L'extrémisme de gauche et l'extrémisme de droite sont-ils intrinsèquement incomparables?

Le 22 février 2014, lors d'une manifestation contre le projet de construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, le centre-ville de Nantes est saccagé par des militants antifascistes. Aussitôt, les responsables politiques du Front National et de la droite réclament la dissolution des groupuscules d'extrême gauche, lesquels seraient, laisse-t-on entendre, aussi dangereux que les phalanges d'extrême droite.

 

Polémique, partisane, la thèse suscite alors une réaction immédiate et cinglante de la part de la gauche. De nombreux intellectuels (Caroline Fourest sur LCP, Eduardo Rihan-Cypel sur I-télé...) investissent les plateaux de télévision pour expliquer qu'il est intrinsèquement illégitime de comparer l'extrême gauche à l'extrême droite, étant donné la nature spécifique de cette dernière. Abjecte par nature puisque fondée sur un substrat raciste, l'idéologie d'extrême droite ne saurait bénéficier d'un quelconque relativisme; par ailleurs, les crimes et la violence historique de l'extrême gauche, aussi graves soient-ils, ne peuvent être mis sur le même plan que ce que le nazisme et le fascisme ont mutuellement engendré.

 

Cohérent, compréhensible et sincère, l'argument porte; cependant, est-il tout à fait convainquant? Non, et loin s'en faut. Précisons d'emblée qu'il ne s'agit pas ici de justifier la thèse frontiste: il est tout à fait exact de soutenir que, d'un point de vue moral, les groupuscules violents d'extrême gauche ne sont pas aussi condamnables que leurs homologues fascistes et néo-nazis. Ce point est indiscutable. Mais factuellement, concrètement parlant, les sources idéologiques qui les animent sont-elles moins mortifères? Non pas; s'il s'agit d'établir une comptabilité numérique, c'est même l'inverse.

 

 Aussi étonnant que cela puisse paraître, le nombre de massacres, d'exécutions et de décimations engendrés par l'idéologie d'extrême gauche est radicalement plus élevé que ceux qui résultent des régimes fascistes et nazi. Le nombre de déportés et de tués par exécutions de masse fut incontestablement plus vertigineux en contexte communiste et révolutionnaire qu'en contexte fasciste. Cette vérité paradoxale, difficile, doit être assumée par les consciences démocratiques contemporaines.

 

Il est en effet trop aisé de se dédouaner du verdict de l'histoire par de simples positionnements de moralité conceptuelle, factuellement plus narcissiques que strictement moraux. Ce parti pris constant des élites républicaines, infaillible à première vue, se base en réalité sur un trompe l'oeil hautement spécieux: en focalisant l'attention sur le degré d'immoralité des crimes en question, on désactive subrepticement le différenciel d'ampleur numérique de ces crimes (selon qu'ils concernent l'un ou l'autre type d'idéologie totalitaire). 

 

En clair, le tour de passe-passe nous conduit à un comble ubuesque: relativiser schématiquement 1000 exécutions monstrueuses car contrebalancées par 200 exécutions encore plus abominables (si les nazis ont exterminé 6 millions de juifs, plus de 200 000 tsiganes et des milliers d'homosexuels, les différents régimes socialistes et communistes ont quant à eux conduit à plus de 60 millions victimes, par exécutions de masse, par famine, etc). 

 

Aussi, ce n'est pas l'extrême droite mais bien l'idéologie communiste qui a sécrété des notions telles "peuples punis" ou encore "rééducation des masses".  Attention donc au binarisme trop poussé. La réalité totalitaire, aussi effroyable qu'elle fut, n'a pas manqué de subtilités intrinsèques: pour prendre un exemple entre mille, le régime franquiste a accueilli des milliers de juifs qui fuyaient la barbarie nazie en leur procurant des visas et des passeports de complaisance; à la mort de Franco, la synagogue hispanique de New-York organisa même une cérémonie funèbre en hommage au dictateur (le 22 novembre 1975).  

 

Si les criminels ne se valent pas, les victimes se valent toutes quant à elles;  ce fait d'évidence est pourtant nié par la gauche actuelle, absorbée par des stratégies de justification morale. Les petites guerres symboliques qui morcellent le champ politique nous mènent à ce genre de marchandage intellectuel nauséeux, logique en surface, mais intégralement falsifié en profondeur. Absolutiser un type de crimes de masse et profiter de l'ampleur de son ombre pour y cacher propicement les siens, voici le scandale des scandales. Se faire du nazisme et du fascisme un paravent commode pour amoindrir les atrocités de son propre camp idéologique... voici le comble de l'immoralité narcissique.

 

Ce n'est donc pas parce que des groupuscules néo-nazis sont plus terrifiants, moralement parlant, que leurs homologues d'extrême gauche, qu'ils sont factuellement plus violents et plus concrètement dangereux que ces derniers. L'actualité nous le démontre jour après jour. Dès lors, exiger que les groupuscules extrémistes des deux bords soient mutuellement dissous est souhaitable, légitime. Non pas, comme le soutient à tort la droite, parce que leur laideur symbolique serait équivalente (ce qui est faux), mais parce que leur dangerosité factuelle concernant les biens et les personnes est mutuellement évidente (et même plus virulentes concernant les groupuscules d'inspiration gauchiste).

 

Moralement moins abjecte, mais historiquement plus mortelle que le fascisme: l'idéologie d'extrême gauche réalise le pire des exploits. Pourquoi, cependant, séduit-elle toujours autant?  

 

Pierre-André Bizien

    

 


 

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