La guerre des Malouines (2 avril-14 juin 1982) - Chiffres, dates et témoignages

 

Née d’une vieille querelle coloniale aux confins de l’Antarctique, la guerre des Malouines fut une guerre éclair opposant une junte militaire aux abois à une solide armée conventionnelle. Gurkhas népalais précipités dans le pandémonium polaire, jeunes recrues torturées, opérations de sabotage en Europe, sous-marins nucléaires d’attaque… ce conflit atypique engendra de nombreux mythes.

 

 

Un archipel convoité

 

 

Entre le XVIème et le XVIIIème siècle, les Européens se succèdent aux Malouines ; Amerigo Vespucci, en 1502, découvre les îles, suivi en 1520 par Estêvão Gomez, membre de l’expédition de Magellan. En 1580, Philippe II, roi d’Espagne, officialise la possession de l’archipel devant notaire : “Ces terres tombent dans les limites reconnues par les bulles papales et appartiennent au roi de Castille et Léon et ses héritiers” (in Angel Tello, L'Argentine et les îles Malouines) ; isolées et inhabitées, elles aiguisent les appétits étrangers.

 

En 1600, le Hollandais Sebald Van Weert y accoste. En 1690, l’explorateur anglais John Strong les aborde et les baptise Falkland Islands, en hommage au Vicomte Falkland. En 1764, le navigateur français Louis Antoine de Bougainville investit l’une des deux îles principales, la Malouine orientale, puis fonde Port-Louis ; les marins-pêcheurs originaires de Saint-Malo qui s’y installent laissent leur nom aux îles. En 1765, les Britanniques édifient Port-Egmont dans la partie occidentale de l’archipel.

 

 

Les racines du litige

 

 

Devant l’occupation illégale de l’archipel, le roi d’Espagne proteste ; en vertu du Traité de Tordesillas (1494), et comme nous l’avons vu précédemment par un acte notarié, cette zone lui revient de droit. Pour éviter tout conflit, la France cède sa colonie à l’Espagne ; la Grande-Bretagne, elle, refuse. Cette fin de non-recevoir débouche sur la crise des Malouines (1770) ; les deux nations menacent d’entrer en guerre, mais un compromis est trouvé in extremis. Chaque puissance s’enkyste alors sur l’archipel et en revendique la souveraineté.

 

 

Annexion anglaise

 

 

En 1811, l’Espagne, engluée dans les guerres napoléoniennes, abandonne les Malouines. En 1816, les Provinces Unies du Río de la Plata (la future Argentine), forcent le destin et s’affranchissent de la tutelle de Madrid. Héritière des revendications espagnoles, la jeune nation sud-américaine réclame le contrôle exclusif des Malouines, intégrées depuis l’époque coloniale dans la circonscription administrative de Buenos Aires.

 

En 1833, les Britanniques s’en emparent et chassent les Argentins, remplacés sur-le-champ par des colons d’origine galloise et écossaise. Fait insolite, le naturaliste Charles Darwin y séjourne l’année suivante et, observant les îlots qui l’entourent, déclare : “Ils sont d’un aspect désolé et misérable” (in Anne Chapman, European Encounters with the Yamana People of Cape Horn, before and after Darwin). C’est en vérité la position géographique de l’archipel, au croisement des routes maritimes australes reliant l’Atlantique au Pacifique, qui présente un caractère stratégique. Pour les Argentins, c’est le début de l’occupation “illégitime” anglaise.

 

 

Opération “Rosario”

 

 

Pendant 150 ans, les Argentins s’évertueront à jouer la carte diplomatique (faute de pouvoir s’imposer militairement) : saisie de la SDN, ONU, etc. ; toutes les négociations échouèrent. En 1981, la nouvelle junte au pouvoir, dirigée par le général Galtieri, souhaite définitivement trancher la question ; le 2 avril 1982, elle lance une action armée contre les Malouines. La garnison britannique, bien trop modeste, est vite submergée ; bien que très inférieurs en nombre, les Royal Marines basés à Port Stanley, la “capitale”, opposent une vive résistance, mais vaine. Parallèlement, les Argentins conquirent la Géorgie du Sud, une île encore plus éloignée. En Argentine, c’est l’allégresse !

