Stalingrad, le tournant sanguinolent de la Seconde Guerre Mondiale

 

Le 3 mars 1941, Hitler fulminait : « La guerre contre la Russie ne pourra se faire de façon chevaleresque. C’est un combat d’idéologies entre des races différentes et il va falloir le mener avec une dureté sans précédent, impitoyable en ne reculant devant rien. »


Forte de ses récents succès sur quasiment tous les théâtres d’opération, l’Allemagne fait subitement volte-face contre l’Union Soviétique, transgressant le pacte germano-soviétique (traité de non-agression mutuel signé en 1939). C’était inévitable. Dans Mein Kampf, Hitler l’avait écrit noir sur blanc : « le bolchevisme est l’ennemi mortel du fascisme ».  L’ancienne alliée de circonstances est donc attaquée le 22 juin 1941. Le Reich lance contre elle la plus grande offensive militaire jamais connue.

 

Quelques 3 millions et demi de soldats, dans le cadre de « l’Opération Barbarossa », partent à l’assaut des contrées d’Europe de l’Est. Parfum tragique. La conquête est aussi violente que foudroyante. Les soviétiques perdent des millions de soldats. En cette fin d’année 1941, il faudrait un miracle pour sauver l’URSS… et celui-ci va effectivement se produire. Un sursaut de l’Armée rouge, combiné à l’arrivée du « général hiver » (le froid glacial), sauveront in extrémis le pays d’une mort certaine.  De plus, un front immense de quelques 2000 kilomètres donne toujours du fil à retordre aux forces de l’Axe.

 

L’État-major allemand est contraint de faire un choix stratégique pour briser durablement les défenses ennemies. Il envisage de concentrer toutes les forces disponibles pour attaquer la capitale économique et politique, Moscou. Pourtant le führer, comme à son habitude, vient contredire l’avis de ses généraux. Autoproclamé général en chef, il donne l’ordre de prendre la ville industrielle de Stalingrad sur la Volga … Son objectif : se frayer un chemin jusqu’aux champs pétrolifères du Caucase. Un choix économique qui n’est pas sans rappeler sa décision prise lors de la conquête de l’Ukraine.

 

En effet, Hitler désirait contrôler en totalité cette partie soviétique pour ses ressources agricoles, surnommée le « grenier à blé de l’Europe ». Pour cela, il fallait anéantir les dernières poches de résistance ; ce qui coûta un temps précieux dans le déroulement des opérations. Des objectifs militaires et une solide intuition stratégique qui sont parfois incompris de certains généraux, qui le considèrent alors comme un « stratège amateur ».


Jusqu’à présent pourtant, malgré des pertes significatives sur le front de l’Est, et la défaite de la bataille d’Angleterre, les armées allemandes semblent invincibles. En 1812, Napoléon croyait l’être aussi. Tout comme les polonais en 1610. Quel sort allait être réservé cette fois aux allemands ? Stalingrad allait en apporter la réponse…

 

[Reconquérir ses proches: la thérapie scripturale]

 

Dans les décombres de Stalingrad :


La bataille de Stalingrad débute le 17 juillet 1942 et se prolonge jusqu’au 2 février 1943.


Stalingrad est alors la première ville industrielle de l'URSS. Elle compte 600 000 habitants, se trouve au centre d'un dense réseau de vois ferrées, et regroupe d'immenses usines. Le plan des allemands consiste à y enfermer les troupes soviétiques par une manœuvre d’encerclement. La VIème Armée est leur fer de lance lors de l’offensive sur la ville. Des formations des pays satellites (roumains et italiens principalement) l’appuieront. Elle est commandée par le général Friedrich Paulus (un ancien officier d’état-major). Côté soviétique, la ville est défendue par la 62eme Armée du général Vassili Tchouikov, un officier intuitif. Un commissaire politique intraitable l’accompagne, Nikita Khrouchtchev ! (Celui-ci succèdera à Staline a la tête de l’URSS en 1953).


Rapidement, la ville est transformée en un amas de gravats. L’historien Antony Beevor précise :


« Les bombardements massifs effectués par l’aviation de Richthofen  avaient transformé la ville en un amas de ruines qui allait fournir aux Russes un parfait champ de bataille ».


