'' I'm muslim, don't panik ''  : qui préjuge de l'Autre ?

« I’m Muslim, don’t panik ». La semonce claque, impérieuse et péremptoire. Elle est reprise des paroles du morceau « Don't panik », écrit et interprété par le rappeur français Médine. En 2008, il sort une mixtape qui s'intitule « Don't panik tape ». Depuis la parution du morceau, Médine connaît une notoriété grandissante chez ses jeunes auditeurs issus des quartiers populaires. Il arrive en effet fréquemment, aujourd'hui, de croiser des écoliers franciliens qui arborent un T-Shirt noir orné de gros caractères fluorescents, lesquels indiquent abruptement : « I'm Muslim, don't panik ».


Jusqu’ici en France, jouer l’ironie en exhibant son identité n'a jamais constitué une atteinte officielle aux principes républicains, protégeant justement la liberté d'expression, de conscience et de culte. En revanche, porter un t-shirt explicitement confessionnel et moralisateur en territoire laïc, qui plus est dans un établissement scolaire, complique tout de suite les choses.

Les t-shirts ne comportent aucune signature ; en lisant la formule, nous pouvons dégager quelques axes signifiants : d'abord la revendication clairement ostensible d'une appartenance confessionnelle à l'Islam ; ensuite, le lien complaisamment établi entre le fait d'être musulman et la panique qui en résulterait chez l’Autre. Aussi, le terme « panik » renvoie au registre de l’irrationnel, à la phobie (et donc à l’islamophobie). Derrière le caractère détendu et bon enfant que le message prétend servir, la collectivité est maladroitement présentée comme potentiellement islamophobe, beauf et soupçonneuse.

L’obsession du terrorisme ronge-t-elle monsieur tout-le-monde lorsqu’il croise un jeune mahométan ? Apparemment oui, d’une certaine manière, selon le t-shirt revendicatif ; ne sommes-nous pas là face à un authentique préjugé ? A trop se persuader que l’on est suspecté, épié, ne finit-on pas par essentialiser l’Autre ? Ce qui se révèle ici en filigrane, c’est l’étonnant appétit victimaire. Le sulfureux Tariq Ramadan le reconnaît lui-même :
« Le mécanisme utilisé par les extrémistes est simple : c’est la position victimaire. Ils disent à leurs recrues : « Vous êtes des victimes » (Le Point, 29/03/2012).

L’intériorisation d’un tel sentiment traverse nos sociétés modernes, et des stratégies collectives s’affrontent sur ce terrain. Chaque jour, le capital victimaire se substitue au capital culturel.

« I’m muslim, don’t panik » : il s’agit de remarquer que le message est en anglais, tandis que le reste de la chanson est en français ; la volonté d'écrire dans la langue mondialisée ne relève certainement pas du hasard : l’arrière-pensée commerciale est patente, et l’exploitation lucrative d’un tel sujet n’est pas du meilleur goût. D’autre part, le renvoi subliminal à la panique internationalisée suscitée par l'islamisme radical depuis les attentats du 11 septembre relève de l’arlésienne, du poncif facile. Le sens du message serait de montrer avec humour que le choc des civilisations n'a pas lieu et que tout musulman n'est pas un Ben Laden en puissance. N’est-ce pas ici – légèrement - enfoncer une porte ouverte ?


La reprise des paroles de Médine sur un T-Shirt que l'on porte en cours, dans un lycée public, ne coïncide pas avec le principe de laïcité. Même si l'expression a une vocation humoristique de dédramatisation, permettant d'ironiser sur les amalgames, elle ne supprime en aucun cas sa portée ostentatoire. Depuis 2004, « les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique[...]». Donc dans ce cas précis, quelle différence entre le voile et ce T-Shirt ?


A la question « pourquoi venir en cours en portant un tel message », un élève de 1ere du lycée Guy de Maupassant à Colombes me répond : «  c'est un T-Shirt comme les autres, c'est juste la phrase d'un rappeur que vous ne connaissez pas, c'est drôle ». Deux éléments à relever : « c'est drôle » d'abord  ; le ton ironique de la formule est certain mais le contexte social français tendu sur le thème de l'identité nationale et de l'Islam, ne permettent pas cette seule lecture.  Sur les trois jeunes que j'ai pu remarquer avec ce T-Shirt dans l'enceinte scolaire, d'aucuns se disent musulmans.  Mais cela traduit une manifestation identitaire qui dépasse le cadre religieux. En réalité, la culture arabo-musulmane en milieu occidental, est aussi en question ici.


Ensuite, on ne « connaîtrait pas » l’origine de ce T-Shirt car il serait question d’un rappeur écouté par une certaine tranche de la population française. Mais laquelle ? Ses auditeurs sont majoritairement des jeunes, généralement issus de l'immigration maghrébine et qui évoluent dans des milieux socio-économiques plutôt modestes, où l'islam demeure la religion majoritaire ; en clair, des « jeunes de banlieue ». Des jeunes au profil communautaire plutôt marqué, à qui le refrain de la chanson « Don't Panik » est directement adressé. 

Le succès de Médine reposerait sur la défense revendiquée d'un Islam modéré prônant par exemple l'égalité des hommes et des femmes, tout autant que le droit des boul'éhia (religieux musulman dont il fait partie) à porter une barbe. Il se pose en défenseur de l'islam contre tous les amalgames dont il pâtit en France. Médine combat les fausses images de l'Islam mais il renvoie lui-même une image monolithique et clichée du monde occidental qui ignorerait tout de l'Islam et de ses réalités, et pis, qu'il condamnerait a priori.

Aussi, il ne s'agit pas de douter de sa bonne foi, mais quand le chanteur débute son clip à l'Institut du Monde Arabe, il semble avoir oublié que les statuts juridiques de la fondation de droit privé à utilité publique ne mentionnent pas une mission de promotion de la religion musulmane… mais bien celle de la culture arabe et islamique. L'IMA reste une institution laïque. L'amalgame est manifeste, ici encore. Dans son texte, le rappeur attaque d'ailleurs le principe de laïcité avec force violence : « Libertine, laïcité, liberticide qui viole nos droits civiques sans préservatif ».

Il oppose donc clairement au principe de laïcité un Islam qu'il revendique sans amalgame. Médine a le droit de ne pas soutenir la laïcité mais elle demeure un principe aujourd'hui constitutionnel dont les applications concernent tous les Français, et en l’occurrence tous les usagers des services publics français. Les élèves en font partie. Porter un message qui s'oppose aux principes de l'autorité étatique est permis ; en revanche, commercialiser des messages qui vont être portés par des élèves dans un espace précisément protégé des revendications communautaires et identitaires, cela constitue un danger  pour nos valeurs républicaines.

 

Auteur: Anne-Clémentine Larroque

 


 

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