 

 

Un défi logistique

 

 

Au Royaume-Uni, c’est la stupéfaction ; à l’annonce de l’invasion, la première ministre Mme Thatcher reste bouche bée :

 

"Ce fut le pire jour de ma vie (…) Cette nuit-là, personne n'a pu me dire si nous pourrions reprendre les Malouines. Personne” (in Le Monde, 28/12/2012)

 

La « Dame de Fer », inflexible, écarte toute idée de pourparlers ; le défi logistique est pourtant de taille : rallier un archipel perdu à l’autre bout du globe, à 15.000 km de ses ports d’attache. Une flotte d’assaut est constituée au pied levé et plusieurs dizaines de navires de transport et de soutien logistique sont réquisitionnés pour l’occasion. Par manque d’effectifs, on va jusqu'à recruter des équipages d’origine asiatique et on les place sous commandement d’anciens officiers de la Royal Navy en retraite. Dans le cadre de l’opération “Corporate”, les Britanniques mobilisent 36 navires de guerre, 5 sous-marins nucléaires d’attaque, 165 hélicoptères, 43 avions de combat, et 9.000 soldats professionnels. Le 5 avril, un corps expéditionnaire quitte Portsmouth.

 

 

Impasse diplomatique

 

 

Dans une tentative d’apaisement, les États-unis entreprirent une médiation ; le secrétaire d’État américain Haig effectua plusieurs navettes entre Buenos Aires et Londres pour trouver un terrain d’entente, sans succès. Les généraux argentins rejetèrent un ultime plan de paix le 28 avril, et les hostilités reprirent. Le 1er mai, la bataille aéronavale autour de l’archipel s’engagea ; détail notable : le gouvernement britannique décréta une zone d’exclusion maritime de 200 nautiques (365 km) autour des Malouines, interdisant à tout navire argentin d’y pénétrer. La marine argentine ne franchira jamais cette ligne rouge.

 

 

Torpillage du Belgrano

 

 

Le 2 mai, au sud des Malouines, le sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Conqueror, surnommé “Conk”, prend en chasse l’escadre formée autour du croiseur lourd argentin General Belgrano ; ce dernier est un ancien navire américain - l’USS Phoenix -, rescapé de Pearl Harbour (1941). Devant la menace que fait peser ce Task Group ennemi (deux autres progressent par le nord), l’amiral Woodward en charge de la flotte britannique, affolé, presse sa hiérarchie d’agir ; après de longues hésitations, Margaret Thatcher donne son feu vert. Le commandant du SNA fait feu ; trois torpilles sont lancées, dont deux font mouche :

 

“Une torpille Mk-3 avait touché l’étrave du croiseur juste avant la première tourelle, sectionnant la proue comme si un géant avait donné un grand coup de hache sur l’avant du bâtiment. La seconde le frappa en plein milieu, au niveau de la cantine de l’équipage, au moment du repas. Plus de trois cents hommes périrent sur le champ dans la déflagration” (in Charles Maisonneuve, Pierre Razoux, La Guerre des Malouines). Le bateau sombra au bout de 15 minutes.

 

Les Britanniques venaient d’enfreindre les règles d’engagement qu’eux-mêmes avaient fixés (à savoir ne pas engager les combats à l’intérieur de la zone d’exclusion nautique ou dans sa périphérie proche) ; les Argentins traitèrent Thatcher de pirate, tandis que la Presse people compara sa figure à celle d’Hitler. Pour se venger, Buenos Aires hâta l’opération Algesiras.

 

 

Opération “Algesiras"

 

 

Quatre nageurs de combats d’élite furent sélectionnés pour faire couler au moins un bâtiment de guerre britannique amarré dans la baie de Gibraltar ; l’objectif consistait à mettre en évidence la vulnérabilité de la Royal Navy tout en ébranlant l’opinion publique, et en impliquant plusieurs pays européens. Bien entendu, la portée était purement symbolique. Le commando, équipé de faux passeports, devait rejoindre l’Espagne via la France.

 

L’opération fut avortée lorsque les quatre hommes firent escale à Paris. La Direction de la Surveillance du Territoire (DST) - les services de renseignement français - les démasqua, et l’identité des faux touristes fut révélée aux autorités espagnoles ; celles-ci procédèrent ensuite à leur arrestation. Les Argentins se consoleront avec la destruction spectaculaire du destroyer britannique Sheffield le 4 mai, touché de plein fouet par un missile français Exocet tiré d’un avion Super-Etendard (le couple Super Étendard / Exocet permit à la junte de tenir tête à un adversaire beaucoup plus expérimenté qu’elle). Notons que le missile fonçait à plus de 1.100 kilomètres à l’heure !

https://www.youtube.com/watch?v=IUZu8bvxJs4

 

 

Jeunes recrues torturées

 

 

Hormis les engagements aéronavals, des combats ont lieu sur la terre ferme, souvent de nuit ; après le duel féroce qui opposa la Royal Navy à l’aviation argentine dans la baie de San Carlos, les troupes Britanniques débarquèrent et entamèrent leur progression à travers la Malouine orientale. Plus “que” 80 km les séparait désormais de Port Stanley, l’objectif final. Dans un premier temps, les parachutistes s’emparèrent (non sans mal) du petit aérodrome de Goose Green, localisé plus au sud. Enfin, il fallut traverser l’île à pied en bravant la toundra humide et glaciale.