Beevor évoque en regard 14-18: « D’une certaine manière, les combats sauvages de Stalingrad étaient encore plus terrifiants que la boucherie impersonnelle de Verdun. Cette lutte presque au corps à corps dans les ruines, les caves, et les tunnels fut très vite surnommée la « rattenkrieg » - la guerre des rats – par les soldats allemands ».


Une lutte à mort épouvantable s’engage pour le contrôle de la ville. Les lieux sont défendus âprement, presque désespérément par les soldats russes. On se bat rue par rue, pièce par pièce. Staline avait d’ailleurs lancé un avertissement aux civils et aux militaires en citant une vieille saillie de Lénine : « Ceux qui n’assistent pas l’Armée rouge par tous les moyens, et ne se conforment pas à son ordre et à sa discipline, sont des traitres et ils doivent être tués sans pitié». Ces mots ne resteront pas vains. On enregistrera 13500 exécutions à Stalingrad, pour les motifs suivants : la retraite sans ordre, l’automutilation, la désertion…


Cette politique a provoqué une conséquence surprenante, un point pour le moins insolite qui mérite d’être souligné : elle a poussée nombre de soldats russes à déserter et à rejoindre le camp ennemi. Voici pourquoi les divisions de premières lignes de la 6eme Armée de Paulus comprenaient plus de… 50 000 citoyens soviétiques en uniforme allemand ! Les fameux « Hiwis », abréviation de Hilf-Willige (auxiliaires volontaires) ; ils représentaient jusqu’à un quart des effectifs. Ils étaient écœurés par les détachements de soldats politiques sous la houlette des services spéciaux (le NKVD en l’occurrence) ; ceux-ci fusillaient les soldats qui, lors d’une offensive, tentaient de revenir vers leurs lignes. D’autres encore, excédés par l’incompétence de leurs chefs, avaient désertés pour rejoindre volontairement le camp allemand.

Par ailleurs, la majorité d’entre eux avaient incorporé les rangs de l’Axe plutôt que de rester dans les camps de prisonniers et d’y mourir de faim. Au total, sur les 5 700 000 soldats de l’Armée rouge captifs, quelques 3 millions périrent dans ces camps (de faim, de froid, de maladie et de mauvais traitement).


Dans Stalingrad, des combats à mort sont menés pour récupérer les points stratégiques de la ville : l’Aérodrome, l’usine octobre rouge, l’usine de tracteurs, la gare centrale, la place rouge… Les soldats soviétiques font preuve d’une ténacité et d’une pugnacité incroyable. C’est la fameuse énergie du désespoir les anime. Pourtant, par manque de moyens, ils se retrouvent parfois avec un seul fusil pour deux… y compris lors de leurs offensives.

En toile de fond, un vacarme permanent abrutit les combattants des deux camps. Le crépitement des mitrailleuses ; Le hurlement des sirènes des Stukas (avions allemands) ; Les lance-fusées Katiouchas des soviétiques (surnommées « les orgues de Staline »), et leur homologue allemand le Nebelwerfer.
Pour Hitler et Staline, le contrôle de Stalingrad devient  une question de prestige.


L'affrontement est acharné, les progressions se mesurent en mètres, chaque maison fait l'objet de corps à corps impitoyables. Dans ce champ de ruines fumantes, les tireurs d'élite sont en première ligne. C’est là que naîtra la légende du sniper Vassili Zaitsef (son nom veut dire lièvre en russe). Il s’agit du héros de toute la 62eme Armée. Toutefois, même avec un tableau exceptionnel, il n’atteint pas le palmarès incroyable du légendaire « Zikan ». Ce dernier est accrédité de 224 Allemands tués, rien qu’en date du 20 novembre 1942 (soit 4 mois après le début de la bataille). C’est le chiffre approximatif atteint par Zaitsef… durant toute la bataille. Un culte s’organise autour des tireurs d’élite. Ces stakhanovistes de la mort reçoivent des décorations et des distinctions. A partir de quarante « Fritz » tués, c’est la médaille « pour la Bravoure », et le titre de « noble tireur ».


Par ailleurs, après 5 mois de combats effroyables à Stalingrad, sur les 50 000 civils qui ne purent être évacués sur la rive orientale de la Volga, 10 000 d’entre eux sont encore vivants ; malgré la famine et la dureté des combats. En une semaine, le quartier de la gare change quinze fois de mains. La guérilla urbaine menée par les russes semble porter ses fruits. Ils tiennent bon. Pourtant, les forces de l’Axe contrôlent quasiment l’intégralité de Stalingrad (90% du territoire).


