Introduction aux idées théologiques importantes (I)

 
Première partie : penseurs catholiques du XXe siècle (Aucune prétention d'exhaustivité bien évidemment)

 

Emmanuel Mounier

 

C’est le chrétien de gauche par excellence. Son objectif est de « désolidariser le spirituel du réactionnaire ». Etre chrétien c’est être révolté, il faut en finir avec le capitalisme, un point c’est tout. Mounier avait un réel don d’écriture, sa plume de pamphlétaire était magnifique. Il a fondé la revue Esprit.

 

Mounier s’est notamment élevé contre la suavité chrétienne, l’esthétique mollassonne qui l’accompagne. Il plaide pour la vertu de force, qui est d’ailleurs l’une des quatre vertus cardinales du catholicisme. En clair, Mounier, c’est la haine personnifiée contre la chrétienté sociologique.

 

En dépit de ce penchant gauchiste très affirmé, Mounier avertit qu’il ne faut pas temporaliser le christianisme en en faisant une simple défense des opprimés de l’économie : il ne faut en aucun cas assimiler la Révolution et ses promesses au Royaume de Dieu.

 

Il pose de front les bonnes questions et y répond magistralement : « Le christianisme a-t-il  dévirilisé l’homme ? » En vérité, c’est la bourgeoisie qui a dévirilisé le christianisme.

 

L’homme chrétien doit être « celui qui dit je en pensant moi le moins possible».

 

Contrairement à ce que la société affirme, le christianisme ne condamne nullement la chair : d’ailleurs, notre corps est appelé le temple du Saint-Esprit dans le Nouveau Testament. D’autre part, on s’aperçoit que tout au long de son histoire, l’Eglise a condamné bien plus gravement les péchés spirituels que les péchés de la chair.

Emmanuel Mounier nous démontre qu’il est parfaitement possible d’être authentiquement catholique et authentiquement de gauche. Sa lecture est un antidote puissant contre les tentations réactionnaires de la conscience religieuse.

 

Citation signifiante :


« Celui qui n’a jamais connu la brusque envie de tuer n’a que des vues bien abstraites sur le pardon chrétien » (L’affrontement chrétien)

 

 

Claude Geffré

 

Selon Claude Geffré, il est peu honnête d’établir une hiérarchie entre « grandes » et « petites » religions. En effet, le judaïsme est minuscule par le nombre de ses adeptes et gigantesque par son influence ; inversement, de nombreuses religions sont importantes quant au nombre de leurs fidèles et minimes quant à leur portée théologique. Nous ne lâcherons pas de noms !

 

Il conteste aussi la distinction entre religions immanentes (hindouisme, bouddhisme…) et religions transcendantes (islam, christianisme…). En effet, nous rappelle-t-il, toutes les religions sont caractérisées par un certain décentrement de soi au profit d’une Réalité ultime. En réalité, les religions de l’Orient refusent simplement de désigner Dieu comme une Transcendance "personnelle", et c’est là que se trouve le point de départ de notre confusion (l’éternelle question occidentale : bouddhisme, philosophie ou religion ?)

 

Citation signifiante :


« Il est permis de considérer le christianisme comme une réalité relative, mais pas au sens où relatif s’oppose à l’absolu : au sens d’une forme relationnelle. La vérité dont témoigne le christianisme n’est ni exclusive ni inclusive de toute autre vérité : elle est relative à ce qu’il y a de vrai dans les autres religions » (La singularité du christianisme à l’âge du pluralisme religieux)

 

 

Hans Küng

 

C’est l’enfant terrible du catholicisme. Il dénonce régulièrement l’intolérance et le conservatisme de l’Eglise catholique, à laquelle il appartient.

 

Selon lui, la trinité est une divagation née de spéculations hellénistiques (grecques antiques) ; le monothéisme brut de l’islam devrait donc aider les chrétiens à purifier leur propre monothéisme.

