts. Sont ainsi visés, les États sous embargos mais également les organisations mafieuses et terroristes qui cherchent à se fournir en armement. Malgré les avancées qu'il apporte dans l'encadrement du commerce des armes, le TCA présente toutefois des limites. Si le traité compte pour le moment 82 États parties, force est de constater que plusieurs des grands exportateurs et importateurs d'armes refusent d'y adhérer.
Concrètement, la non-ratification de ce traité par les États-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde et l'Arabie Saoudite en limite sérieusement la portée de par les volumes de leurs transferts. De surcroît, du fait qu'il ne soit pas contraignant sur le plan juridique, le TCA repose sur la bonne volonté des États pour appliquer ses dispositions. Aussi, en août 2015, Peter Maurer, le président du Comité international de la Croix Rouge s'inquiétait de l'écart entre les principes du traité et les pratiques effectives des États.
En effet, l'exemple du conflit qui ensanglante le Yémen est édifiant. En dépit de rapports signalant des violations du droit humanitaire, plusieurs pays parties au TCA, continuent de conclure des contrats avec la coalition saoudienne. En 2015, Amnesty International estime que les ventes d'armes à l'Arabie Saoudite se sont élevées à 22 milliards d'euros. D'après l'ONG, « Ces armes sont du même genre que celles actuellement utilisées lors des attaques aériennes et au sol au Yémen par l’Arabie saoudite et ses alliés pour commettre des violations flagrantes des droits humains et des crimes de guerre ».
Pour rappel, depuis les années 1990, l'Arabie Saoudite est le premier client de la France dans le domaine de l'armement. L'an dernier, l'ensemble des ventes de matériels de guerre ont rapporté plus de 16 milliards d'euros aux industriels français. Selon le ministère de la Défense, les retombées de ces contrats devraient créer 40 000 emplois d'ici 2018, ce qui porterait la main d'œuvre dans le secteur de l'armement à 200 000 personnes. Dès lors, au regard de ces faits, on comprend mieux la complaisance des Occidentaux vis-à-vis de leurs clients les moins vertueux.
Par ses aspects économique et géopolitique, le commerce de l'armement est un enjeu crucial pour les puissances occidentales et émergentes. Pourtant, la défense de leurs intérêts se fait souvent au détriment d'une gestion responsable de leurs transferts. Chaque année, près de 500 000 personnes sont tuées par des armes légères dans le cadre de conflits armés, de répressions politiques ou d'activités criminelles. Si nous manquons de recul pour juger de l'efficacité du TCA à long terme, les principes idéalistes qu'il véhicule se heurtent cependant aux exigences de la realpolitik.
Alexandre Depont
Pour aller plus loin
Bureau des affaires du désarmement des Nations-Unies : www.un.org/disarmament/ATT/
Institut international de recherche sur la paix de Stockholm : www.sipri.org/research/armaments/transfers
Articles
« Top 100 for 2015 », Defense News : http://people.defensenews.com/top-100/
« Le CICR tire le signal d'alarme sur le commerce des armes », Communiqué de presse du 24 août 2015. www.icrc.org/fr
« Le marché de l'armement se porte à merveille », RFI, 22 février 2016. www.rfi.fr
BÉRAUD Anne-Laëtitia, « Armements: Le marché mondial en quatre infographies », 20 Minutes, 24 février 2016. www.20minutes.fr
BÉRAUD Anne-Laëtitia, « Hausse des dépenses militaires mondiales: ''L’environnement stratégique est durablement déstabilisé '', 20 Minutes, 5 avril 2016. www.20minutes.fr
D'ALANÇON François, « La Chine et la Russie augmentent leurs dépenses militaires », La Croix, 10 février 2016.
FOURT Olivier, « Le rapport de l'IISS sur l'équilibre des forces armées dans le monde », RFI, 10 février 2016.
LAFARGUE Caroline, « Asie: l'Australie entre dans la course à l'armement », Radio Australia, 25 février 2016. www.radioaustralia.net.au/french/
LARIGAUDRIE Antoine, « Marché de l’armement: pourquoi la Russie a le vent en poupe » BFMTV, 14 décembre 2015. www.bfmtv.com
MAGNAN Pierre, « L'Inde, nouvel eldorado des marchands d'armes », France TV Info / Géopolis, 15 avril 2015. http://geopolis.francetvinfo.fr
MÜTZEL Daniel, (traduit par FLAUCH Manon) « Les dépenses militaires repartent à la hausse en Europe », EurActiv, 8 avril 2016. www.euractiv.fr
TERTRAIS Bruno, « Géographie de l'armement », Atlas militaire et stratégique, Autrement, 2009.
ÉMISSIONS
« ONU. Traité sur le commerce des armes (TCA) : quelle portée à l'échelle internationale ? », France Culture / Les Enjeux Internationaux, 24 décembre 2014. www.franceculture.fr
« L'insolente santé du marché des armes », France Info / Le décrytage éco, 18 décembre 2015. www.franceinfo.fr
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