 

Face à eux, les soldats argentins étaient généralement de jeunes conscrits, courageux mais inexpérimentés ; Osvaldo Sabadella fut l’un d’entre eux. Il témoigna :

 

“En arrivant, on nous a fait creuser des trous de combat et on y a passé deux mois, à attendre les Anglais. Sans rien manger de chaud, sans le droit de faire du feu. En plein hiver! Pour un oui ou pour un non, nos officiers nous brutalisaient et nous maltraitaient.” (in Le Figaro, 29/03/2012)

 

Pour déloger les défenseurs embusqués dans le fond des grottes ou dans les bunkers, les Britanniques utilisèrent des missiles anti-char “Milan” ; ces engins étaient conçus pour stopper une attaque de blindés soviétiques dans les plaines d’Europe centrale. Considérons bien que la guerre froide pesait de tout son poids en ce temps. Fait rare, les Gurkhas népalais s’emparèrent du mont Williams sans même combattre ; les Argentins, terrifiés par la sulfureuse réputation de ces troupes de choc, choisirent de déserter plutôt que de se mesurer à eux.

 

 

Port Stanley tombe

 

 

Aux abords de Port Stanley, le rouleau compresseur britannique se met en branle ; les Argentins s’écroulent. Quelques nids de résistance tiennent bon ici ou là, mais la déroute est générale ; un soldat argentin raconte :

 

“Ce qui nous impressionna le plus fut de voir les ennemis de près, avec les baïonnettes fixées au canon et en train de crier.  Nous commencions nous aussi à le faire, proférant les insultes les plus vulgaires” (Martin Antonio Balza, Malvinas : relatos de soldados).

 

Devant la débâcle et contre l’avis de la junte, le général Ménendez, gouverneur des Malouines, accepta une capitulation sans condition ; les combats urbains dans l’agglomération furent donc évités de justesse. Le conflit fit près de 900 morts, dont 3 “Kelpers” (habitants des Malouines, en argot). 11.400 Argentins ont été faits prisonniers. Le 17 juin, le général Galtieri quitta le pouvoir.

Statistiquement, les Britanniques perdirent un avion de combat sur quatre, et les Argentins presque un sur deux. Les Anglais effectuèrent 13.000 sorties aériennes, contre 700 pour leurs adversaires. Enfin, 18 navires britanniques ont été coulés ou gravement endommagés, contre 8 du côté argentin.

 

 

Un conflit irrésolu

 

 

Malgré sa défaite, l’Argentine revendique périodiquement la souveraineté sur l’archipel ; le 23 juin 2016, la ministre argentine des Affaires Etrangères, Susana Malcorra, réaffirma les droits “imprescriptibles” du pays sur les “Malvinas”. Les îles ne sont situées qu’à 500 km des côtes du pays.

 

De nos jours, l’enjeu a muté ; les Malouines sont désormais disputées pour leurs larges ressources halieutiques et les gisements de pétrole découverts récemment dans leurs eaux territoriales. Londres utilise également ces îles pour des recherches scientifiques en milieu polaire. Les “Kelpers”, majoritairement d’origine britannique, souhaitent que les îles demeurent un territoire britannique d’outre-mer. Par ailleurs, l’archipel est l’un des territoires les plus militarisés au monde, avec près d’un soldat pour deux habitants.

 

Jérémie Dardy

 

 

Pour aller plus loin 

 

Martin Antonio Balza, Malvinas : relatos de soldados, Circulo militar Buenos Aires, 1983

Peter Beck, The Falklands Islands as an International Problem, Routledge, 1988

O.R. Cardoso, R. Kirschbaum y E. Van der Kooy, Malvinas - La trama secreta, Editorial Planeta Argentina, 1983

Anne Chapman, European Encounters with the Yamana People of Cape Horn, before and after Darwin, Cambridge University Press, 2013

Ernesto J. Fitte, La agresión norteamericana a las Malvinas, Emecé Editores, 1966

Lauwrence Freedman, Signals of War, Faber and Faber. 1990

Paul Groussac, Les Îles Malouines - Nouvel exposé d’un vieux litige, L’Harmattan, 2012

Charles Maisonneuve, Pierre Razoux, La Guerre des Malouines, La Rivière, 2002

Andrew Orgill, The Falklands war, Background, Conflict, Aftermath, Mansell Publishing Limited, 1993

John Smith, 74 days - An Islander’s Diary of the Falklands Occupation, Century Publishing, 1984

Angel Tello, L'Argentine et les îles Malouines, Politique étrangère, 1982

Carlos M. Túrdo (h.), Así lucharon, Editorial Sudamericana, 1982

https://www.youtube.com/watch?v=IUZu8bvxJs4  Destruction du destroyer britannique Sheffield par un Exocet français
 

 


 

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