 

Il affirme aussi que c’est un « préjugé dogmatique », lorsqu’on est chrétien, de considérer Isaïe et Jérémie comme prophètes, mais pas Muhammad :

 

« En tant que chrétien, je peux être convaincu que, si j’ai choisi ce Jésus comme le Christ, pour ma vie et pour ma mort, j’ai aussi choisi celui qui est venu après lui, Muhammad, dans la mesure où il se réclame du seul et même Dieu et de Jésus » (Hans Küng, Le christianisme et les religions du monde)

 

Citation signifiante :


« Chrétien : un mot qui, aujourd’hui, réveille moins qu’il n’endort » (Etre chrétien)

 

 

Hans Urs von Balthasar

 

Von Balthasar, est un puits de science étonnant. Il a écrit près de 85 ouvrages et 500 articles au cours de son existence.


Il remarque habilement que les reproches contre l’Eglise sont toujours contradictoires entre eux : elle serait trop ascétique ou trop permissive ; trop prisonnière de l’Ancien Testament et trop antisémite ; elle exprimerait le ressentiment des faibles et des vaincus (Nietzsche), et l’appareil triomphant des vainqueurs du monde écrasant les faibles (tout le monde); elle serait trop éloignée du monde et dans le même temps trop conformiste.

 

Selon lui, la sainteté consiste à supporter le regard de Dieu. Réflexion très profonde, nécessitant une vingtaine d’années de méditation avant compréhension.


Pour lui, le pire désastre dans la vie de l’Eglise, ce fut la division entre la théologie et la spiritualité ; les grands saints ont fini par fuir la théologie.

 

« Les saints, intimidés par le fil barbelé des structures conceptuelles, qui a été mis autour de la vérité évangélique, n’osent plus participer, d’égal à égal à la vraie et nécessaire interprétation du dogme ».

 

La théologie est loin d’être une simple discipline intellectuelle : elle doit carrément être contemplative.

 

Citation signifiante :


« Ce sont ceux qui aiment qui en savent le plus long sur Dieu » (L’amour seul est digne de foi)

 

 

Henri de Lubac

 

Henri de Lubac est l’un des plus grands théologiens français du XXe siècle. Il a notamment lutté contre le nazisme.

 

Il souligne qu’il existe un lien direct entre unité divine et unité humaine : on dit l’Homme, malgré sa pluralité interne. Avec Dieu, ce doit être de même. On dit Dieu, malgré sa pluralité interne. Il n’y a pas de contradiction dans la Trinité. Aussi dès-lors, le monothéisme ne peut être qu’une fraternité. Le Diable (diabolos, ce qui divise) signifie la division de l’unité, celle de l’homme et de Dieu.


Lubac reproche à la société moderne de confondre délibérément l’essence du catholicisme à ses déformations. Il est dès lors très aisé de trouver l’Eglise monstrueuse.

 

Selon lui, le syncrétisme est une forme de fornication, une insulte faite au Dieu vivant ? Pourquoi ? Car il vulgarise tous les éléments qu’il combine.

 

La grande idée de Lubac (qui lui valut d’énormes problèmes) : il affirme que ce n’est plus la scolastique du Moyen Age mais la tradition antique des premiers Pères de l’Eglise qui est le socle légitime de la tradition de l’Eglise, la source à laquelle puiser. En faisant la promotion nouvelle des Pères de l’Eglise, il relativise l’apport de la scolastique médiévale et de Saint Thomas d’Aquin. Au milieu du XXe siècle, une telle position avait de quoi scandaliser l’Eglise officielle, laquelle se référait encore très exclusivement à la théologie médiévale scolastique (celle de Saint Thomas d’Aquin, qui se base globalement sur une rationalité très mécaniste et sèche… pour aller très vite).

