Chiapas, le Mexique et le poison du jus noir

 

Le Chiapas. Au pays du cactus, cet état frontalier du Guatemala fait figure d’ovni. Entre montagne et forêt tropicale, cette superbe région ploie sous une menace lancinante. Quelle est donc cette réalité honteuse qui vient ternir l’image idyllique que s’en font les touristes de passage? Quel avenir pour cet ancien bastion de la civilisation maya?


L’état du Chiapas (ancienne province du royaume guatémaltèque), rattaché depuis le début du XIXème siècle aux Etats-Unis mexicains concentre une multitude de paradoxes déroutants… franchement peu glorifiants pour les autorités mexicaines.

 

La façade : un Eden exubérant


A première vue, cette région jouit d’un cadre fantastique. Forêt tropicale, montagnes, canyon, rivières... Un contexte naturel idéal pour plonger dans le cœur du Mexique authentique.


Premier joyau de la région : Palenque. Laissée à l’abandon depuis plus de 1000 ans, cette ancienne cité maya nous transporte plusieurs siècles en arrière. Elle nous fait revivre l’épopée maya à travers son patrimoine architectural, notamment à travers ses pyramides, l’élément visuel le plus connu de cette civilisation.


Autres site particulièrement prisés : le canyon de Sumidero et la cité de San Cristobal de las Casas.
Frottons nous les yeux. Derrière ces paysages et ce patrimoine hors du commun, se cache une toute autre réalité : brutale et sans pitié.

 

L’envers du decor

 

Selon la classe politique, le Mexique est entré dans le cercle très fermé des pays riches. Toutefois, la situation économique est souvent dramatique : le cumul des emplois, et le travail informel sont le plus souvent la règle pour les plus pauvres. Dans les régions indiennes comme celle du Chiapas, cette situation est exacerbée, voire même désespérante.


La misère y est rude : les taux d’analphabétisme et de mortalité y atteignent des records. Quelques statistiques témoignent de la gravité du contexte: 33% de la population présente des problèmes de malnutrition sévère et 77% d’enfants sont sous-alimentés. Seulement deux tiers de la population ont accès à l’électricité et plus de 40% n’ont pas d’eau potable. Par ailleurs, 21% de la population économiquement active au Chiapas n’a pas de revenus, et cet état détient le taux du plus bas niveau d’instruction en primaire… des chiffres qui traduisent une triste réalité. Que font donc les autorités mexicaines pour lutter contre cette tragédie lancinante ? Une question qui reste posée.


Au Chiapas, près d’un tiers de la population est indigène, soit plus d’un million de personnes ; en majorité des Tzotziles, qui vivent sur les hauteurs de San Cristobal de Las Casas, et des Tzeltales, entre cette ville et la forêt Lacandone. Cependant, un fort ressentiment existe dans ces communautés indigènes depuis plusieurs décennies. Ils se sentent lésés et mis au ban de la société. Lors d’une conférence tenue en 2006 en faveur des droits des peuples premiers, l’un des représentants indigènes déclare :


« Nous avons atteint les limites de notre patience après tant d’inégalité, de discrimination, de marginalité et de pillage. Nos terres sont brûlées, nos rivières polluées, nos arbres arrachés et nos cultures sont en danger. Notre survie est aujourd’hui en jeu. Il est temps pour nous d’exprimer notre parole ».


C’est dans ce contexte qu’émerge  en 1984 un groupe révolutionnaire militant  pour les droits des peuples indigènes : « Ejercito Zapatista de Liberacion Nacional » (EZLN). Son leader n’est autre que le légendaire sous commandant Marcos (un ancien professeur d’université !).


Le spécialiste Brian Hamnett  remarque :


« L’Armée de libération nationale zapatiste (EZLN), dont le nom est un hommage au leader agraire des années 1910 Emiliano Zapata, cherchait à tirer parti des anciennes revendications indigènes. L’organisation y gagna la possibilité de créer une zone militaire dans la forêt lacandonienne de Las Canadas. (…)Depuis janvier 1994, aucun gouvernement n’a réussi à se débarrasser du problème » (Histoire du Mexique).