L’Opération Uranus  va définitivement faire pencher la balance en faveur des soviétiques. Le 19 novembre 1942, avec le concours notable de la 5eme Armée blindée, ils  enclenchent un mouvement de tenaille, en attaquant sur les deux flancs de la Sixième Armée. Les deux pointes de l’attaque font la jonction à l’arrière de la ville, près de Kalach. Sur les flancs des troupes allemandes ne se trouvent que des troupes roumaines, bien moins armées.


Le 6 décembre 1942, la 6eme Armée de Paulus se situe dans une poche de 60 km de large : 275 000 hommes (dont 20 000 Hiwis, 11 000 roumains, et quelques centaines d’italiens) sont pris au piège dans le chaudron de Stalingrad.
Quelques jours plus tard, le 12 décembre 1942, le général allemand Von Manstein déclenche l’opération « tempête d’hiver » (« Wintergerwitter ») ; Avec sa 4eme Armée, il tente une percée pour permettre un dégagement de la 6eme Armée. Echec. Sous le feu nourri des chars russes, cette tentative se révèle impossible.


Hitler refuse catégoriquement le retrait des troupes. Il leur ordonne de tenir bon. En s’obstinant à interdire tout repli, il condamne la 6eme Armée.
16 décembre 1942: Les Russes vont lancer une seconde opération qui va enfoncer le clou. L’opération Saturne. L’étau se resserre.


Dans le recueil “Dernières lettres de Stalingrad” traduit de l’allemand par Charles Billy, un soldat anonyme témoigne de l’horreur des combats et de la dure réalité vécue par les hommes dans ce no man’s land :


« Quelle est ici la vérité ? On crève, on crève de faim, on crève de froid ; Les hommes tombent comme des mouches : personne ne se penche sur eux et ne songe à les enterrer. Il y en a partout, sans bras, sans jambes, sans yeux, le bide plein de trous… »


10 janvier 1943: « L’Opération cercle » (ou « Koltso ») détruit définitivement tout espoir pour les forces de l’Axe. Sept armées soviétiques entourent désormais la ville et sa région proche.
Le rêve d’Hitler d’un « Reich millénaire » semble s’évanouir dans les décombres de Stalingrad. Le 2 février 1943, la capitulation allemande est signée.

 

Le bilan :


La bataille de Stalingrad annonce la mise à mort du 3eme Reich. Elle sonne le glas pour une armée qu’on croyait invincible. Les pertes humaines sont effroyables dans les deux camps.  La victoire soviétique a un impact psychologique gigantesque. L’espoir renaît enfin chez les Alliés.


Pour les soviétiques, il s’agit d’une fin à la fois triomphale et amère. Les pertes de l’Armée rouge pour la seule campagne de Stalingrad sont très lourdes : 1.100.000 hommes (dont 485.000 tués).


Du côté des forces de l’Axe, le bilan n’est guère plus glorieux : ils laissent quelques 850.000 hommes (tués, ou blessés). D’autre part, 91.000 combattants sont faits prisonniers (dont 22 généraux et 1 maréchal)… seuls 5000 d’entre eux rentreront un jour en Allemagne. Plus généralement, la guerre contre l’URSS aura été une pure folie, puisque 80% des pertes allemandes de la guerre concerneront le front de l’Est.


Une immense statue domine aujourd’hui les hauteurs de la ville, symbolisant cette victoire. C’est le monument de « l’appel de la mère patrie ». Une sculpture en béton de 52 mètres de haut. Un air de Verdun flotte sur cette colline qui fut un point hautement stratégique pour le contrôle de Stalingrad. Il se dit que  les tirs d'artillerie et les éclats d'obus ont disséminé en moyenne 800 éclats métalliques au mètre carré.


Baptisé aujourd'hui Volgograd, cette ville tachée de sang restera à tout jamais le symbole d’une lutte acharnée… Et surtout l’un des tournants majeurs de la Seconde guerre mondiale.
L’URSS perdra, entre le 22 juin 1941 et le 9 mai 1945, quelques 25,3 millions citoyens soviétiques.

 

 


 

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