En décembre 2015, la société SpaceX a réussi à faire atterrir le premier étage d'une fusée Falcon 9 après un tir. Cette prouesse technologique est-elle une menace pour Arianespace ?
Le 22 décembre 2015, le premier étage d'une fusée Falcon 9 a atterri à Cap Canaveral après avoir mis en orbite onze satellites. Elon Musk, le fondateur de SpaceX a raison de qualifier cet événement de « moment révolutionnaire », car il est inédit dans l'histoire de l'astronautique. Cependant, loin de se contenter de cet exploit, la société américaine tente de le réitérer sur des plateformes situées en mer.
En dépit des échecs rencontrés jusqu'à présent, une réussite de SpaceX confirmerait la fiabilité de ses choix technologiques. Toutefois, selon Jean-Yves Legall, le président du CNES, SpaceX n'a accompli que la première partie de son pari car « L'enjeu le plus difficile n'est pas de récupérer le premier étage du lanceur mais de le refaire décoller à un coût acceptable ». Le précédent de la navette spatiale américaine illustre ces propos car la remise en état de cet engin s'est finalement avérée onéreuse.
Quoi qu'il en soit, SpaceX consolide son statut de challenger sur le marché des lancements spatiaux. Aujourd'hui, cette activité est dominée à 50 % par le consortium Arianespace, mais SpaceX a cassé les prix du marché de 30 % depuis son entrée en activité. Au cours des quinze dernières années, Arianespace a déjà été confronté à une forte concurrence qui l'a amenée à diversifier ses services.
Face à des opérateurs tels qu'International Launch Services, Sea Launch ou China Great Wall Industry Corp, la société européenne a eu recours aux fusées Soyouz et Vega en sus d'Ariane 5. Depuis 2011, l'entrée en service d'un pas de tir Soyouz en Guyane permet d'utiliser ce lanceur lorsque la taille de certains satellites ne justifie pas l'emploi d'Ariane 5. De même, depuis quatre ans, Vega développe les capacités d'Arianespace sur le créneau des satellites de petit gabarit à placer en orbite basse.
Un secteur hautement concurrentiel
Pourtant, le développement des fusées Angara (Russie), Longue Marche 5 (Chine) et de Falcon Heavy (le lanceur lourd de Space X), obligent l'Europe à concevoir un nouvel engin. En effet, les lanceurs Angara constituent une nouvelle génération de fusées post-soviétiques. Ils sont destinés à remplacer progressivement les fusées Proton, moins fiables qu'Ariane 5, ainsi que les lanceurs ukrainiens Zenit et Tsiklon, dont la Russie ne veut plus dépendre. Quant à la fusée Longue Marche 5, dont le premier vol est prévu en 2016, elle est destinée à combler les besoins chinois en matière de lancement de satellites. Elle préfigure aussi la conception de « Longue Marche 9 », un engin dédié aux vols habités vers la Lune. À l'avenir, LM-5 pourrait néanmoins devenir une alternative commerciale aux lanceurs « Ariane ».
Dans l'immédiat, la menace la plus importante pour Arianespace semble venir de Falcon Heavy, car le premier étage et les propulseurs d'appoints de ce lanceur lourd seront réutilisables. SpaceX pourrait donc parvenir à faire baisser les prix de lancement des satellites de plus de 5 tonnes que Falcon 9 est incapable de mettre en orbite. Actuellement, le lancement d'une fusée Ariane 5 s'élève en moyenne à 150 millions d'euros contre 50 millions d'euros pour Falcon 9.
Bien que pour le moment il nous soit impossible de connaître le coût d'un tir de Falcon Heavy, il est certain que SpaceX fera tout pour qu'il soit inférieur à celui d'Ariane 5. Par ailleurs, dans cette compétition, la société américaine va bénéficier des commandes du Pentagone et de la NASA pour la mise en orbite de satellites lourds. Aussi, pour le projet Ariane 6, le défi est à la fois technologique et économique car il s'agit de conserver une haute fiabilité tout en s'alignant sur les prix de ses concurrents.
La riposte européenne
Quand elles seront entrées en service vers 2020, les versions bimoteurs (A62) et quadrimoteurs (A64) d'Ariane 6 devraient coûter respectivement 70 millions et 115 millions d'euros par lancement. Dans le cas de la version A64 qui emportera deux satellites de grande taille, le prix moyen du tir sera proche de 60 millions d'euros par engin. Pour parvenir à leurs fins, les Européens veulent remplacer les propulseurs à poudre des fusées par des moteurs réutilisables.
Baptisé « Prométhée », le programme porté par le CNES et Airbus-Safran Launchers prévoit de fabriquer un moteur qui serait réutilisable cinq fois et dont le prix serait d'un million d'euros. Afin de diviser par dix les coûts actuels de production, les maîtres d'œuvre misent sur l'impression 3D pour réaliser 50 % des pièces des propulseurs. Si ces conditions sont réunies, les prix d'Arianespace devraient être compétitifs face à SpaceX.
Néanmoins, d'ici 2020, cet objectif pourrait être mis à mal si la firme américaine parvient à réutiliser à moindre coût les moteurs de Falcon 9 et de Falcon Heavy. Les Européens seront donc contraints de surpasser les choix technologiques de SpaceX. De son côté, Airbus Defence and Space se prépare déjà à cette éventualité via « Adeline », un module réutilisable. À la différence de son concurrent qui fait atterrir ses fusées en position verticale, le lanceur d'Airbus sera muni d'ailerons et pourra se poser sur Terre à la manière d'un drone. Au regard de ce projet, l'irruption de SpaceX dans l'industrie spatiale semble bien sonner l'ère des astronefs réutilisables.
Alexandre Depont
Pour aller plus loin
Encyclopedia Astronautica : http://astronautix.com
Site d'Arianespace : www.arianespace.com
Site de SpaceX : www.spacex.com
Site du CNES : La fiche descriptive des deux versions d'Ariane 6 : https://ariane.cnes.fr/fr/web/CNES-fr/11283-ariane-6.php
Site d'Airbus Defence & Space : Un aperçu du projet ADELINE https://airbusdefenceandspace.com/reuse-launchers/
« SpaceX lance le satellite franco-américain Jason 3 », Science et Avenir, 17 janvier 2016. www.sciencesetavenir.fr
CABIROL Michel , « Et si l'Europe ne développait pas le bon lanceur pour 2020 ? », LaTribune, 5 janvier 2016. www.latribune.fr
LAMIGEON Vincent, « Ariane 6 a-t-elle les épaules face à la fusée réutilisable de SpaceX ? », 5 janvier 2016. http://www.challenges.fr
LECOMPTE-BOINET Guillaume, « Le CNES et Airbus-Safran étudient un moteur spatial réutilisable et low-cost » Industrie et Technologies, 11 janvier 2016.
www.industrie-techno.com
MEDDAH Hassan, « Lancements spatiaux, les quatre concurrents d'Arianespace », L'Usine Nouvelle, 25 novembre 2013. www.usinenouvelle.com
POMMIER Sébastien, « Espace : Ariane 6, l'Europe contre-attaque », L'Expansion L'Express, 2 décembre 2014. http://lexpansion.lexpress.fr
ROUAT Sylvie, « Demain, une Ariane 6 entièrement réutilisable », Sciences & Avenir, 17 juin 2015. www.sciencesetavenir.fr
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