Le mouvement zapatiste s’est fait connaître lors du fameux soulèvement du 1er janvier 1994, jour de l'entrée en vigueur de l'ALENA (un accord de libre-échange avec les Etats-Unis et le Canada). Il est farouchement opposé au système capitaliste et clame haut et fort son refus des politiques néolibérales. Récemment, il s’est même rapproché du mouvement altermondialiste.
Le 21 décembre 2012, quelques 20 000 zapatistes ont effectué une marche silencieuse dans les rues de San Cristobal (et une dizaine de milliers d’autres dans les villes environnantes). Gandhi les aurait-il inspirés?
Le Chiapas reste néanmoins en quasi état de siège, vivant au jour le jour une guerre de basse intensité. Cette réalité, largement ignorée à l’échelle internationale, gagnerait à être prise en compte.


Un poison nommé Coca-Cola


Un lien très étroit unit le Mexique et les Etats-Unis, et ce en dépit des inimitiés mutuelles (on pense à la célèbre pique de l’ancien président Porfirio Diaz : « Si loin de de Dieu, et si près des Etats-Unis ». Chavez n’a rien inventé !)
Brian Hamnett pointe avant tout l’imbrication des deux économies :


« Etant donné que 88% des exportations mexicaines étaient toujours dirigées en 2005 vers les Etats-Unis, l’économie restait vulnérable aux faiblesses et aux fluctuations américaines. Cependant, le Mexique connut en septembre 2005 un excédent commercial de 52,2 milliards de dollars avec les Etats-Unis ».


A cette époque, le président mexicain n’est autre que Vicente Fox… l’ancien président de « Coca-Cola Mexique » ; c’est d’ailleurs lui qui avait permis l’installation en plein Chiapas d’immenses usines de la firme. Pourquoi avoir choisi cet état pour le jus noir ? Tout simplement parce qu’il est doté des plus grandes nappes phréatiques du pays (il reçoit 50 % des eaux de pluie du Mexique).


En quoi cela mérite donc notre attention ? Tout simplement parce que pour fabriquer 1 litre de Coca-Cola il faudrait au bas mot plus de… 2 litres d’eau. 


Les habitants de la région sont les dindons de la farce. Leur région est celle où l’on trouve le plus d’eau, mais la plupart d’entre eux n’y ont pas même accès. De plus leur sous-sol, à force d’être pillé sans ménagement par le géant américain, voit déjà ses réserves commencer à s’épuiser. Cerise sur le gâteau, beaucoup d’entre eux ont développé une addiction compulsive au Coca-Cola (moins cher que l’eau).


En clair, la stratégie commerciale de la compagnie américaine de casser les prix pour pénétrer les villages indigènes a parfaitement fonctionné. Une publicité agressive et démesurée, couplée à un prix de vente de 2 pesos (0,12 €) dans les communautés indigènes du Chiapas (5 pesos partout ailleurs au Mexique) a permis l’implantation durable de l’empire du jus noir à l’échelle locale.


On passe rapidement sur la pollution de l’eau impliquée par ces manœuvres de stratégie marchande ; on oublie bien vite aussi les déplacements forcés, l’augmentation de la pauvreté et les assassinats de syndicalistes qui ne brossent pas cette « world company » dans le sens du poil.


Autre phénomène inquiétant, la boisson américaine est désormais très utilisée au Chiapas pour les cérémonies religieuses. Comme le Coca-Cola fait roter facilement et que, dans les croyances locales, ce phénomène permet d’ôter le mal, ce breuvage est de plus en plus utilisé pour célébrer les croyances mayas. Anecdote ethnologiquement intéressante, soit dit en passant : le comble de la modernité déculturée réutilisé comme vecteur de tradition culturelle indigène… Sachant que l’Amérique latine est devenue le premier consommateur de Coca-Cola dans le monde, les cultures traditionnelles ont largement de quoi se "renouveller"... A bon entendeur…


Jérémie Dardy

 

(Image: avnoticiasmx)

 


 

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