Les enjeux économiques de la réforme territoriale

Devenues des collectivités territoriales grâce à la loi de décentralisation du 2 mars 1982, les régions métropolitaines ont connu un élargissement de leurs prérogatives dans les années 2000. En effet, les lois du 27 février 2002 et du 13 août 2004 ont renforcé les pouvoirs de ces collectivités en leur octroyant de nouvelles compétences. Ainsi, les régions se sont vues concéder des responsabilités dans le développement économique, le tourisme, la formation professionnelle, la gestion d'infrastructures de transport, le patrimoine, ou encore l'éducation. Par ailleurs, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, cherchait à refonder l'organisation des institutions locales en précisant leurs prérogatives et en renforçant l'intercommunalité.


Votée le 27 janvier 2014, la loi MAPAM qui remanie le statut de métropole s'inscrit dans cette continuité. Si la suppression des départements a été abandonnée lors de l'adoption de la loi NOTRe en juillet 2015, le passage de 22 régions à 13 traduit une volonté de rationaliser le « mille-feuille administratif ». Cependant cette architecture territoriale se révèle t-elle pertinente au regard des enjeux liés à la compétitivité des territoires ?

 


Une décentralisation qui consacre le rôle des métropoles

 

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'urbanisation ne cesse de progresser en France. Alors qu'il s'élevait à 55 % en 1950, le taux d'urbanisation dépasse actuellement les 78 %. Les villes regroupent ainsi plus de 48 millions de Français et occupent 22 % du territoire national. Cet étalement urbain a été accompagné par un phénomène de métropolisation qui engendre une concentration accrue des activités et des hommes dans les grandes villes. Si l'agglomération parisienne domine de façon écrasante le reste du pays, avec ses 10,5 millions d'habitants, la France compte une dizaine d'autres métropoles de taille et de puissance variables : Lyon, Marseille, Lille, Toulouse, Bordeaux, Nice, Nantes, Strasbourg, Rennes, Montpellier, Nancy...

 

Sur le plan administratif, ces évolutions urbaines ont été accompagnées par l'essor de l'intercommunalité. A cet égard, la loi Chevènement marque une étape essentielle dans le développement de ce processus. Effectivement, en 1999, il n'existait qu'une centaine de groupements à fiscalité propre qui ne rassemblait guère plus de 1000 communes. La loi du 12 juillet 1999, a permis la multiplication des Établissements Publics de Coopération Intercommunale via la refonte des statuts existants et par la création des Communautés d'agglomération, destinées aux ensembles d'au moins 50000 habitants. Par ailleurs, cette réforme a octroyé davantage de pouvoirs aux EPCI dans l'aménagement du territoire. Enfin, la loi du 16 décembre 2010 a d'une part obligé les communes à s'associer dans des intercommunalités et a d'autre part créé un statut de « métropole ».

 

 

 

Ce nouvel EPCI est destiné aux territoires de plus de 400 000 habitants qui sont situés dans une aire urbaine qui en regroupe au moins 600 000. Depuis l'entrée en vigueur de la loi MAPAM, 10 métropoles (Montpellier, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Brest, Rennes, Lille, Rouen, Grenoble, Strasbourg) se sont ajoutées à celle de Nice créée en 2011. Quant à la  métropole de Lyon, elle constitue une collectivité territoriale à part entière car elle « exerce à la fois les compétences dévolues au département et celles dévolues aux métropoles » (Article L. 3611-2 du Code général des collectivités territoriales). D'ici 2016, Aix-Marseille-Provence et le Grand Paris accéderont à un statut aménagé de métropole alors que Nancy devrait devenir le quinzième EPCI de ce type.



En réalité, cette réforme ne fait que confirmer le rôle des grandes agglomérations dans l'organisation du territoire. Actuellement, ces 15 métropoles produisent plus de 51 % du PIB. Pourtant ce chiffre cache de fortes disparités car Paris représente à elle seule 31 % de la richesse nationale soit 650 milliards d'euros. En comparaison, les trois suivantes, Lyon, Aix-Marseille et Lille ne créent que  3,7 %, 2,8 % et 2,2 % du PIB. Enfin, bien que d'ici 2016, la France comptera quinze villes dotées du statut de métropole, trois régions sur treize (Corse ; Centre-Val-de-Loire ; Bourgogne et Franche-Comté) en seront dépourvues.

