Faut-il pleurer ''tree'', dégonflé par un commando de saboteurs zélés? Si la question est relativement insoluble au regard des critères d'arbitrage mobilisables, nous pouvons néanmoins hasarder quelques réflexions latérales, et tenter de dépasser le registre du binaire.
-Première interrogation: dans quel camp la subversion s'est-elle manifestée? Du côté de l'artiste millionnaire Paul McCarthy, de son art proclamé scatophile, du monde du show-biz et des paillettes, de la muraille de soutiens académiques sur laquelle il a pu s'appuyer sans même l'avoir réclamé; ou bien du côté du printemps français, de la manif pour tous, des saboteurs à procédé dangereux, des austères catholiques identitaires qui s'obstinnent à refuser le discours officiel et le subventionnisme pédagogico-sexuel? (Ne pas percevoir de lien entre la promotion de l'oeuvre par les pouvoirs publics et le matraquage concommitant d'une nouvelle norme sociétale officiellement promue, le gender, serait malhonnête ou véritablement naïf)
Question difficile. S'il est délicat de se ranger derrière les descendants spirituels de Tertullien pour des raisons de respectabilité mondaine, il est tout aussi délicat d'avaliser l'émotion académique, qui en appelle à l'ordre, à la maréchaussée, au tribunal. La subversion est-elle subventionnable, compatible avec des barrières et un service de sécurité... avec une installation... Place Vendôme? Lorsque les pouvoirs publics nous offrent le Plug anal comme obélisque de notre époque, n'y a-t-il pas contradiction absolue dans les termes? Un travestisme esthético-intellectuel dont seraient fier-e-s nos élites officielles?
L'artiste Paul Mc Carthy:
-Deuxième question: prétendre justifier l'art par le fait que "ça choque" n'oblige-t-il pas, dès lors, à justifier d'autant plus l'attitude des démonteurs de l'art officiel, des déconstructeurs indignés, qui pourraient légitimement (malicieusement) être présentés comme les disciples hyper-conséquents de Derrida? Ceux qui se battent (réellement) pour leurs convictions, leur identité, leur culture... et non pour ce cinéma virtuel de l'art machine à cash, contradiction ultime dans les termes.
-Troisième question: est-il plus grave et totalitaire de dégonfler un plug anal de 24m que de scier à la tronçonneuse une croix réelle à Kiev (en mémoire des victimes du stalinisme) dans un happening hautement médiatisé par les Femen (août 2012)? Le gouvernement français n'avait alors aucunement réagi, et avait même accueilli sur son sol certaines de ces fameuses Femen. Comment prendre dès lors au sérieux les jérémiades de ceux-là mêmes qui ne réagissent pas à une destruction pure et dure d'un monument en mémoire de victimes réelles du totalitarisme? Avouons notre trouble...
-Quatrième question: l'association conceptuelle d'un arbre à un sex-toy et non plus à une verge n'induit-elle pas un glissement vers le virtualisme sexuel généralisé? Le sexe est chose merveilleuse, qui doit être vécue pleinement, et l'art a toujours usé du symbole de la verge pour donner du sens à ses formes. Mais le Plug anal, en remplaçant le pieu fertile, ne condamne-t-il pas malgré lui ce qu'il représente à la stérilité, à la jouissance bénigne et plastique? N'incarne-t-il pas, au final, le remplacement de l'art jaculatoire par l'art flacide, impuissant, égoïste?
FIGUIER DESSECHE
Parallèlement au sex-toy, l'oeuvre de Paul McCarthy nous offre à voir un arbre sans fruit, une surface lisse sans la moindre aspérité, sans écorce, monocolore. Tree s'offre au regard tel un nappage uniforme, évidé de l'intérieur et donc sans sève. C'est un arbre gonflable, qui n'offre rien sur ses branches. Quelque part donc, tree est comparable au fameux figuier désséché de l'Evangile. Dans cette perspective, il est tout naturel de mépriser cette oeuvre qui se condamne inconsciemment (non par fanatisme catholicard, mais par recul culturel conséquent, parfaitement laïc).
Nouvelle question: si une oeuvre peut être encensée, peut-elle être légitimement méprisée? L'art implique-t-il nécessairement notre adhésion? Ce qui se dessine derrière la polémique du Plug anal de McCarthy, et en-dehors de la question du sabotage, c'est la question de l'immunité de l'art; est-il possible de conspuer ce qui s'énonce comme dérangeant, ou doit-on servilement célébrer cela, sous prétexte de tolérance? La tolérance, est-elle donc réductible au destin tragique de la caisse enregistreuse? La question du totalitarisme est peut-être là. Le mérite paradoxal des saboteurs (et non de l'oeuvre en elle-même) est de nous placer devant ce dilemme.
Oui certes, Baudelaire a décrété que "le beau est toujours bizarre"... mais le bizarre n'est-il pas justement le contraire de l'ordinaire, du prévisible, du rasoir, du médiocre, enfin du fécal? Le débat doit se déployer bien plus loin que cet exposé partial (nous avons même échoué à sortir du binarisme). Nous devons nous interroger, et c'est désormais urgent, sur l'avenir de l'art, ses rapports de légitimation avec le pouvoir et l'argent, son rapport à la gratuité, au ciel et au caca.
Pierre-André Bizien
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