Accroître ses performances intellectuelles. Les règles de la pensée - méthodes

 

Accroître ses performances intellectuelles : commune à toute l’humanité, cette ambition dévorante n’est pas assumée de la même manière par chacun d’entre nous. Certains la reconnaissent sans fausse pudeur, d’autres jurent ne jamais s’en soucier. Toujours est-il que vous avez cliqué sur le titre de ce PUTAIN d’article et que vous aimeriez bien que l’on abrège les présentations.
C’est bien légitime.


Ce que vous escomptez, ce n’est pas un bavardage cultivé sur les tréfonds du cerveau humain, bien que le sujet – soit dit en passant – ait sa pertinence propre et intime (songeons aux milliards  d’interactions cellulaires impliquées, aux billions de  micro-événements instantanés qui se font et se défont par ondulences successives, aux…). Non, ici encore, vous sauteriez bien les préliminaires pour accéder à une PUTAIN de méthode clé en main, confidentielle, sur-mesure et définitive, apte à vous propulser loin, très loin de vos misérables petits raisonnements habituels.


Est-il bien raisonnable de vous livrer un tel corpus méthodique ? La question se pose, dans la mesure où vous m’êtes parfaitement inconnu. Êtes-vous sain d’esprit, responsable, adapté socialement ? Postulons que oui, et posons-vous la question directement :


-Pour quelle raison première avez-vous cédé à la curiosité ? Pour quelle raison avez-vous fondamentalement désiré apprendre à muscler votre intellect ? Etait-ce en vue de servir plus efficacement l’humanité ? En vue d’accroître le confort de vie de vos proches ? Ou bien en vue « d’être plus malin que les autres » ? Répondez franchement en vous-même : quelle proportion d’ego réside dans votre soif ?


Première urgence : réduisez-la. Le principal obstacle à une intelligence limpide et performante est votre moi auto-jouisseur. Nous avons tous le droit (et le devoir) de désirer : cependant, le désir doit-être éduqué, ou plus simplement «consciemment porté vers». Réduire son moi-parasite passe par un dépouillement consenti, un régime éthique, une faim nouvelle de l’Autre. Avant votre cerveau, c’est l’âme qui se mobilisera, par le biais d’une introspection sévère : qu’est-ce qui me pollue intérieurement ? Qu’est-ce qui me ronge, m’obsède et me cabre ? Identifiez quelques points. Pendant quelques jours, travaillez à les réduire. Ici, la méthode-reine est l’humilité. Allez vers elle. Consentez à reconnaître vos limites lorsque vous formulez vos opinions. Oubliez d’ « avoir » raison, cherchez à la trouver.

 


«C’est en retardant ses conclusions, même lorsqu’elles lui paraissent évidentes, qu’un penseur progresse» (Albert Camus, Carnets, 1951)


 

Multipliez les occasions de débats avec votre entourage professionnel, familial, amical… Débattez de tout, surtout de ce qui est chiant. Travaillez à percevoir l’intérêt de telle opinion entendue, ne la jugez pas, jaugez-la simplement. Utilisez en priorité la méthode intellectuelle de la scolastique médiévale : plutôt que d’attendre impatiemment que l’interlocuteur cesse son argumentation pour parler à votre tour et jeter votre idée préparée, concentrez-vous simplement sur ce qu’il énonce. Scrutez, contemplez son discours par le détail, méticuleusement. Prenez celui-ci, et prolongez-le dans ses implications successives. Si l’argumentation de votre interlocuteur est défaillante, vous le démontrerez en développant la logique impliquée. Cette méthode est une merveille. Elle permet de déconstruire toute argumentation, de pénétrer au-delà des artifices esthétiques de tel ou tel postulat.

 


Petit exemple : un interlocuteur vous insulte, en vous calomniant. Vous réfutez, et il appuie alors :


-Il n’y a que la vérité qui blesse.
Prenez cet adage totalement faux pour une « proposition », et éprouvez-le devant l’interlocuteur.


-Il n’y a donc que la vérité qui blesse ? Soit. Si je te traite de fils de pute, ne seras-tu pas blessé ? Faut-il dès lors en déduire que ta mère est effectivement une putain ?


L’exemple est assez brut, j’en conviens mais il indique limpidement la méthode : plutôt que de concentrer tous vos efforts à nier, prenez l’argument ou l’accusation adverse comme une « proposition ». Déroulez-la, jusqu’à ce que son absurdité surgisse. De nombreux postulats validés par la plupart des gens sont en réalité totalement absurdes, mais il est souvent difficile de le faire valoir. Cette méthode le permet.


Revenons à l’impératif de concentration sur ce que l’autre dit, plutôt que sur ce que j’ai à dire. Travaillez votre finesse d’esprit par le biais de l’association d’idée, et les raisonnements audacieux. Une idée pertinente est souvent une idée qui a su dévier du chemin des évidences spontanées. Petit exemple :

 


« En politique, une affirmation fausse peut être un fait vrai, à cause de ses conséquences» (Jacques Julliard, La Reine du monde, 2008)

 


Ici, tout le génie réside dans la liaison audacieuse opérée par Jacques Julliard : il parvient à soutenir pertinemment une absurdité apparente en ouvrant une brèche, en déroulant la possibilité plus loin que le décor. Il faut toujours chercher à percer le décor, le cadre de carton-pâte dans lequel nos échanges sont confinés au quotidien. L’imagination est ici nécessaire : non pas en tant que don, mais plutôt en tant que but. L’imagination est une servante espiègle de la raison. Ses ondulations la font danser, bouger, couvrir un espace plus vaste qu’à l’ordinaire. Elargissez donc le décor. C’est tout à fait faisable, mais il y faut l’audace.


Autre impératif : nourrissez votre stock d’images afin de pouvoir mobiliser l’association d’idées de manière optimale. Lisez, lisez de tout, en vous concentrant sur la validité de ce qui est écrit, sans juger. Contentez-vous de qualifier. Lisez, mais digérez. La lecture excessive peut être un piège, une manière de repousser sans cesse le devoir de passer à l’action. La romancière Nina Bouraoui a su déceler ce danger :


« Les livres ont ce pouvoir d’annuler le monde, d’étouffer les cris ; ce sont des livres-murailles, Il y a plusieurs façons de quitter la vie, les livres sont de cette drogue» (Mes mauvaises pensées, 2005)


Développer son intelligence, c’est aussi (et surtout) partir en quête de liberté. Une liberté qui s’énonce comme une déprise, une libération. On doit se désincarcérer du narcissisme intellectuel, principal frein au développement de la pensée. La philosophe Monique Castillo nous l’explique lumineusement :


« C’est par là que commence la liberté : c’est reconnaître qu’on ne savait pas. Et c’est ça penser par soi-même, c’est avoir le courage de dire : « Mais… mais ce que je pense, mais c’est… mais c’est tout faux ! Il faudrait peut-être que je commence à me renseigner ! » (Conférence, Observatoire Midi-Pyrénées, 20 novembre 2012)

 

Nous en revenons à l’impératif d’humilité originelle.


« Un esprit libre peut s’autocritiquer alors qu’un esprit esclave se contente de changer de maître »  (Monique Castillo, Conférence, Observatoire Midi-Pyrénées, 20 novembre 2012)


Enfin, il nous faut développer notre attention, notre qualité d’écoute. En toutes circonstances. Le défaut d’intelligence résulte pour une large part d’un défaut originel d’attention, car nous sommes distraits, ailleurs. Nous devons nous contraindre à être là. Je vous parle ici de rigueur, bête et méchante.

 

Pierre-André Bizien

 


 

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