 

Des disparités régionales qui persistent


  
A l'instar des « métropoles », les régions bénéficient d'un rôle privilégié au sein de la nouvelle architecture territoriale. Dans une interview accordée au quotidien Le Monde le 22 juillet 2015, André Vallini, Secrétaire d’Etat à la Réforme territoriale affirmait ainsi que «  […] des régions fortes seront les moteurs du développement économique et elles exerceront toutes les compétences de nature à renforcer l'attractivité de nos territoires. »

 

Pour atteindre cet objectif, la clause de compétence générale qui permettait aux régions et aux départements d'agir dans tous les domaines a été supprimée. Alors que les départements se voient confiés des fonctions liées à la solidarité, les régions disposent de larges compétences économiques (aménagement du territoire, aides aux entreprises, gestion des réseaux TER, transports interurbains…). De même, l'Etat tente de réduire les déséquilibres interrégionaux par la fusion de certaines régions :

 

   - Haute-Normandie et Basse-Normandie,
   - Nord-pas de-Calais et Picardie,
   - Alsace, Lorraine et Champagne-Ardennes,
   - Bourgogne et Franche Comté,
   - Rhône-Alpes et Auvergne,
    - Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon,
   - Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes.

 

Sur le plan démographique, ce découpage territorial permet de réduire certaines inégalités. Cependant si ce résultat est assez concluant entre les nouvelles régions d'importants écarts subsistent avec les entités maintenues en l'état. Avec près de 12 millions d'habitants, l'Île-de-France domine de façon écrasante l'ensemble des régions françaises. A sa suite, la seconde région la plus peuplée, Auvergne et Rhône-Alpes   rassemble 7,6 millions de personnes. Puis, se distingue un groupe composé de cinq régions qui comprennent de 5 à 6 millions d'habitants (PACA ; Alsace / Lorraine et Champagne-Ardennes ; Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées ; Aquitaine / Limousin et Poitou-Charentes ; Nord-Pas-de-Calais et Picardie). Enfin, le dernier ensemble regroupe les régions dont la population est comprise entre 2,6 et 4,3 millions d'habitants (Centre et Val-de-Loire ; Pays de la Loire ; Bourgogne et Franche-Comté ; Bretagne ; Normandie) à l'exclusion  de la Corse (316 000 habitants).

 

 

 

 

En ce qui concerne le niveau de développement des régions, l'analyse du PIB par habitant permet de différencier quatre catégories. Sans surprise, l'Île-de-France arrive en tête du classement avec un PIB de 51 000 € par habitant. En seconde position, le groupe PACA - Auvergne et Rhône-Alpes a un PIB situé entre 28000 et 30000 € par habitant. Les autres régions se répartissent en deux ensembles de cinq territoires dont le PIB par habitant s'élève respectivement de 26000 à 28000 € et de 24000 à 26000 €. Toutefois, la répartition de ces circonscriptions révèlent que les régions de l'ouest de la France ont des écarts de PIB moins importants que celles situées dans le Midi, le centre et le quart nord-est du pays.

 

 

 

A l'image des critères précédents, les statistiques de l'INSEE sur le taux de croissance des régions de 1990 à 2012 nous révèlent de fortes inégalités. Avec une croissance comprise entre 2,1 et 2,5 %, les régions Pays de la Loire, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon ainsi que la Corse ont enregistré la plus forte progression. A leur suite, l'Île-de- France (1,9%), la région PACA et la Bretagne (1,8%) ont réalisées des performances supérieures à la moyenne nationale de 0,2 à 0,3 %. Quant à l'Aquitaine / Limousin et Poitou-Charentes ainsi que l'Auvergne et Rhône-Alpes, ces territoires ont connu une croissance égale à la moyenne nationale (1,6%). Parmi les régions les moins dynamiques, le Nord-Pas-de-Calais et Picardie ainsi que la Normandie, ont enregistré une croissance de 1,1 %. Enfin, avec un taux compris entre 0,8 à 0,9 %, le Grand Est, le Centre et Val de Loire, ainsi que la Bourgogne et Franche Comté ont réalisé une croissance deux fois plus faible que la moyenne nationale.

En dépit de la réforme territoriale, d'importantes inégalités risquent de subsister entre les régions. Ces territoires ne possèdent donc pas le même potentiel d'attractivité. Reste à savoir si les changements induits par le législateur seront suffisants pour renforcer la compétitivité des métropoles et des régions.

 


Des métropoles et des régions compétitives ?