 

Citation signifiante :


« L’orthodoxie : la chose du monde la plus nécessaire et la moins suffisante » (Paradoxes)

 

 

François Varillon

 

François Varillon est un théologien qui justifie tous les dogmes du christianisme au travers d’écrits assez pédagogiques. Exemple : on a tendance à dénigrer l’Eucharistie. A ceci, il répond que l’Eucharistie rend les hommes de tous les temps contemporains de l’Incarnation.


Il réfute l’opposition Eglise visible/ Eglise invisible, cela ne veut rien dire. Il n’y a qu’une Eglise, et elle est visible… par contre il y a une appartenance visible et une appartenance invisible à l’Eglise. Nuance !

 

Les musulmans ont cette supériorité sur les chrétiens de croire fermement en la toute-puissance de Dieu. Aussi prient-ils avec plus de force que les chrétiens.

 

Citation signifiante :


« Le sublime ne serait pas sublime si son envers n’était pas le tragique» (Beauté du monde et souffrance des hommes)

 

 

Julien Green

 


Julien Green était un grand homme de lettres catholique, homosexuel, volontiers réactionnaire. Il fut un défenseur souvent âpre de l’Eglise, et il réprima ses désirs sexuels portés sur les hommes par fidélité à sa foi.

 

Contrairement à une idée répandue, Green souligne qu’il y a plus de raisons de trembler après avoir lu le Nouveau Testament qu’après avoir lu l’Ancien Testament. En effet, ce dernier est extérieurement redoutable dans sa lettre, mais au final plutôt simple, mécanique dans ses exigence ; le Nouveau Testament, lui, sous des dehors suaves et iréniques (portés sur la paix), est d’une exigence inouïe envers l’homme. Par exemple : l’adultère débute dès que l’on se retourne sur le passage d’une femme. La Loi de Dieu est en vérité d’autant plus rude qu’elle quitte la lettre pour l’esprit.   


Pour Julien Green, l’Inquisition avait de la grandeur et de la dignité, car elle prenait au sérieux la parole de Dieu ; ce serait à elle que l’on doit d’avoir un dogme pur. Elle fut une « institution éminemment salutaire ».

 

Citation signifiante :


« J’ai pitié de la foule, scandaleuse par sa bêtise » (Journal, 1997-1998)

 

 

Maurice Blondel

 

 

Maurice Blondel était un philosophe catholique très original, mais dont la pensée ne se laissait pas appréhender facilement. C’est d’ailleurs tout le drame des théologiens en général, qui rebutent les publics en raison de la technicité apocalyptique de leur langage.

 

Selon Blondel, dans la polémique religieuse, il ne faut pas réfuter et détruire ce que dit l’autre, mais remonter aux sources, convertir et compléter.


Citation signifiante :


« La perpétuité de l’Attente prouve la perpétuité de l’objet attendu» (Carnets intimes, II)

 

 

Charles Péguy


Charles Péguy, mort d’une balle dans la tête aux premiers jours de la Première Guerre Mondiale, fut un intellectuel fascinant. Il présente la particularité d’avoir été également partagé entre le socialisme et le catholicisme. C’est un insoumis radical.


En premier lieu, c’est sa haine de l’argent qui domine ses écrits. Elle est au principe du pourrissement social. Toutes les classes sociales sont d’accord entre elles pour dire que tout est une question d’argent.

 

Il a inventé le concept d’ "internité" : l’éternité est interne au temps, et la chrétienté se doit de devenir internelle.


Aussi, Péguy affirme la place primordiale qu’occupe la France dans le cœur de Dieu ; elle est la pointe de la chrétienté, la terre où les chrétiens sont censés être les plus valeureux. Selon lui, les saints Français sont les plus grands. Il a aussi célébré les croisades, dont les Français seraient les glorieux inventeurs.

 

Il a notamment critiqué la civilisation techniciste en affirmant que la technique manque le réel en manquant de respect. Nous avons ici une base nouvelle pour attaquer le système capitaliste.

 


Pierre-André Bizien

 


 

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