Le père Guy Gilbert, l'insolence érectile

 

«Ce n’est pas une pute, ce mec (N. Sarkozy). Il a une intelligence planétaire». Ainsi s’exprime communément Guy Gilbert, l’un des prêtres Français les plus atypiques de notre époque. Fonceur, gouailleur, passablement obscène à ses heures, ce galopin de 76 ans ne cesse d’étonner la France.

 

Empaqueté dans un cuir préhistorique qui le boudine comme un corset, ce mercenaire de Dieu est une figure incontournable de l’Eglise contemporaine. Avant tout, le père Gilbert est éducateur de rue. Gueule granitique, œil de rapace… Un coulis de poils hirsutes qui tombe dans la nuque, des épaules taillées qui ne mentent pas. Comme Jésus, il a choisi de vivre au milieu de la détresse humaine, de plain-pied avec la tourbe des putes et des malfrats. Certains peuvent ironiser sur l’Eglise et ses fastes, sa richesse et son luxe ; le père Gilbert, lui, n’est pas de ce monde.

 

La merde et la souffrance

 

Ce qu’il côtoie c’est la merde, les souffrances, la désolation qui suinte par tous les pores de notre société maladive. Il éponge, il essuie sans relâche toute cette misère endémique, arpentant les rues la nuit, dormant quelques heures le matin. Partout, sur les trottoirs, entre les snacks et les sex-shops, il avance sur les chemins de la Judée mystique, au côté du rabbin universel.


Des prêtres rebelles, l’Eglise en a toujours compté dans ses rangs. Les Kir, les Didon, les Bruckberger n’ont jamais manqué pour jeter de l’huile sur le feu évangélique. Seulement, pourrait-on dire, le père Gilbert c’est autre chose… Né en Charente Maritimes au sein d’une famille ouvrière qui comptera 15 enfants, le petit Guy entre au séminaire à 13 ans. Sa formation, solide, sera couronnée par deux années de philosophie scolastique à L’Houmeau, près de La Rochelle. Prêtre en 1965, à l’heure où prend fin le concile Vatican II, il est envoyé cinq années en Algérie auprès des musulmans.

 

En 1970, la hiérarchie le réclame à Paris, qu’il rejoint à regret. Grâce à un héritage, il achète quelques années plus tard un terrain à La Palud-sur-Verdon. C’est ici qu’il fondera la bergerie du Faucon, afin d’accueillir des jeunes en détresse. Pour aider ces derniers à se reconstruire, il promeut une activité peu banale, la zoothérapie. Mis en contact avec des animaux, les jeunes réapprennent à vivre en société par un biais totalement novateur.


Le père Gilbert sait ce qu’il fait. Son expérience de la rue s’égrène au fil de la trentaine d’ouvrages qu’il a publiés sur la question. Son premier grand témoignage, « Un prêtre chez les loubards », paraît en 1978. Le succès est immédiat, foudroyant. Bernard Pivot l’invite à la télé, et c’est l’incroyable succès médiatique qui s’engage.

 

A ce propos, Guy n’est pas dupe. Certes, on le courtise, on le cajole, mais ce n’est qu’au bagout et au blouson que l’on s’intéresse en définitive. « Les médias se foutent trop souvent du catholicisme en général et de la théologie en particulier, mais dès que l’Eglise parle de sexe, ils bandent de joie. Cela signifierait-il que l’Eglise est finalement très sexy ? » (Et si je me confessais).

 

 

L'Eglise à l'uppercut

 

 

De l’humour, Guy pourrait en revendre jusqu’à la parousie. Avec lui, les expressions truculentes ne manquent pas : « cul nu à Paris », « Plus con que Pierre tu meurs », Benoît XVI est « un don de Dieu ; un vieux don, certes oui, mais un don de Dieu quand-même »… Ce talent drolatique et fantaisiste, il le décline de mille manières. Ainsi lui arrive-il, lorsqu’il prend l’avion, de confesser des gens en plein ciel pour être plus près de Dieu. Guy est aussi un génie de l’anecdote, qui sait toujours transfigurer le quotidien dramatique dans lequel il est plongé.