 

Dotée du statut de « ville-monde », Paris attire une grande partie des investissements étrangers effectués en France. Cette situation s'explique par son double statut de capitale politique et économique ainsi que par sa qualité de destination touristique internationale. Cette forte attractivité se répercute sur la part du PIB que représente l'Île-France (31%) au niveau national. Effectivement, cette région concentre de nombreuses industries et entreprises high-tech (aéronautique, armement, informatique, électronique, industrie pharmaceutique) ainsi qu'une forte proportion d'emplois à haut niveau de qualification. Néanmoins, malgré leur dynamisme, Paris et l'Île-de-France sont surclassées en Europe par Londres et sa région. En réalité, si les deux capitales produisent une part équivalente du PIB de leurs pays respectifs, Londres bénéficie d'un rayonnement international plus important.

 

En sus de son statut de première place financière mondiale, Londres concurrence Paris du point de l'attractivité touristique. En 2014, Londres s'est hissée pour la troisième fois en quatre ans au rang de ville la plus visitée du monde avec plus de 18,5 millions de visiteurs. La même année, la « Ville Lumière » n'atteignait que le troisième rang avec 16 millions de visiteurs. Face à cette concurrence, le projet du Grand Paris doit renforcer la compétitivité de l'agglomération francilienne. Une meilleure gouvernance ainsi qu'un réseau transport destiné à relier les grands pôles économiques d'Île-de-France doit engendrer de nouvelles dynamiques de développement.

 

En dehors de Paris et de l'Île-de-France, seule Lyon et la région Auvergne et Rhône-Alpes possèdent un fort rayonnement européen. Situées sur un axe stratégique qui relie la Méditerranée à l'Europe Rhénane, Lyon bénéficie d'une position privilégiée le long de la dorsale européenne. Grâce à son aéroport et à plusieurs lignes TGV, Lyon est donc très bien reliée aux principales villes de l'Ouest et du Centre de l'Europe. De plus, cette métropole possède de nombreux atouts comme une industrie et des services dynamiques (chimie ; biotechnologies ; télécommunications) ainsi qu'un riche patrimoine culturel et gastronomique qui attire 6 millions de touristes par an. Pourtant, l'influence de la « capitale des Gaules » reste modeste en comparaison avec des métropoles comme Milan, Bruxelles ou Barcelone. 

 

 

 

 

Bien que les métropoles françaises situées dans des régions frontalières jouissent d'un effet d'ouverture, leur degré d'internationalisation reste limité. Ainsi, les villes de Lille, Nancy, Strasbourg, Toulouse, Montpellier, Marseille et Nice peuvent être considérées comme des métropoles européennes de rang inférieur. La DATAR note malgré tout qu'à taille égale, ces villes ont une influence plus importante que leurs homologues étrangères.

 

Sur le plan régional, la réforme territoriale a augmenté sensiblement les moyens financiers des circonscriptions françaises. Toutefois, les budgets des régions de l'Hexagone restent bas au regard de ceux d'autres pays européens. A titre d'exemple, la Catalogne a des moyens presque aussi élevés (23,3 milliards d'euros) que l'ensemble des régions françaises. Cette disproportion s'explique par des différences dans les compétences attribuées aux régions en France et en Europe. Les régions européennes ont souvent à leurs charges des domaines plus variés comme l'éducation, la santé ou l'aide sociale, ce qui nécessite plus d'argent public.

 

Enfin, selon l'indice de compétitivité régionale de l'Union Européenne (RCI 2013) les régions hexagonales se situent en milieu de classement. Seule l'Île-de-France se démarque en occupant le 8ème  rang européen. Quant à l'Alsace et à la région Rhône-Alpes, elles réalisent les deux autres meilleures performances françaises en se classant aux 93ème et 101ème places. En réalité, cet indice révèle que la France est l'un des pays du Vieux Continent où les écarts de compétitivité entre les régions sont les plus prononcées. Cela s'explique par la position intermédiaire du pays entre l'Europe du Nord et du Sud. Ainsi, les régions les plus proches et surtout les mieux connectées à la mégalopole européenne sont celles qui sont les plus compétitives.

 


Malgré des objectifs ambitieux en matière de compétitivité et de baisse des coûts de fonctionnement, la réforme territoriale suscite des inquiétudes. Dans un entretien accordé à Métro News le 1er août 2015, le géographe Gérard-François Dumont doutait que ce redécoupage territorial permette de réaliser des économies. Selon ce spécialiste, la réorganisation des administrations régionales engendrerait des coûts supplémentaires. Plus grave encore, cette réforme serait nuisible car elle entraverait les programmes de coopération transfrontaliers qui ont cours dans certaines régions. En dépit de ces affirmations, il est hasardeux de préjuger de cette réforme car les effets d'une politique d'organisation du territoire ne peuvent être évalués qu'à long terme.
 

Alexandre Depont

 

 

 

 


 

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