 

Evoquons pour l’exemple cette constatation surprenante : contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, beaucoup de délinquants patentés s’inquiètent de la crise de l’Eglise : n’ayant presque plus rien à voler dans les troncs, ils mesurent « concrètement » le recul de la ferveur chrétienne… et s’en inquiètent ! Parfois, Guy fait aussi preuve d’un sens de l’ironie dévastateur, qui lui permet d’afficher des positions ecclésiastiquement traditionnelles sans pour autant faire dans le soporifique :

 


« On pique les vieux, passé un certain stade. C’est humain et c’est donner à la vie tout son sens » (Aventurier de l’amour)

 


«Je propose d’offrir à toute jeune fille qui veut se faire avorter la vision de l’extraordinaire « éprouvette » d’un fœtus de trois semaines. On distingue une merveille de petit être aux doigts formés, aux oreilles minuscules, aux jambes et aux bras de poupée. A celle ou celui qui dit que l’avortement ne tue rien, c’est, à mon sens, la seule réponse» (Aventurier de l’amour)

 


Politiquement, il se définit socialisant. Et pourtant… malgré ses accointances privilégiés avec le ciel, Guy n’est pas un angéliste : concernant la délinquance, il refuse toute langue de bois bienpensante; les jeunes sont de plus en plus violents, et ce de plus en plus tôt. Ils « ont pété les règles », et le sens de l’effort ne leur est plus inculqué.  Ces faits bruts, il s’agit de les observer frontalement, sans parti pris politique. Aussi, l’impunité des mineurs délinquants est-elle une folie qui condamne implacablement ceux-là mêmes que l’on prétend protéger.

 

La fameuse ordonnance de 1945 est totalement contreproductive. Face aux incivilités, notre prélat sait répondre fermement. Il lui arrive même parfois de décocher des « droites évangéliques dans la gueule » de certains agités. Que voulez-vous, la politique de la caresse n’a rien à voir avec la charité. Un jour, il aperçoit un tag agressif sur un mur de banlieue : « L’islam vaincra ». Immédiatement, il part chercher un feutre, barre « islam » et écrit « Amour » à la place.


Autre thématique brûlante, au travers de laquelle Guy expose sans fard ses positions : la culpabilité de l’institution catholique. Si, effectivement, « il y a des moments où l’Eglise doit fermer sa gueule », la défendre serait la moindre des choses, du moins lorsque la société civile l’attaque injustement. Benoît XVI a courageusement constaté que « l’Eglise part en couille » ; il a été le premier à mettre  « cartes sur table » au sujet de la pédophilie... et malgré tout, les masses ne cessent de l’accabler.

 

Lors de la fameuse affaire de Ratisbonne en 2006, ce n’est pas tant lui qui est fautif que les médias, eux qui ont très complaisamment désaxé son propos. Résultat, des foules musulmanes se sont soulevées et une religieuse chrétienne a été tuée ; ici par contre, aucun scandale. Etrange… Au fond, qui se rappelle que lors de cette maudite conférence, le propos du pape avait consisté à faire l’apologie de la raison, et à condamner tous les obscurantismes religieux…


L’Eglise d’aujourd’hui manque selon lui d’audace et d’idées nouvelles. Aussi suggère-t-il régulièrement des propositions de réformes touchant les rites et le quotidien pastoral : de fait, si l’interdiction du mariage doit être maintenue dans toute sa rigueur pour les jeunes prêtres, l’Eglise devrait ordonner sans restriction les hommes âgés dont la progéniture serait déjà autonome. Autre proposition : étant donné la désertification générale des confessionnaux, le prêtre devrait pouvoir donner l’absolution générale aux fidèles pendant la messe.

 

Ici, difficile de le suivre… sans confession directe devant le prêtre, comment ce dernier pourrait-il absoudre quoi que ce soit sans même l’entendre ? Ne risquerait-t-on pas de galvauder l’idée de pardon en le conférant de manière automatique et générale?


Soit, Guy Gilbert transcende jusqu’à ses propres paroles. Il est comme hors d’échelle. Son génie, subtil alliage d’indignation laïque et de fidélité religieuse, se rencontre très rarement au sein de l’Eglise. Il ne serait pas abusif de le rapprocher d’un Emmanuel Mounier, voire d’un Lacordaire. Enfin, il fait partie de ces très rares hommes de Dieu qui savent prononcer, au-delà de l’indulgence et de la sévérité : « Va, et ne pêche plus »

 

Petite intervention vidéo intéressante de Guy Gilbert:

 

http://www.youtube.com/watch?v=mOSw_94NAvA

 

Pierre-André Bizien
 

pierreandrebizien@yahoo.fr

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